Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 avril 2017 et 14 décembre 2018, la société LTP Gabion +, devenue société Inexence, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à ce que lui soit remboursées les sommes relatives aux prestations de fourniture et remplissage des éléments composant le dispositif de protection et de mise en oeuvre des éléments composant le dispositif de protection correspondant au prix n° 22 et 23 du détail estimatif du marché ;
2°) de mettre à la charge du SIRTOM de la vallée d'Argelès-Gazost la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les matelas et gabions étaient de simples fournitures, alors que ce sont des éléments fabriqués sur mesure en fonction des besoins du maître d'ouvrage, pour lesquels elle achète des matériaux et les assemble sur le chantier ; cette prestation d'assemblage ne se résume pas en une simple fourniture de matériaux et correspond à des prestations effectuées dans l'intérêt du maître d'ouvrage et qui sont dues par ce dernier, sauf à bénéficier d'un enrichissement sans cause ;
- si ces éléments ne sont pas regardés comme des prestations dont elle a droit d'obtenir le paiement, il y a lieu de les regarder comme des frais et investissements au sens des stipulations de l'article 46.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 octobre 2018 et 22 janvier 2019, la communauté de communes Pyrénées Vallées des Gaves, venant aux droits du SIRTOM de la vallée d'Argelès-Gazost, représentée par le cabinet Noyer-Cazcarra, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Inexence au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors que, faute pour la société Inexence de démontrer qu'elle s'est effectivement substituée à la société LTP Gabion +, elle est dépourvue d'intérêt à relever appel du jugement ;
- la demande devant le tribunal administratif était irrecevable, dès lors que, si l'article 46.4 du cahier des clauses administratives générales prévoit, au profit du titulaire d'un marché résilié pour motif d'intérêt général, qu'il a droit, outre une indemnité spécifique de 5% du montant HT du marché, à être indemnisé " de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées ", c'est à la condition de présenter une demande dans les délais prévus par cet article ;
- l'article 47.1.3 du cahier des clauses administratives générales travaux, relatif aux opérations de liquidation en cas de résiliation, prévoit un droit d'option en faveur du maître d'ouvrage, qui peut racheter les ouvrages provisoires mais n'y est pas tenu ;
- les autres moyens présentés devant le tribunal administratif ne sont pas repris par la société.
Par ordonnance du 23 septembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 octobre 2019 à 12 heures.
La société Inexence a présenté une note en délibéré, enregistrée le 19 novembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. D...,
- et les observations de Me A..., représentant la société Inexence, et, de Me B..., représentant la communauté de communes Pyrénées-vallées-des-Gaves.
Considérant ce qui suit :
1. Le syndicat intercommunal de ramassage et de traitement des ordures ménagères de la Vallée d'Argelès-Gazost (SIRTOM), auquel a succédé la communauté de communes Pyrénées-vallées-des-Gaves, a conclu par acte d'engagement du 21 mars 2013, avec la société LTP Gabions +, devenue société Inexence, un marché public de travaux à prix global et forfaitaire portant sur la mise en oeuvre d'une protection de la décharge de Beaucens (Hautes-Pyrénées) contre les crues du Gave de Pau.
2. Toutefois, par courrier du 8 avril 2013, la société LTP Gabions + a informé le SIRTOM de l'impossibilité de poursuivre le chantier, compte tenu des restrictions règlementaires imposées par la société Réseau de transport d'électricité (RTE) en matière de sécurité des travailleurs, le chantier se trouvant sous une ligne à haute tension. Par ordre de service du 9 avril 2013, le SIRTOM a ordonné l'arrêt des travaux dans l'attente de l'autorisation de la société RTE de les poursuivre. La société LTP Gabions + lui a alors adressé le 10 avril 2013 un devis estimatif du coût des immobilisations et du repliement du chantier d'un montant de 13 993,20 euros.
3. Les 18 et 19 juin 2013, une crue exceptionnelle du Gave de Pau a remis en cause la réalisation technique des travaux et le 22 juillet 2013, le SIRTOM a prononcé la résiliation du marché pour motif d'intérêt général.
4. Par trois relevés de situation des 29 mars, 9 avril et 23 octobre 2013, la société LTP Gabions + a facturé au SIRTOM un montant total de travaux de 66 485,37 euros, mais ce dernier ne lui a réglé qu'une somme de 46 693,04 euros, correspondant à la situation n°1 datée du 29 mars 2013. De son côté, le 20 février 2014, le SIRTOM a adressé à la société le décompte de liquidation faisant apparaitre que cette dernière était débitrice d'une somme de 3 657,54 euros. Par courrier du 2 avril 2014, la société LTP Gabions + a contesté ce décompte dans un mémoire en réclamation rejeté par le SIRTOM le 15 mai 2014.
5. La société LTP Gabions+ a alors saisi le tribunal administratif de Pau d'une demande tendant à ce que le SIRTOM soit condamné à lui verser la somme de 66 485,37 euros au principal. Par jugement du 16 février 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande et accueilli les conclusions reconventionnelles du SIRTOM en condamnant la société LTP Gabions+ à verser à ce dernier la somme de 3 657,54 euros assortie des intérêts et de leur capitalisation. La société LTP Gabions+ devenue société Inexence relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à ce que lui soient remboursées les sommes relatives, d'une part, aux prestations de fourniture et remplissage des éléments composant le dispositif de protection, et, d'autre part, aux prestations de mise en oeuvre de ces mêmes éléments.
6. Aux termes de l'article 46.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, auquel se réfère le marché en cause : " Résiliation pour motif d'intérêt général : / Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d'intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations reçues, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 %. / Le titulaire a droit, en outre, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d'apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l'indemnité, dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché. / Le titulaire doit, à cet effet, présenter une demande écrite, dûment justifiée, dans le délai de deux mois compté à partir de la notification de la décision de résiliation. ".
7. Aux termes de l'article 47.1.3 du même cahier des clauses administratives générales : " Le maître de l'ouvrage dispose du droit de racheter, en totalité ou en partie : - les ouvrages provisoires réalisés dans le cadre du marché et utiles à l'exécution du marché ; - les matériaux, produits de construction, équipements, progiciels, logiciels et outillages approvisionnés, acquis ou réalisés pour les besoins du marché, dans la limite où il en a besoin pour le chantier. Il dispose, en outre, pour la poursuite des travaux, du droit, soit de racheter, soit de conserver à sa disposition le matériel spécialement construit pour l'exécution du marché. (...) ".
8. Enfin, l'article 47.2.1 de ce même cahier stipule : " En cas de résiliation du marché, une liquidation des comptes est effectuée. Le décompte de liquidation du marché, qui se substitue au décompte général prévu à l'article 13.4.2, est arrêté par décision du représentant du pouvoir adjudicateur et notifié au titulaire. 47.2.2. Le décompte de liquidation comprend : (...) b) Au crédit du titulaire : - la valeur contractuelle des travaux exécutés, y compris, s'il y a lieu, les intérêts moratoires (...) ".
9. Il ressort de la combinaison de ces stipulations que, en cas de résiliation du marché pour motif d'intérêt général, le titulaire a droit au paiement des travaux exécutés, à une indemnité de résiliation équivalente à 5% du montant des prestations du marché restant à exécuter, ainsi qu'à une indemnité portant sur la part des frais et investissements engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. En revanche, le rachat des ouvrages provisoires réalisés dans le cadre du marché, ainsi que des matériaux, produits de construction, équipements, progiciels, logiciels et outillages approvisionnés, acquis ou réalisés pour les besoins du marché, est une simple faculté ouverte au maître d'ouvrage.
10. La société requérante soutient qu'elle a droit au paiement des prestations de fourniture et remplissage des éléments composant le dispositif de protection et des prestations de mise en oeuvre de ces mêmes éléments, correspondant aux prix n° 22 et 23 du détail estimatif du marché, qu'elle a effectivement réalisées en exécution du marché.
11. Il résulte de l'instruction, et en particulier du détail estimatif des prix du marché, que ce marché confiait à la société requérante quatre catégories de prestations : des travaux préparatoires, des prestations de fourniture, remplissage et mise en oeuvre du dispositif de protection, le nettoyage de l'ouvrage et enfin la fourniture du plan de récolement. Au sein des prestations de fourniture, remplissage et mise en oeuvre du dispositif de protection, le prix n° 22 correspondait à la prestation de " Fourniture et remplissage des éléments composant le dispositif de protection sur un linéaire de 290 mètres ", et le prix n° 23 à la prestation de " Mise en oeuvre des éléments composant le dispositif de protection (y compris un géotextile en sous-face) conformément au cahier des charges, pour un linéaire de 290 mètres ". Il ressort du cahier des clauses techniques du marché que les travaux portaient sur trois éléments distincts en interaction entre eux, sur au minimum 290 mètres linéaires : un système anti-érosion, protégeant le rampant de berge de l'érosion en cas de crue, un système anti-affouillement protégeant le lit au contact de la berge de l'affouillement, et un filtre pour éviter les départs de fines en cas de crue. Il était également prévu que le système anti-érosion était composé de gabions (cages en maille hexagonale double torsion avec fil en zinc et aluminium rempli de matériaux répondant aux exigences de la norme NF EN 13383) de 1 m², et le système anti-affouillement de matelas de type " Réno " sur des matériaux rapportés (blocs d'enrochement et matériaux alluvionnaires grossiers et complétés par des gabions sacs).
12. Le procès-verbal de constat dressé par huissier le 31 juillet 2013 a relevé sur le chantier la présence d'éléments et matériaux, et notamment de nombreux gabions remplis de cailloux, fermés ou non, des gabions vides, et des tas de cailloux.
13. Si la société appelante soutient que la prestation de fourniture et remplissage des éléments composant le dispositif de protection correspondant au prix n° 22 ne se résume pas à la simple fourniture de matériaux, dès lors qu'elle consistait également en la fabrication des cages et leur remplissage pour former des gabions, il est constant que cette prestation, évaluée à la somme de 13 883,30 euros TTC dans son projet de décompte final, a fait l'objet d'un règlement du SIRTOM à concurrence d'une somme de 8 739,17 euros TTC. Il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du procès-verbal de constat, que la somme ainsi versée ne correspondrait pas au paiement intégral de la prestation effectivement réalisée.
14. S'agissant de la prestation correspondant au prix n° 23, " mise en oeuvre du dispositif de protection ", qui correspond à l'objet même du marché de mise en place d'un système de protection de la décharge de Beaucens contre les crues du Gave de Pau, il est constant qu'elle n'a pu être entièrement exécutée du fait de l'arrêt des travaux le 9 avril 2013 dans l'attente de l'autorisation de Réseau de transport d'électricité (RTE), puis de la décision du 22 juillet 2013 prononçant la résiliation du marché pour motif d'intérêt général. Il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du procès-verbal de constat dressé par huissier le 31 juillet 2013, que les gabions et tas de cailloux retrouvés sur le chantier constitueraient pour partie l'exécution de cette prestation. Par suite, c'est à bon droit que le SIRTOM n'a pas inclus le prix de cette prestation dans le décompte de résiliation.
15. Enfin, si la société soutient que les gabions et matériaux retrouvés sur le chantier constitueraient à tout le moins des frais et investissements engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution dont elle a le droit d'obtenir le paiement en application des stipulations de l'article 46.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux rappelés au point 6, il est constant qu'elle n'a pas adressé, dans les deux mois de la notification de la décision de résiliation du 22 juillet 2013, de demande écrite justifiée pour obtenir le paiement de ces dépenses. En l'absence d'une telle demande assortie de justificatifs, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le SIRTOM n'a pas inscrit ces sommes dans le décompte général du marché.
16. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir présentée par la communauté de communes, que la société Inexence n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à ce que lui soit remboursées les sommes relatives aux prestations correspondant aux prix n° 22 et 23 du détail estimatif du marché. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et de mettre à sa charge, au titre de ces dispositions, la somme de 1 500 euros au profit de la communauté de communes de Pyrénées Vallées des Gaves.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Inexence est rejetée.
Article 2 : La société Inexence versera à la communauté de communes de Pyrénées-Vallées- des-Gaves la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Inexence et à la communauté de communes de Pyrénées-Vallées-des-Gaves, venant aux droits du SIRTOM de la vallée d'Argelès-Gazost.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme E..., présidente,
Mme Florence Madelaigue, premier-conseiller,
M. Manuel Bourgeois, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 12 décembre 2019.
La présidente-rapporteure,
F...L'assesseur le plus ancien,
Florence Madelaigue
La greffière,
Camille Péan
La République mande et ordonne au préfet des Hautes-Pyrénées en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 17BX01218 7