Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 mars 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 18 mai 2020, M. C..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle a limité la provision allouée au montant de 5 000 euros ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 90-437 du 28 mai 1990 ;
- le décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 ;
- le décret n° 2010-1102 du 21 septembre 2010 ;
- le décret n° 2013-617 du 11 juillet 2013 ;
- l'arrêté du 3 juillet 2006 fixant les taux des indemnités de stage prévues à l'article 3 du décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du jury de scolarité à l'école nationale supérieure de la police nationale du 30 mars 2016 et un arrêté du ministre de l'intérieur du 8 avril 2016, il a été mis fin à la scolarité de commissaire de police de M. C.... Ces deux décisions ont été annulées par un jugement du 4 juillet 2018 du tribunal administratif de Lyon, devenu définitif. M. C... a été réintégré à compter du 1er septembre 2018 et, par un arrêté du 15 janvier 2019, le ministre de l'intérieur a procédé à la reconstitution de sa carrière. M. C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme provisionnelle de 46 175 euros en réparation des préjudices financier et moral subis du fait de son éviction de la police nationale. Il relève appel de l'ordonnance du 18 mars 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Lille, en tant qu'elle a limité à 5 000 euros le montant de la somme provisionnelle allouée.
Sur la régularité de l'ordonnance :
2. La circonstance invoquée que l'ordonnance attaquée soit affectée d'une erreur de fait s'agissant de la prise en charge des frais de déplacement est en tout état de cause sans incidence sur sa régularité.
Sur la demande de provision :
3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".
4. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.
5. L'illégalité de la délibération du jury de scolarité du 30 mars 2016 et de l'arrêté du 8 avril 2016 du ministre de l'intérieur en mettant fin à la scolarité de M. C... constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. L'obligation de l'Etat à réparer les préjudices en découlant présente dans cette mesure un caractère non sérieusement contestable.
6. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.
7. Le décret n° 2010-1102 du 21 septembre 2010 portant création d'une indemnité de responsabilité et de performance prévoit qu'une telle indemnité, qui comporte une part " fonctionnelle " et une part " résultats ", est allouée aux fonctionnaires du corps de conception et de direction de la police nationale et à certains emplois des services actifs de la police nationale et de la préfecture de police. Aux termes de l'article 2 de ce décret : " L'indemnité de responsabilité et de performance comprend deux parts cumulables : / 1° Une part fonctionnelle tenant compte des responsabilités, du niveau d'expertise et des sujétions spéciales liées aux fonctions exercées (...) ". Le décret n° 2013-617 du 11 juillet 2013 institue lui une indemnité de sujétions spéciales de police allouée aux fonctionnaires actifs de la police nationale. Ces deux indemnités sont attribuées aux commissaires de police stagiaires.
8. La part fonctionnelle de l'indemnité de responsabilité et de performance allouée aux corps de conception et de direction de la police nationale ne constitue pas, eu égard à ses modalités d'attribution, une indemnité seulement destinée à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice des fonctions. Il en est de même de l'indemnité de sujétions spéciales mentionnée au point précédent. M. C..., qui avait une chance sérieuse de percevoir ces indemnités comme commissaire stagiaire en l'absence des mesures illégales ayant mis fin à sa scolarité, est donc fondé à demander l'indemnisation du préjudice résultant de l'absence de leur versement entre le 1er septembre 2016 et le 31 août 2018. Il résulte de l'instruction, eu égard aux sommes perçues par M. C... du fait de sa réintégration dans son corps d'origine des inspecteurs des finances publiques, que le requérant a subi du fait du non versement de ces indemnités une perte financière d'un montant de 15 390 euros. En conséquence, l'obligation dont se prévaut M. C... à ce titre, apparaît, en l'état de l'instruction, comme non sérieusement contestable pour ce montant.
9. M. C... demande l'indemnisation du préjudice financier résultant des frais de transport et de résidence occasionnés par sa remise à disposition de son administration d'origine entraînant une double résidence à Paris pour lui et à Caluire-et-Cuire pour son épouse et ses enfants. Il résulte également de l'instruction que l'intéressé, qui aurait dû être affecté en stage à Metz, n'avait pas projeté un changement immédiat de résidence de toute la famille et aurait donc dû nécessairement supporter des frais supplémentaires de logement et de déplacement durant une partie de la période de stage. Toutefois, il aurait bénéficié d'indemnités de stage en application de l'arrêté du 3 juillet 2006 fixant les taux des indemnités de stage prévues à l'article 3 du décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006, fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat couvrant au moins partiellement lesdits frais ainsi que d'une indemnité de déménagement pour sa première affectation, en application du décret du 28 mai 1990 susvisé. Dans ces conditions, eu égard aux indemnités qu'il aurait perçues, l'obligation de l'Etat n'est pas sérieusement contestable à hauteur de 4 000 euros.
10. Même si le requérant fait valoir le caractère brutal et traumatisant des conditions dans lesquelles les décisions annulées ont été prises, notamment du fait des examens médicaux auxquels il a été soumis, le premier juge a fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. C... en raison de l'illégalité commise en fixant l'indemnité due à ce titre par l'État à la somme de 5 000 euros.
11. Il résulte de ce qui précède que le requérant est fondé à demander que la provision de 5 000 euros, accordée par l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille, soit portée à la somme de 24 390 euros. Eu égard notamment à la situation de fonctionnaire du requérant permettant une récupération éventuelle aisée des sommes versées, il n'y a pas lieu d'assortir cette provision de la constitution de la garantie demandée par l'Etat.
Sur la demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : La somme de 5 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. C... par l'ordonnance n° 1908899 du 18 mars 2020 du tribunal administratif de Lille est portée à 24 390 euros.
Article 2 : L'ordonnance du 18 mars 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Lille est réformée en ce qu'elle a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de l'Etat tendant à la constitution d'une garantie sont rejetées.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
N°20DA00587 2