Par une ordonnance n° 2003807 et 2004213 du 30 septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a fait droit à leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 octobre 2020, des mémoires complémentaires enregistrés le 12 novembre 2020 et le 8 décembre 2020, et un mémoire, non communiqué, enregistré le 10 décembre 2020, le département du Pas-de-Calais, représenté par Me C... G..., demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler cette ordonnance, de rejeter les demandes présentées en première instance et d'ordonner une mesure d'expertise afin de chiffrer les préjudices et de déterminer les responsabilités de chacune des parties ;
2°) à titre subsidiaire, d'ordonner le sursis à exécution de l'ordonnance attaquée ;
3°) de mettre à la charge de de M. et Mme F... et de Mme E... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... F... et Mme B... F..., qui exploitent un commerce de boulangerie dans un immeuble situé à Desvres appartenant à Mme D... E..., ainsi que cette dernière, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, par deux requêtes distinctes, de condamner le département du Pas-de-Calais à leur verser les sommes provisionnelles respectives de 65 000 et 111 000 euros en réparation des préjudices résultant des désordres causés à l'immeuble, selon eux, par un peuplier d'Italie planté sur le fonds voisin appartenant au département du Pas-de-Calais. Celui-ci relève appel de l'ordonnance du 30 septembre 2020 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille a joint les requêtes et fait droit à leurs demandes.
Sur la provision :
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.
3. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers, tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise déposé le 21 janvier 2020 au greffe du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer, que les désordres affectant le bâtiment à usage artisanal abritant la boulangerie, sont dus à un phénomène de dessiccation des sols directement lié à la présence d'un peuplier d'Italie situé à environ 10 mètres sur le parc de stationnement d'un collège, qui est une dépendance du domaine public départemental, cet arbre ayant besoin, pour sa croissance, de quatre cents litres d'eau par jour. Si le département du Pas-de-Calais soutient que le bâtiment serait peu solide en raison de l'absence de chaînage, ou encore peu adapté à l'exercice de l'activité artisanale des époux F..., notamment du fait de l'installation d'un four, le rapport d'expertise susmentionné fait état de cette fragilité du bâtiment avant de retenir la présence du peuplier d'Italie comme unique cause à l'origine des désordres. Il ne retient en revanche pas les arguments avancés par le département tenant au tassement différentiel du sol du fait du mode de construction du bâtiment, ni aux conditions d'utilisation par les locataires dans le cadre de leur activité artisanale. En se bornant à critiquer ce rapport au motif qu'il n'aurait pas retenu ses arguments et n'aurait pas répondu à ses dires ou mené des investigations complémentaires, le département ne le conteste pas de manière sérieuse. En outre, les désordres, qui consistent en des fissures sur le bâti, s'étendent au sol depuis l'arbre jusqu'à la voie publique et ne se limitent pas au seul bâtiment à usage artisanal. Les caractéristiques du bâtiment ne constituent pas, dans ces circonstances, une faute de la propriétaire ou des locataires qui serait susceptible d'exonérer le département en tout ou partie de sa responsabilité. Même si des premières fissures étaient apparues en 2013 et avaient fait l'objet d'une expertise amiable ainsi que de courriers de relance des locataires puis de leur demande d'expertise judiciaire, il ne résulte pas de l'instruction que la propriétaire ait tardé à réaliser des travaux qui auraient pu prévenir les désordres constatés lors de l'expertise judiciaire et commis ainsi une faute exonératoire. Enfin, le département ne peut utilement faire valoir, pour s'exonérer de sa responsabilité, le fait que le propriétaire serait tenu d'assumer les travaux de grosse réparation en application de l'article 606 du code civil.
5. En second lieu, le département du Pas-de-Calais soutient que les travaux de reprise ne pourront être effectués en raison de l'incendie intervenu dans le bâtiment le 26 août 2020 et que les demandes de provisions seraient ainsi devenues caduques. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment d'un courriel de la société Level et Louasse, que les travaux portant sur les murs intérieurs, extérieurs et les dallages ont toujours vocation à être réalisés, l'incendie n'ayant détruit que la charpente comme le révèlent aussi des photographies jointes au dossier, faisant apparaître les murs extérieurs. L'incendie dont se prévaut le département n'a pas eu pour effet de faire disparaître les désordres précédemment constatés et n'a pas davantage privé d'utilité les travaux visant à conforter les sols et créer une barrière anti-racines, tel que préconisés par l'expert. Il n'est par ailleurs pas établi que ces travaux seront pris en charge au titre de l'assurance incendie. Le préjudice d'exploitation des époux F... porte sur une période antérieure à l'incendie qui ne peut donc avoir d'incidence à cet égard. Contrairement, enfin, à ce que soutient le département, le préjudice consistant en une perte d'exploitation pour les consorts F... résulte directement de la présence à proximité du peuplier d'Italie qui, en provoquant les fissures, a affecté les conditions d'exploitation de la boulangerie. Ce préjudice doit donc être admis pour le montant évalué par l'expert à 65 000 euros pour la période de janvier 2017 jusqu'au dépôt du rapport d'expertise.
6. Il résulte de ce qui précède que l'existence de l'obligation du département du Pas-de-Calais envers Mme E... et les époux F... présente, en l'état de l'instruction, un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative pour les montants retenus en première instance. Dès lors, le département requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Lille l'a condamné, par l'ordonnance attaquée, à verser des provisions de 111 000 euros à Mme E... et 65 000 euros aux époux F.... Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions tendant à l'annulation de l'ordonnance sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée en défense.
Sur la mesure d'expertise sollicitée :
7. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise (...) ".
8. La mesure d'expertise sollicitée par le département du Pas-de-Calais porte sur le même objet que celle précédemment ordonnée par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer. Dans le cas où le département entendrait contester les conclusions de l'expert désigné par le juge judiciaire et la manière dont il a conduit l'expertise en ne prenant pas suffisamment en considération ses dires, celles-ci pourront être discutées contradictoirement lors d'une instance au fond devant le tribunal administratif éventuellement saisi. Par suite, la mesure d'expertise qu'il sollicite ne répond en tout état de cause pas au critère d'utilité requis par les dispositions citées au point précédent.
Sur la demande de sursis à exécution :
9. Aux termes de l'article R. 541-6 du code de justice administrative : " Le sursis à l'exécution d'une ordonnance du juge des référés accordant une provision peut être prononcé par le juge d'appel ou par le juge de cassation si l'exécution de cette ordonnance risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés à son encontre paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier son annulation et le rejet de la demande ".
10. La présente ordonnance statue sur les conclusions du département du Pas-de-Calais tendant à l'annulation de l'ordonnance du 30 septembre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Lille. Il n'y a, par suite, pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cette ordonnance.
Sur les dépens :
11. La présente instance n'ayant pas entraîné de dépens, les conclusions présentées par M. et Mme F... au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais du litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme F... et de Mme E..., qui ne sont pas parties perdantes, la somme demandée par le département du Pas-de-Calais au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département du Pas-de-Calais, partie perdante, le versement d'une part aux époux F... et d'autre part à Mme E... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
ORDONNE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête aux fins de sursis à exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 30 septembre 2020.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du département du Pas-de-Calais est rejeté.
Article 3 : Le département du Pas-de-Calais versera respectivement à M. et Mme F... et à Mme E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des intimés est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au département du Pas-de-Calais, à M. et Mme A... et Cathy F... et à Mme D... E....
N°20DA01595 2