Par une requête, enregistrée le 26 février 2020, la SARL B..., représentée par
Me Jean-Marc Quennehen, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser ces sommes de 14 371,37 euros et 5 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Baes-Honoré, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Gloux-Saliou, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. La SARL B... a déposé, le 29 juillet 2016, une demande de permis de construire
n° PC 002 227 16 S0001 en vue de la construction d'un bâtiment à usage de stockage de céréales et de matériel, sur les parcelles cadastrées A 417, A 905 et A 906 sur le territoire de la commune de Courmont. Cette demande a été rejetée le 7 octobre 2016 par le maire de Courmont au nom de l'Etat.
2. Le 21 octobre 2016, la même société a déposé une seconde demande de permis de construire n° PC 002 227 16 S0003 tendant à l'édification d'un projet identique, à l'exception de l'emplacement de l'accès au terrain d'assiette du projet. Cette demande a également été rejetée le 16 janvier 2017 par le maire de Courmont.
3. La SARL B... a alors saisi le maire d'une demande indemnitaire afin d'obtenir la réparation des préjudices subis en raison des refus qui lui ont été opposés. Elle relève appel du jugement du 17 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur la régularité du jugement :
4. Il est constant que les décisions de refus de permis de construire ont été prises, sur le fondement de l'article L. 422-1 du code de l'urbanisme, par le maire de la commune de Courmont au nom de l'Etat. La responsabilité de l'Etat peut ainsi être recherchée à raison de ces refus.
5. Lorsque le maire refuse le permis de construire au nom de l'Etat, une réclamation préalable adressée à la commune en vue d'obtenir la réparation des préjudices nés de l'illégalité de ce refus doit, en principe, être regardée comme adressée à la fois à la commune et à l'Etat, lequel, en l'absence de décision expresse de sa part, est réputé l'avoir implicitement rejetée à l'expiration du délai de deux mois suivant la date de réception de la demande par la commune.
6. Dans une telle hypothèse, il appartient au juge administratif, saisi d'une action indemnitaire après le rejet d'une telle réclamation préalable, de regarder les conclusions du requérant tendant à l'obtention de dommages et intérêts en réparation de l'illégalité du refus de permis de construire comme également dirigées contre l'Etat et de communiquer la requête tant à la commune qu'à l'autorité compétente au sein de l'État.
7. En l'espèce, le tribunal administratif, qui a rejeté la demande de la SARL B... tendant à la condamnation de la commune de Courmont comme mal dirigée, n'a pas mis en cause l'Etat. Le jugement est ainsi irrégulier et doit donc être annulé.
8. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SARL B... devant le tribunal administratif d'Amiens.
Sur les conclusions à fin d'indemnité :
En ce qui concerne l'arrêté du 7 octobre 2016 :
S'agissant de la compétence du maire :
9. Dans les communes où l'Etat est compétent pour délivrer les permis de construire en application de l'article L. 422-1 du code de l'urbanisme, la décision est prise par le maire au nom de l'Etat, sauf dans les cas énumérés par l'article R. 422-2 du même code, où elle est prise par le préfet. Selon le e) de cet article, la décision est prise par le préfet : " En cas de désaccord entre le maire et le responsable du service de l'Etat dans le département chargé de l'instruction mentionné à l'article R. 423-16 ; (...) ".
10. D'une part, il est constant que le maire de la commune de Courmont a émis un avis défavorable au projet.
11. D'autre part, l'arrêté du 7 octobre 2016 a été expressément pris sur proposition du directeur départemental des territoires et il ne ressort d'aucune pièce du dossier que cet avis ait été différent de l'avis défavorable émis par le même service dans le cadre de l'instruction de la seconde demande de permis et versé au dossier.
12. Dans ces conditions, en l'absence de désaccord entre le maire de la commune et le responsable du service de l'Etat dans le département, le moyen tiré de ce que le préfet était seul compétent pour délivrer le permis de construire litigieux, doit être écarté.
S'agissant de la desserte du projet :
13. D'une part, aux termes de l'article R. 111-5 du code de l'urbanisme: " Le projet peut être refusé sur des terrains qui ne seraient pas desservis par des voies publiques ou privées dans des conditions répondant à son importance ou à la destination des constructions ou des aménagements envisagés, et notamment si les caractéristiques de ces voies rendent difficile la circulation ou l'utilisation des engins de lutte contre l'incendie. / Il peut également être refusé ou n'être accepté que sous réserve de prescriptions spéciales si les accès présentent un risque pour la sécurité des usagers des voies publiques ou pour celle des personnes utilisant ces accès. Cette sécurité doit être appréciée compte tenu, notamment, de la position des accès, de leur configuration ainsi que de la nature et de l'intensité du trafic ".
14. Il résulte de l'instruction que l'accès au projet devait se faire par la grande rue. Consultée dans le cadre de l'instruction de la demande du permis de construire, la direction de la voirie départementale a donné un avis défavorable le 5 octobre 2016. Pour prendre la décision contestée, le maire s'est approprié cet avis selon lequel " La proximité d'une courbe à gauche de l'accès, la faible largeur de la voie où sont implantées des places de stationnement, en plus des distances de visibilité très réduites, sont de nature à compromettre fortement la sécurité des usagers de la RD14 et celle des usagers de l'accès dont l'activité principale générera des mouvements de véhicules lourds ".
15. Alors que cet avis est particulièrement étayé, la requérante s'est bornée à contester cette appréciation sans apporter le moindre élément à l'appui de sa contestation. Par suite, les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation doivent être écartés.
16. D'autre part, aux termes de l'article R. 111-6 du code de l'urbanisme : " Le permis (...) peut imposer la réalisation de voies privées ou de tous autres aménagements particuliers nécessaires au respect des conditions de sécurité mentionnées au deuxième alinéa de l'article R. 111-5. (...) ".
17. S'il résulte de l'instruction, et notamment de la délibération du conseil municipal de Courmont du 10 août 2016, que le projet aurait été plus adapté sur un axe secondaire tel que la rue du Béton, une telle modification de l'accès aurait conduit l'autorité administrative à redéfinir le projet et ne pouvait ainsi pas être imposée par la voie d'une prescription. Par suite, le moyen tiré de ce que le maire aurait dû assortir de permis de construire de prescriptions spéciales doit être écarté.
S'agissant des autres moyens :
18. En premier lieu dès lors que l'arrêté en litige n'a pas été pris sur le fondement de l'article R.111-8 du code de l'urbanisme, le moyen tiré de ce que l'autorité administrative aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de cette disposition est inopérant et doit être écarté.
19. En deuxième lieu, à supposer même que le maire de la commune ait commis une erreur de fait en relevant que le terrain se situe en zone bleue du plan de prévention des risques inondations, il résulte de l'instruction qu'il aurait pris la même décision s'il s'était fondé uniquement sur le motif de sécurité cité au point 14. Le moyen tiré de l'erreur de fait doit donc être écarté.
20. En troisième lieu, si la requérante fait état, sans d'ailleurs l'établir, de relations conflictuelles entre le maire et la famille B... et si elle soutient que le maire empruntait, en tant qu'agriculteur, la rue du Béton, alors qu'il a retenu dans son arrêté de refus l'étroitesse de cette rue, ce grief ne peut être utilement retenu à l'encontre du l'arrêté de refus du 7 octobre 2016 qui, à la différence de l'arrêté de refus suivant, ne se fonde pas sur ce motif. Dès lors, les moyens tirés du détournement de pouvoir et de la rupture d'égalité devant les charges publiques doivent être écartés.
21. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL B... n'est pas fondée à soutenir que l'Etat a commis une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne l'arrêté du 16 janvier 2017 :
22. La requérante soutient que cet arrêté entaché d'illégalité l'a mise dans l'impossibilité de réaliser les travaux à temps pour la moisson 2017.
23. Toutefois, en admettant même l'illégalité de l'arrêté du 16 janvier 2017 qui est reconnue par la ministre, cet arrêté n'a pas été notifié à la pétitionnaire de sorte qu'un permis tacite est né le 21 janvier 2017. Il résulte de l'instruction, et notamment du courrier adressé au préfet le 28 suivant, que la requérante estimait elle-même être en présence d'un accord tacite depuis le 21 janvier 2017. Elle a déposé une déclaration d'ouverture de chantier le 17 février 2017. Les travaux ont alors rapidement débuté puisque la requérante a fait état d'une réception de travaux le 1er décembre 2017 et d'une durée de chantier de neuf mois.
24. Dans ces conditions, l'arrêté illégal du 16 janvier 2017 n'a pas fait obstacle au commencement des travaux qui ont débuté après l'intervention du permis implicite. Par suite, le lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'illégalité de l'arrêté du 16 janvier 2017 n'est pas établi.
25. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, que la demande de la SARL B... présentée devant le tribunal administratif d'Amiens doit être rejetée.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
26. D'une part, la demande présentée par la SARL B..., partie perdante, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée.
27. D'autre part, la demande présentée par la commune de Courmont au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée dès lors qu'elle n'a pas la qualité de partie à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1703607 du tribunal administratif d'Amiens du 17 décembre 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la SARL B... devant le tribunal administratif et devant la cour est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Courmont présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL B... et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera transmise à la commune de Courmont et au préfet de l'Aisne.
N° 20DA00354 5