Par un jugement n° 1811515, 1811980, 1901363 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Lille a joint les trois requêtes, prononcé un non-lieu à statuer sur la demande du groupement pour la défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais et rejeté les demandes de la SARL Model et la société Aedifi Habitat.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 février 2020, et des mémoires, enregistrés les 12 novembre 2020 et le 27 novembre 2020, la SARL Model et la société Aedifi Habitat, représentées par Me A... B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du maire de Cucq des 30 octobre, 19 décembre et 20 décembre 2018 ;
3°) d'enjoindre au maire de Cucq de lui délivrer le permis de construire dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer la demande présentée par la SARL Model dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Cucq la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me A... B..., représentant les sociétés Model et Aedifi Habitat.
Une note en délibéré présentée par les sociétés Model et Aedifi Habitat a été déposée le 2 avril 2021.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. La société Model a déposé le 26 juillet 2018 une demande un permis de construire en vue de procéder à la reconstruction à l'identique d'un ensemble immobilier sur un terrain situé avenue de la Libération à Cucq. Par un arrêté du 30 octobre 2018, le maire de Cucq a refusé de délivrer ce permis. Par un arrêté du 19 décembre 2018, il a retiré le permis tacite né le 26 octobre 2018 et, par un arrêté du 20 décembre 2018, il a refusé le permis. Les sociétés Model et Aedifi Habitat relèvent appel du jugement du 3 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces trois arrêtés.
Sur l'intervention du groupement pour la défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais :
2. Si le groupement pour la défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais était partie devant le tribunal administratif dans l'instance relative à l'arrêté du 30 octobre 2018 et si son intervention en appel n'est donc pas recevable au titre de cette instance, son intervention en appel au titre des deux autres instances devant le tribunal, alors qu'elle a intérêt au maintien du jugement en litige, est recevable.
Sur la portée des décisions attaquées :
3. Il est constant qu'en l'absence de notification d'une décision expresse dans le délai de trois mois prévu par l'article R. 423-23 du code de l'urbanisme, un permis de construire un ensemble immobilier avec aménagement de 26 logements est tacitement né le 26 octobre 2018.
4. Si l'arrêté du 30 octobre 2018 a refusé le permis de construire sollicité, il doit être regardé comme ayant ainsi procédé également au retrait du permis tacite du 26 octobre 2018.
5. Si l'arrêté du 19 décembre 2018 a retiré le même permis du 26 octobre 2018 et à indiquer que l'autorité compétente restait saisie de la demande initiale sur laquelle elle se prononcerait à nouveau, il doit être regardé comme ayant ainsi procédé également au retrait de l'arrêté du 30 octobre 2018 en tant que ce dernier arrêté avait procédé au retrait du permis tacitement accordé.
6. Enfin, l'arrêté du 20 décembre 2018 par lequel le maire a refusé la demande permis de construire présentée par la société Model a nécessairement retiré l'arrêté du 30 octobre 2018 en tant que ce dernier arrêté avait rejeté cette même demande.
7. Lorsque le juge est parallèlement saisi de conclusions tendant, d'une part, à l'annulation d'une décision et, d'autre part, à celle de son retrait et qu'il statue par une même décision, il lui appartient de se prononcer sur les conclusions dirigées contre le retrait puis, sauf si, par l'effet de l'annulation qu'il prononce, la décision retirée est rétablie dans l'ordonnancement juridique, de constater qu'il n'y a plus lieu pour lui de statuer sur les conclusions dirigées contre cette dernière.
Sur les conclusions à fin d'annulation des arrêtés des 19 et 20 décembre 2018 :
En ce qui concerne la légalité externe de la décision du 19 décembre 2018 :
8. Aux termes de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix ". L'article L. 211-2 du même code mentionne " les décisions qui (...) retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ".
9. Aux termes de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme : " La décision de non-opposition à une déclaration préalable ou le permis de construire ou d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s'ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. Passé ce délai, la décision de non-opposition et le permis ne peuvent être retirés que sur demande expresse de leur bénéficiaire. (...) ".
10. Il résulte de ces dispositions combinées que la décision de retrait du permis de construire tacitement accordé le 26 octobre 2018 ne pouvait intervenir, dans le délai de trois mois suivant cette date, qu'à la condition de l'illégalité du permis accordé et qu'après que la personne intéressée ait été mise à même de présenter des observations écrites et, sur sa demande, des observations orales.
11. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 22 novembre 2018 notifié le 26 suivant, le maire de Cucq a indiqué à la société pétitionnaire son intention de retirer le permis de construire né tacitement le 26 octobre 2018 et l'a invitée à faire valoir ses observations. Par lettre du 10 décembre 2018, la société Model a présenté des observations écrites. Par suite, le moyen tiré de l'absence de procédure contradictoire préalable à l'arrêté du 19 décembre 2018 doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne des deux arrêtés :
S'agissant de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme :
12. Aux termes de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un bâtiment régulièrement édifié vient à être détruit ou démoli, sa reconstruction à l'identique est autorisée dans un délai de dix ans nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale, le plan local d'urbanisme ou le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement ".
13. D'une part, pour établir l'existence d'une reconstruction à l'identique, les sociétés appelantes se sont bornées à verser au dossier une photographie non datée d'un corps de bâtiment de la ferme préexistante, des photographies présentant deux pignons est et nord dépourvus de toiture et totalement envahis par la végétation et une vue aérienne ne permettant pas de visualiser l'existence de bâtiments.
14. D'autre part, si les sociétés appelantes soutiennent que le projet respectera la volumétrie, la hauteur de faîtage et l'implantation initiale des bâtiments, il ressort des éléments produits à l'instance que les bâtiments à reconstruire autrefois à usage agricole feront l'objet d'un grand nombre d'aménagements en façade et en toiture ne présentant pas un caractère mineur.
15. Dans ces conditions, comme le maire l'a estimé à bon droit, la reconstruction ne peut pas être regardée comme étant réalisée, comme l'exige l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme, à l'identique du bâtiment détruit.
16. En tout état de cause, il n'est pas établi que la destruction des bâtiments en cause soit intervenue dans un délai raisonnable, au sens de la jurisprudence intervenue pour l'application de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure à la loi du 12 mai 2009, devenu ensuite l'article L. 111-15, avant la demande de reconstruction à l'identique.
17. Il résulte de ce qui précède que les sociétés appelantes ne sont pas fondées à invoquer la méconnaissance de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme prévoyant un droit à la reconstruction d'une construction existante.
S'agissant du plan local d'urbanisme :
18. Le terrain d'assiette du projet en litige est classé en zone N du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Cucq lequel prévoit pour cette zone : " Seules les occupations et utilisations du sol ci-après sont autorisées : 1 - Les affouillements et les exhaussements de sols s'ils sont indispensables pour la réalisation des types d'occupation ou d'utilisation des sols autorisés ; / 2 - Les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs ou à des services publics, dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière dans l'unité foncière où elles sont implantées et qu'elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages ; / 3 - La reconstruction des bâtiments existants après sinistre sous réserve qu'il ne soit pas consécutif à un risque d'inondation susceptible de mettre en péril la vie de ses occupants / 4 - L'extension des constructions à usage d'habitation existantes sous réserve que l'extension ne représente pas plus de 10 % de l'emprise au sol de la construction existante à la date d'approbation du PLU dans la limite de 20 m² de surface de plancher (...) ".
19. Si les sociétés appelantes soutiennent que la destruction des bâtiments existants a résulté d'un sinistre intervenu lors des tempêtes de vent de la fin décembre 1999, elles se sont bornées à produire des relevés météorologiques attestant de l'existence d'une tempête durant cette période sans apporter aucun élément de nature à établir la survenance du sinistre allégué durant cet évènement.
20. Dans ces conditions, les sociétés appelantes ne peuvent pas se prévaloir de la condition d'existence d'un sinistre prévue par les dispositions précitées du plan local d'urbanisme.
S'agissant du changement de destination :
21. Si l'usage d'une construction résulte en principe de la destination figurant à son permis de construire, lorsqu'une construction, en raison de son ancienneté, a été édifiée sans permis de construire et que son usage initial a depuis longtemps cessé en raison de son abandon, l'administration, saisie d'une demande d'autorisation de construire, ne peut légalement fonder sa décision sur l'usage initial de la construction.
22. Il ressort des pièces du dossier que l'ancienne ferme en cause, dont fait mention un plan cadastral de 1928, a été édifiée sans permis de construire et que son usage agricole a depuis longtemps cessé. Dès lors, le maire ne pouvait fonder légalement sa décision de refus sur l'usage initial de la construction.
23. Toutefois, il résulte de l'instruction que le maire aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que le motif d'absence de droit à la reconstruction d'un bâtiment existant.
24. Dans ces conditions, par son arrêté du 20 décembre 2018, le maire de Cucq a pu légalement refuser la demande de permis de construire, enregistrée le 26 juillet 2018, présentée par la société Model.
25. Par voie de conséquence, la décision du 26 octobre 2018 ayant implicitement accordé le permis de construire sollicité était elle-même illégale et le moyen tiré de ce que, cette décision étant légale, l'arrêté de retrait du 19 décembre 2018 était illégal, doit être écarté.
26. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation des décisions du 19 décembre 2018 portant retrait du permis de construire accordé tacitement le 26 octobre 2018 et du 20 décembre 2018 portant refus du permis de construire doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 30 octobre 2018 :
27. il résulte de ce qui précède que les conclusions dirigées contre l'arrêté du 30 octobre 2018, qui a disparu de l'ordonnancement juridique, sont devenues sans objet. Dès lors, il n'y a plus lieu d'y statuer.
28. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Model et Aedifi Habitat ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par le jugement du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
29. Il résulte de ce qui précède que le présent arrêt n'appelle aucune mesure d'exécution en application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
30. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Cucq, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse aux sociétés Model et Aedifi Habitat ou au groupement pour la défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais la somme que ceux-ci réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
31. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge globale des sociétés Model et Aedifi Habitat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Cucq.
32. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du groupement pour la défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais dirigées, sur le même fondement, contre ces deux sociétés.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention du groupement pour la défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais est admise.
Article 2 : Les conclusions des sociétés Model et Aedifi Habitat dirigées contre les arrêtés des 19 et 20 décembre 2018 sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions des sociétés Model et Aedifi Habitat dirigées contre l'arrêté du 30 octobre 2018.
Article 4 : La demande présentée par les sociétés Model et Aedifi Habitat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens est rejetée.
Article 5 : Les sociétés Model et Aedifi Habitat verseront à la commune de Cucq une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions du groupement pour la défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... B... pour les sociétés Model et Aedifi Habitat, à la commune de Cucq, à Me D... C... pour le groupement pour la défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais et au préfet du Pas-de-Calais.
N°20DA00217
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