Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 avril 2019, Mme C..., représentée par Me A... B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er février 2019 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités espagnoles ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de sept jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 300 euros à verser à Me A... B... conformément aux dispositions des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative et, subsidiairement, de verser cette somme à Mme C....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le règlement UE n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Claire Rollet-Perraud, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante nigériane née le 26 mai 1975, est entrée irrégulièrement en France à une date inconnue. Elle a sollicité, le 9 novembre 2018, son admission au séjour au titre de l'asile auprès des services de la préfecture de la Seine-Maritime. La consultation du fichier Visabio permettant d'établir qu'elle avait été titulaire d'un visa espagnol délivré le 19 septembre 2018 et valable jusqu'au 18 octobre 2018, la préfète de la Seine-Maritime a, par un arrêté en date du 1er février 2019, prononcé son transfert aux autorités espagnoles. Mme C... relève appel du jugement du 2 avril 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité externe de l'arrêté en litige :
2. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ". Il résulte de ces dispositions que la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
3. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre. Une telle motivation doit permettre d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application, c'est-à-dire, pour un transfert en vue d'une première prise en charge, l'un des critères du chapitre III du règlement du 26 juin 2013.
4. L'arrêté en litige, après avoir visé le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, énonce que, les recherches effectuées par l'administration ayant fait apparaître que Mme C... avait été titulaire d'un visa valable jusqu'au 18 octobre 2018 délivré par les autorités espagnoles, celles-ci ont été saisies, sur le fondement des articles 3 et 12.4 de ce règlement, d'une demande de prise en charge de l'intéressée sur leur territoire, qu'elles ont implicitement acceptée, et qu'elles doivent dès lors être regardées comme responsables de sa demande d'asile en application de l'article 3 et du chapitre III de ce règlement. Dès lors, l'arrêté en litige énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et doit être écarté.
5. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement.
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... s'est vu remettre, le 9 novembre 2018, un exemplaire du guide du demandeur d'asile, deux documents intitulés " Mise en oeuvre du règlement Eurodac II ", ainsi que deux brochures d'information sur le règlement n° 604/2013, en anglais, langue qu'elle a déclaré lire et comprendre. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté comme manquant en fait.
8. Il ressort des pièces du dossier que la détermination des autorités responsables de la demande d'asile de Mme C... n'a pas été permise par la consultation du fichier Eurodac, mais par la consultation du fichier Visabio. L'intéressée ne peut dès lors utilement soutenir qu'il appartient à l'administration d'établir que plusieurs dispositions du " règlement Eurodac " ont été respectées en l'espèce.
9. Aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ". Aux termes de l'article 35 du même règlement : " 1. Chaque Etat membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. Les Etats membres veillent à ce qu'elles disposent des ressources nécessaires pour l'accomplissement de leur mission et, notamment, pour répondre dans les délais prévus aux demandes d'informations, ainsi qu'aux requêtes aux fins de prise en charge et de reprise en charge des demandeurs. / (...) 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement (...) ". Aux termes de l'article 1er de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " La présente directive a pour objet d'établir des procédures communes d'octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE ". Aux termes de l'article 4 de la même directive : " 1. Les Etats membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. (...) / 2. Les Etats membres peuvent prévoir qu'une autorité autre que celle mentionnée au paragraphe 1 est responsable lorsqu'il s'agit : / a) de traiter les cas en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 (...). / 4. Lorsqu'une autorité est désignée conformément au paragraphe 2, les Etats membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en oeuvre de la présente directive (...) ".
10. D'une part, les articles 5 et 35 du règlement du 26 juin 2013, cités au point précédent, sont d'effet direct et ne nécessitent aucune mesure de transposition en droit interne. La requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile serait incompatible avec les dispositions de ce règlement faute de comporter des dispositions définissant ce que doit être la formation des autorités visées au paragraphe 1 de l'article 35 de ce règlement. En outre, les dispositions du paragraphe 4 de l'article 4 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013, citées au point précédent, qui se bornent à prévoir que l'autorité compétente pour traiter les cas en vertu du règlement n° 604/2013 du même jour doit disposer des connaissances appropriées ou recevoir la formation nécessaire pour remplir ses obligations, n'appellent aucune mesure de transposition en droit interne.
11. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment des éléments versés aux débats par la préfète de la Seine-Maritime, que Mme C... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans les locaux de la préfecture, le 9 novembre 2018. En l'absence de tout élément de nature à faire naître un doute sérieux sur ce point, il n'est pas établi que l'agent de la préfecture qui a mené cet entretien n'aurait pas été mandaté à cet effet par la préfète de la Seine-Maritime après avoir bénéficié d'une formation appropriée et ne serait, par suite, pas une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions citées au point 9. La requérante ne précise d'ailleurs pas en quoi l'agent de la préfecture n'aurait pas mené cet entretien conformément aux exigences prévues par le règlement du 26 juin 2013, ni en quoi la procédure de détermination de l'Etat responsable aurait été faussée en l'espèce compte tenu des conditions dans lesquelles cet entretien s'est déroulé. Par suite, le moyen tiré de ce que l'entretien s'est déroulé de façon irrégulière en l'absence de formation suffisante de l'agent qui a interrogé l'intéressée ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité interne de l'arrêté en litige :
12. Il ne résulte ni de la motivation de l'arrêté en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier, que la préfète de la Seine-Maritime, qui n'était pas tenue de viser toutes les circonstances de fait de la situation de l'intéressée, n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme C... avant de prendre la décision contestée. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation particulière de l'intéressée doit être écarté.
13. Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
14. Mme C... ne fait état d'aucune circonstance qui justifierait que la France examine sa demande de protection internationale alors même que son examen ne lui incombe pas. En effet, elle n'apporte aucun élément de nature à justifier que sa vie familiale et la scolarité de sa fille ne pourraient pas se poursuivre hors de France. Dès lors, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la Seine-Maritime aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 en ne faisant pas usage de la faculté qu'elles ouvrent de procéder à l'examen de sa demande d'asile.
15. La requérante déclare être entrée irrégulièrement en France avec sa fille. Elle n'établit pas avoir noué des liens sociaux et professionnels d'une particulière intensité sur le territoire français. Elle ne fait état d'aucune circonstance qui ferait obstacle à ce que la cellule familiale formée par elle et son enfant mineur se poursuive hors de France. Dans ces conditions, il n'est pas établi qu'en prononçant le transfert de la requérante aux autorités espagnoles, la préfète de la Seine-Maritime aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que prévu par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
16. Mme C... ne justifie pas de l'impossibilité d'emmener sa fille hors de France afin qu'elle puisse y poursuivre sa scolarité. Dès lors, l'arrêté en litige n'est pas de nature à caractériser une atteinte à l'intérêt supérieur de cette enfant, qui est en principe de pouvoir vivre auprès de sa mère. Par suite, la préfète de la Seine-Martime n'a pas méconnu les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par la préfète de la Seine-Maritime, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées, de même que la demande présentée sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E..., au ministre de l'intérieur et à Me A... B....
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.
N°19DA00998 4