Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 août 2018, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D...devant le tribunal administratif de Rouen.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jimmy Robbe, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeD..., ressortissante guinéenne née le 27 octobre 1987, a présenté une demande d'asile en France le 17 avril 2018. La consultation du fichier Eurodac a révélé que les empreintes digitales de l'intéressée avaient été enregistrées au Portugal le 23 janvier 2018 sous le n° PT 1 1072018. Par un arrêté du 20 juin 2018, la préfète de la Seine-Maritime a décidé de transférer Mme D...aux autorités portugaises. La préfète de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 5 juillet 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen :
2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ". Aux termes de l'article 35 de ce règlement : " 1. Chaque État membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. (...) / (...) / 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement. / (...) " et aux termes de l'article 4 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. (...) / (...) / 3. Les États membres veillent à ce que le personnel de l'autorité responsable de la détermination visée au paragraphe 1 soit dûment formé. (...) / 4. Lorsqu'une autorité est désignée conformément au paragraphe 2, les États membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en oeuvre de la présente directive (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier d'appel, et notamment du compte-rendu versé au dossier par la préfète de Seine-Maritime, au demeurant déjà produit en première instance, que Mme D... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans les locaux de la préfecture de la Seine-Maritime, le 17 avril 2018 à 9h45, selon des modalités permettant le respect de la confidentialité. En l'absence de tout élément de nature à faire naître un doute sérieux sur ce point, ni le fait que ce compte-rendu ne comporte pas la mention du nom et de la qualité de l'agent de la préfecture qui a mené cet entretien, ni l'absence d'en-tête et de tampon de la préfecture de la Seine-Maritime sur ce compte-rendu, ne peuvent suffire à établir que cet agent n'aurait pas été mandaté à cet effet par la préfète de la Seine-Maritime après avoir bénéficié d'une formation appropriée, et ne serait, par suite, pas une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions citées au point précédent. La préfète de la Seine-Maritime est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D...devant la juridiction administrative.
Sur les autres moyens :
5. L'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet ETA membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement.
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme D...s'est vu remettre le 17 avril 2018, deux brochures d'informations en langue française, la brochure dite " A " intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' ", et une brochure dite " B " intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", ainsi que le guide du demandeur d'asile en France, en langue française. Ces documents, signés par Mme D...lorsqu'ils lui ont été remis, portent la mention que l'intéressée atteste comprendre le français. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté comme manquant en fait.
8. Aux termes de l'article 22 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. / (...) 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 (...) équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 26 du même règlement : " Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale ". Le paragraphe 1 de l'article 27 du règlement prévoit, pour sa part, que le demandeur : " dispose d'un droit de recours effectif, sous la forme d'un recours contre la décision de transfert ou d'une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction ".
9. Pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre État membre en mettant en oeuvre ces dispositions du règlement, et en l'absence de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisant une procédure différente, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'État responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet État. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressé, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'État requis.
10. La préfète de la Seine-Maritime justifie avoir saisi les autorités portugaises en produisant l'accusé de réception par le réseau de communication électronique " DubliNet " de la demande de prise en charge de Mme D...adressée à ces autorités le 17 avril 2018 avec la mention de l'enregistrement " Eurodac " de Mme D...sous le n° FR 19930127532. Il ressort également des pièces du dossier, et notamment de la réponse des autorités portugaises, produite pour la première fois en appel, que celles-ci ont accepté de la reprendre en charge le 20 avril 2018. La référence " FRDUB 2 9930127535 - 760 " qui correspond au numéro d'enregistrement de sa demande d'asile en France, figurant sur cet accusé de réception édité automatiquement par le réseau de communication électronique " DubliNet", dont c'est la finalité, et l'accord explicite de reprise en charge exprimé par les autorités portugaises, afin de confirmer leur responsabilité, permettent en outre de s'assurer que la demande de reprise en charge concerne effectivement MmeD.... Dès lors, le moyen tiré de ce que la préfète de Seine-Maritime n'établit pas avoir requis les autorités portugaises et obtenu leur accord explicite pour reprendre en charge Mme D...avant de prendre l'arrêté de transfert en litige manque en fait.
11. L'arrêté en litige précise que le Portugal a été saisi d'une demande de reprise en charge de l'intéressée, formulée sur le fondement des dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n°604/2013, qui énoncent que les États membres ont l'obligation de reprendre en charge les demandeurs d'asile dont la demande est en cours d'examen et qui ont formé de nouveau une demande d'asile auprès des autorités d'un autre État membre. Ainsi rédigés, ces motifs, qui précisent en outre que Mme D...ne se prévaut d'aucun lien sur le territoire français, exposent les considérations de droit et de fait sur lesquelles se fonde la décision de transfert de Mme D... au Portugal. Il suit de là que doit être écarté le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision de transfert au regard de l'exigence rappelée par les articles L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et 4 du règlement (UE) n°604/2013.
12. Aux termes de l'article 17 du règlement n°604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit (...). La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile
13. Il ressort des termes mêmes de la décision contestée et des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime, qui a procédé à un examen sérieux de l'ensemble des particularités de la situation de MmeD..., a recherché notamment s'il y avait lieu de faire application des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 pour retenir la France comme État responsable de la demande d'asile de MmeD....
14. Il ressort des pièces du dossier que l'entrée en France de Mme D...est très récente et que, dépourvue de toute ressource propre et hébergée de façon précaire, elle n'a aucune famille sur le territoire national. Dans ces conditions, et alors même qu'elle est enceinte à la date de l'arrêté en litige, elle n'est pas fondée à soutenir que la préfète de Seine-Maritime aurait méconnu les dispositions précitées de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 en ne faisant pas usage du pouvoir discrétionnaire qu'elle tient de cet article.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 20 juin 2018 ordonnant le transfert de Mme D...aux autorités portugaises.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement au conseil de Mme D...de la somme qu'il demande sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement du 5 juillet 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par Mme D...devant le tribunal administratif de Rouen tendant à l'annulation de l'arrêté 20 juin 2018 ordonnant son transfert aux autorités portugaises est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées en appel par le conseil de Mme D...sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme M'A... D...et à Me B...C....
N°18DA01639 4