Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2019, Mme D...G...B..., représentée par Me C...E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir ces arrêtés ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Eure d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à titre subsidiaire, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la même somme à son profit sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement UE n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller,
- et les observations de Me F...A..., représentant MmeB....
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., ressortissante angolaise née en 1991, est entrée en France à une date inconnue et a présenté une demande d'asile. Les recherches effectuées par l'administration ont fait apparaître que l'intéressée était titulaire d'un visa en cours de validité délivré par les autorités portugaises. Une demande de prise en charge de Mme B...a été adressée à ces autorités, qui l'ont acceptée le 24 octobre 2018. Par deux arrêtés du 21 novembre 2018, le préfet de l'Eure a décidé le transfert de Mme B...aux autorités portugaises et son assignation à résidence. Mme B... relève appel du jugement du 13 décembre 2018 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés.
Sur la légalité de la décision de transfert :
2. Il ressort des pièces du dossier que Mme B...a accepté, le 9 novembre 2018, les conditions matérielles d'accueil proposées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, comprenant son admission dans un centre d'hébergement pour demandeurs d'asile situé à Evreux, où elle devait se présenter avec sa famille le 21 novembre 2018 à 11 heures, soit le jour même des arrêtés en litige. MmeB..., qui ne prétend pas qu'elle ne se serait pas présentée dans ce lieu d'hébergement à la date indiquée, n'est dès lors pas fondée à soutenir qu'à la date de la décision contestée, son lieu de résidence se trouvait en Seine-Maritime de sorte que le préfet de l'Eure était territorialement incompétent pour décider son transfert aux autorités portugaises.
3. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
4. L'arrêté en litige, après avoir visé le règlement du 26 juin 2013, énonce que, les recherches effectuées par l'administration ayant fait apparaître que Mme B...était titulaire d'un visa en cours de validité délivré par les autorités portugaises, celles-ci ont été saisies, sur le fondement des articles 3 et 12.2 de ce règlement, d'une demande de prise en charge de l'intéressée sur leur territoire, qu'elles ont acceptée, et qu'elles doivent dès lors être regardées comme responsables de sa demande d'asile en application de l'article 3 et du chapitre III de ce règlement. Ce faisant, le préfet de l'Eure a suffisamment motivé sa décision de transférer Mme B... aux autorités portugaises.
5. Aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ". Aux termes de l'article 35 du même règlement : " 1. Chaque Etat membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. Les Etats membres veillent à ce qu'elles disposent des ressources nécessaires pour l'accomplissement de leur mission et, notamment, pour répondre dans les délais prévus aux demandes d'informations, ainsi qu'aux requêtes aux fins de prise en charge et de reprise en charge des demandeurs. / (...) 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement (...) ". Aux termes de l'article 1er de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " La présente directive a pour objet d'établir des procédures communes d'octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE ". Aux termes de l'article 4 de la même directive : " 1. Les Etats membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. (...) / 2. Les Etats membres peuvent prévoir qu'une autorité autre que celle mentionnée au paragraphe 1 est responsable lorsqu'il s'agit : / a) de traiter les cas en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 (...). / 4. Lorsqu'une autorité est désignée conformément au paragraphe 2, les Etats membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en oeuvre de la présente directive (...) ".
6. Les articles 5 et 35 du règlement du 26 juin 2013, cités au point précédent, sont d'effet direct et ne nécessitent aucune mesure de transposition en droit interne. Mme B...n'est dès lors pas fondée à soutenir que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile serait incompatible avec les dispositions de ce règlement faute de comporter des dispositions définissant ce que doit être la formation des autorités visées au paragraphe 1 de l'article 35 de ce règlement.
7. Les dispositions du paragraphe 4 de l'article 4 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013, citées au point 5, qui se bornent à prévoir que l'autorité compétente pour traiter les cas en vertu du règlement n° 604/2013 du même jour doit disposer des connaissances appropriées ou recevoir la formation nécessaire pour remplir ses obligations, n'appellent aucune mesure de transposition en droit interne. Mme B...n'est dès lors pas fondée à soutenir que les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et notamment celles de l'article R. 742-1, seraient incompatibles avec les objectifs de cette directive. Par ailleurs, dès lors que cette directive a été transposée en droit interne, Mme B...ne saurait utilement se prévaloir de ces dispositions, à les supposer même claires et inconditionnelles, à l'encontre de la décision en litige.
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme B...a bénéficié d'un entretien individuel le 20 septembre 2018, dans les conditions prévues par les dispositions citées au point 5. Elle a d'ailleurs signé le compte rendu de cet entretien, produit en première instance par le préfet de l'Eure. Le moyen selon lequel elle n'aurait bénéficié d'aucun entretien manque ainsi en fait.
9. Il ressort des pièces du dossier que la détermination des autorités responsables de la demande d'asile de Mme B...n'a pas été permise par la consultation du fichier Eurodac, mais par la consultation du fichier Visabio, qui a fait apparaître qu'elle était titulaire d'un visa en cours de validité délivré par les autorités portugaises. L'intéressée ne peut dès lors utilement soutenir qu'il appartient à l'administration d'établir que plusieurs dispositions du " règlement Eurodac " ont été respectées en l'espèce.
10. Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
11. Il ressort des pièces du dossier que le conjoint de Mme B...fait également l'objet d'une mesure de transfert aux autorités portugaises. Il n'est fait état par l'appelante d'aucune autre attache privée ou familiale en France, ni d'aucune circonstance qui ferait obstacle à ce que la cellule familiale formée par elle, son conjoint et leur enfant mineur soit reconstituée au Portugal. Dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en ne faisait pas usage de la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, le préfet de l'Eure aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces dispositions.
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 11 que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté du préfet de l'Eure décidant son transfert aux autorités portugaises est entaché d'illégalité.
Sur la légalité de la décision d'assignation à résidence :
13. Pour les raisons déjà énoncées au point 2, le préfet de l'Eure n'était pas territorialement incompétent pour ordonner l'assignation à résidence de MmeB....
14. La décision en litige, qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde, est suffisamment motivée.
15. Il résulte de ce qui a été dit au point 12 que Mme B...n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision de transfert aux autorités portugaises dont elle fait l'objet.
16. Aux termes de l'article R. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté en litige : " L'autorité administrative détermine le périmètre dans lequel l'étranger assigné à résidence en application de l'article L. 561-1, de l'article L. 561-2 ou d'une des mesures prévues aux articles L. 523-3, L. 523-4 et L. 523-5 est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence. Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'il fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés (...) ".
17. L'arrêté d'assignation à résidence en litige fait obligation à Mme B...de demeurer dans les limites de la ville d'Evreux et de se présenter trois fois par semaine en début d'après-midi dans un commissariat de police pour signaler sa présence. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a son domicile sur le territoire de la commune d'Evreux et que son enfant y est scolarisé, ainsi qu'elle l'a déclaré lors de l'audience devant le tribunal administratif de Rouen. Elle n'apporte aucune précision à l'appui du moyen selon lequel le périmètre de l'assignation à résidence serait excessivement étroit. Par ailleurs, si Mme B...est enceinte à la date de l'arrêté en litige, cette circonstance n'est pas, à elle seule, de nature à faire obstacle à ce qu'elle se présente trois fois par semaine dans un commissariat. L'appelante, qui n'assortit ce moyen d'aucune autre précision, n'est dès lors pas fondée à soutenir que ces modalités de contrôle seraient disproportionnées.
18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 13 à 17 que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que la décision d'assignation à résidence est entachée d'illégalité.
19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées, de même que la demande présentée par son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...G...B..., au ministre de l'intérieur et à Me C...E....
Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Eure.
N°19DA00170 6