Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 août 2016, la commune de Lorleau et l'association de défense de l'environnement Lorleau / Pays de Lyons, représentées par la SELARL Enard-Bazire, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir le permis de construire tacite délivré par le préfet de l'Eure à la SCI la Chèvre d'Or ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel Richard, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,
- et les observations de Me B...A...représentant la SCI la Chèvre d'Or.
Une note en délibéré a été produite le 18 mars 2019 par la SCI la Chèvre d'Or.
Considérant ce qui suit :
1. Le 12 novembre 2010, la SCI la Chèvre d'Or a déposé une demande de permis de construire en vue de la réhabilitation d'un corps de ferme en lieu de vie et d'accueil d'enfants placés à l'aide sociale à l'enfance situé 4, rue de la Chèvre d'Or sur le territoire de la commune de Lorleau. Par un arrêté du 31 janvier 2011, le maire de Lorleau a refusé, au nom de l'Etat, le permis de construire sollicité. Par un courrier du 7 février 2011, la société pétitionnaire a formé un recours hiérarchique contre cet arrêté auquel le préfet de l'Eure a donné une suite favorable en délivrant le permis de construire par arrêté du 11 juillet 2011. Par un jugement du 10 octobre 2013, se prononçant sur la demande de l'association de défense de l'environnement Lorleau / Pays de Lyons (ADELPL) et de riverains du projet, le tribunal administratif de Rouen a annulé ce permis de construire, motif pris de ce que le projet n'était pas suffisamment desservi par le réseau électrique. La SCI la Chèvre d'Or a déposé, le 10 mars 2014, une demande de permis, complétée à deux reprises, en vue de régulariser les travaux entrepris dans le cadre de la réhabilitation du corps de ferme initialement prévue et d'étendre le projet initial par la création d'un jardin d'hiver et d'une dépendance. Le maire a demandé à la direction des territoires et au préfet de refuser le permis, notamment au motif que le pétitionnaire avait démoli la grange au lieu de la réhabiliter. Un permis de construire tacite est finalement né du silence gardé par l'autorité préfectorale, le 30 août 2014. La commune de Lorleau et l'ADELPL relèvent appel du jugement du 5 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ce permis.
Sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de l'ADELPL :
2. Il résulte du compte rendu du conseil d'administration de l'ADELPL du 27 juillet 2016 que son président a été habilité à représenter l'association et à faire appel du jugement en litige devant la cour. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en appel sur ce point par la SCI la Chèvre d'Or doit être écartée.
3. L'ADELPL a pour objet social de " protéger l'environnement et le patrimoine de LORLEAU et du pays de Lyons-la-Forêt ; préserver les espaces naturels et les paysages de LORLEAU et du Pays de Lyons-la-Forêt ; sensibiliser ; défendre l'identité culturelle des paysages et du patrimoine ainsi que leurs intérêts économiques et sociaux ; lutter contre les atteintes qui pourraient être portées à cet environnement et notamment à chaque fois qu'elles toucheront au patrimoine, aux espaces naturels et aux paysages, aux équilibres biologiques auxquels participent les espèces naturelles et végétales et par conséquence à la santé ; prévenir la dégradation des ressources naturelles et patrimoniales ". Le projet en litige consiste notamment à réaménager et transformer un corps de ferme existant impliquant la démolition d'une grange. La notice architecturale présente les bâtiments présents sur le terrain d'assiette comme des constructions traditionnelles avec " ossature bois, remplissage briques (...) menuiseries en bois naturel ou laquées bleu ". Dans ces conditions, l'association requérante, dont l'objet social porte notamment sur la protection du patrimoine de Lorleau, justifie d'un intérêt suffisamment direct pour agir contre le permis tacite contesté. La fin de non-recevoir soulevée sur ce point par la SCI la Chèvre d'Or doit être écartée.
Sur la légalité du permis de construire tacite délivré le 30 août 2014 à la SCI la Chèvre d'Or :
En ce qui concerne les insuffisances et mentions erronées du dossier de demande de permis de construire :
4. Aux termes de l'article R. 431-5 du code de l'urbanisme alors applicable : " La demande de permis de construire précise : (...) b) la nature des travaux (...) e) La destination des constructions, par référence aux différentes destinations définies à l'article R. 123-9 (...) f) La surface de plancher des constructions projetées, s'il y a lieu répartie selon les différentes destinations définies à l'article R.123-9 ". Aux termes de l'article R. 431-6 du même code : " Lorsque le terrain d'assiette comporte des constructions, la demande précise leur destination, par référence aux différentes destinations définies à l'article R. 123-9, leur surface de plancher et indique si ces constructions sont destinées à être maintenues et si leur destination est modifiée par le projet ". Aux termes de l'article R. 431-8 de ce code : " Le projet architectural comprend une notice précisant : 1° L'état initial du terrain et de ses abords indiquant, s'il y a lieu, les constructions, la végétation et les éléments paysagers existants. / 2° Les partis retenus pour assurer l'insertion du projet dans son environnement et la prise en compte des paysages, faisant apparaître, en fonction des caractéristiques du projet : a) L'aménagement du terrain, en indiquant ce qui est modifié ou supprimé ; b) L'implantation, l'organisation, la composition et le volume des constructions nouvelles, notamment par rapport aux constructions ou paysages avoisinants ; (...) ". Aux termes de l'article R. 431-9 dudit code : " Le projet architectural comprend également un plan de masse des constructions à édifier ou à modifier coté dans les trois dimensions. Ce plan de masse fait apparaître les travaux extérieurs aux constructions, les plantations maintenues, supprimées ou créées et, le cas échéant, les constructions existantes dont le maintien est prévu (...) ". Aux termes de l'article R. 431-10 du même code : " Le projet architectural comprend également : a) Le plan des façades et des toitures ; lorsque le projet a pour effet de modifier les façades ou les toitures d'un bâtiment existant, ce plan fait apparaître l'état initial et l'état futur ; b) Un plan en coupe précisant l'implantation de la construction par rapport au profil du terrain ; lorsque les travaux ont pour effet de modifier le profil du terrain, ce plan fait apparaître l'état initial et l'état futur (...) ".
5. La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.
6. Le projet initial de la SCI la Chèvre d'Or autorisé par un arrêté du préfet de l'Eure le 11 juillet 2011 portait sur la réhabilitation d'un ancien corps de ferme. Ce bâtiment d'un seul tenant et de forme rectangulaire, composé d'une maison d'habitation de 136 m² de surface hors oeuvre nette avant travaux, prolongée d'une grange de 153 m² de surface hors oeuvre brute, devait atteindre une surface hors oeuvre nette totale de 287 m² à la faveur, notamment, du réaménagement de la grange avec surélévation de la toiture et des murs pour y accueillir des espaces de vie destinés à des enfants placés par les services de l'aide sociale à l'enfance.
7. A la suite de l'annulation de ce permis par un jugement du 10 octobre 2013, la SCI la Chèvre d'Or a déposé une demande de permis le 10 mars 2014, complétée à deux reprises à la suite de demandes du service instructeur portant sur la régularisation des travaux effectués sur le fondement du permis décrit au point 6 et l'extension de la construction existante, en forme de S, sous la forme de la création d'un jardin d'hiver de 24 m² en son centre et d'une dépendance à usage d'habitation de même surface côté sud. Le formulaire initial de demande de permis de construire indique que la surface de plancher existante du nouveau projet est de 155,82 m², laquelle passe à 275 m² dans le complément de dossier apporté par la pétitionnaire, pour atteindre une surface de plancher totale globale de 328,41 m² autorisée par le permis de construire né tacitement et contesté.
8. Il ressort des pièces du dossier, ainsi que le souligne la société pétitionnaire, que de nombreuses erreurs ou omissions entachant le dossier de demande initial ont été rectifiées à la suite de plusieurs demandes de précisions du service instructeur, afin de permettre à ce dernier d'appréhender au mieux la nature exacte de la destination du futur bâtiment destiné à l'accueil d'enfants placés ainsi que certains des travaux effectués. La présentation de ceux-ci a constamment évolué s'agissant notamment de la surface de plancher et du nombre de pièces créées, ces travaux ne consistant pas seulement, contrairement à ce qui figurait dans le dossier initial, à réhabiliter la grange agricole préexistante au niveau de la toiture mais à la démolir et la reconstruire entièrement en utilisant d'autres matériaux de construction.
9. En revanche, il résulte des annexes complémentaires à la notice fournies par la SCI la Chèvre d'Or et de la comparaison des deux dossiers de demande de permis de construire de 2011 et 2014 dans leur version consolidée, assorties des indications des requérantes non sérieusement contredites sur ce point, que le bâtiment présenté sous forme de " dépendance existante " sur le plan de masse pour une emprise au sol d'environ 25 à 30 m² et situé dans le prolongement du jardin d'hiver n'était pas représenté ni évoqué dans le cadre du premier dossier de demande de permis de construire déposé en 2010 et que cette dépendance n'avait pas été autorisée par le permis du 11 juillet 2011. Il ne résulte pas des explications données par la société dans le cadre du débat contradictoire ni de l'analyse des deux demandes de permis de construire produites au dossier que le service instructeur ait été mis à même d'appréhender la nature réelle, l'origine et la situation juridique de cette dépendance au regard de la réglementation d'urbanisme. Il ressort également des pièces du dossier qu'en dépit des rectifications multiples apportées par la pétitionnaire, l'autorité administrative n'a jamais été mise en mesure de vérifier si la surface de plancher de cette dépendance avait été intégrée dans le calcul des surfaces de plancher créées, la lettre du pétitionnaire datée du 10 avril 2014 n'en faisant en tout état de cause pas mention malgré les questionnements du service instructeur sur ce point. Il résulte d'ailleurs de cette dernière lettre que la surface de plancher existante incluait, de façon erronée, les surfaces créées dans le cadre de la démolition - reconstruction de la grange alors que cette grange ne présentait à l'origine que de la surface hors oeuvre brute sans surface hors oeuvre nette. La non prise en compte irrégulière de cette surface de plancher " existante " par le service instructeur et l'autorité administrative est d'ailleurs corroborée par la reprise de ces surfaces erronées par le préfet dans ses écritures en défense de première instance.
10. Les insuffisances et erreurs du dossier de demande mentionnées au point 9, si elles ne sont pas constitutives d'une fraude en l'état de l'instruction, ont toutefois été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable, notamment au regard de la règle de la carte communale consistant à n'autoriser, en dehors de la zone constructible, que " l'adaptation, le changement de destination, la réfection ou l'extension des constructions existantes " ainsi que des principes devant guider l'autorité administrative dans le cas de régularisations réalisées pour des constructions édifiées sans autorisation.
11. Dans ces conditions, les requérantes sont fondées à soutenir que de telles insuffisances et erreurs entachant le dossier de demande de permis de construire au regard des dispositions citées au point 4 sont de nature à entacher d'illégalité le permis tacite né le 30 août 2014.
En ce qui concerne le respect des dispositions de la carte communale :
12. La carte communale de Lorleau dispose que : " à l'extérieur du secteur SC, seules sont autorisées : / - l'adaptation, le changement de destination, la réfection ou l'extension des constructions existantes (...) ".
13. Il ressort des pièces du dossier et de ce qui a été dit aux points 6 à 9 que le projet sera implanté à l'extérieur du secteur constructible de la carte communale de Lorleau et consiste à doubler, au minimum, la surface de plancher de l'ancien corps de ferme à réhabiliter en 2010 pour atteindre un peu plus de 328 m², sans préjudice des surfaces devant le cas échéant y être ajoutées au titre de la " dépendance existante " évoquée au point 9, à supposer d'ailleurs qu'un bâtiment y ait été régulièrement édifié auparavant. La réhabilitation envisagée implique en réalité la démolition / reconstruction d'une grange agricole traditionnelle de 153 m² de surface hors oeuvre brute afin de reconstruire un bâtiment à usage d'habitation réalisé avec des matériaux contemporains ainsi que le précise la lettre du 12 juin 2014 signée du pétitionnaire et de son architecte, ce nouvel ensemble étant prolongé ainsi que précisé au point 7 par deux constructions caractérisant une emprise supplémentaire de plus de 50 m² par rapport au corps de ferme pris dans son volume originel, avant démolition. Un tel projet ne peut donc en l'espèce être regardé comme " une adaptation, un changement de destination, une réfection ou une extension de construction existante " au sens des dispositions de la carte communale de Lorleau alors même que la régularisation de constructions édifiées sans autorisation n'y serait pas proscrite par principe.
14. Dans ces conditions et à supposer même que la SCI la Chèvre d'Or puisse utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme relatives aux reconstructions à l'identique de bâtiments démolis, les requérantes sont également fondées à soutenir que le permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions de la carte communale de Lorleau citées au point 12.
15. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le permis de construire tacite né le 30 août 2014 est entaché d'illégalité.
Sur les conclusions de la SCI la Chèvre d'Or tendant à la mise en oeuvre des dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :
16. Aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en oeuvre de l'article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation, même après l'achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d'annulation partielle est motivé ". Aux termes de l'article L. 600-5-1 du même code : " Sans préjudice de la mise en oeuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ".
17. Compte tenu des deux motifs d'illégalité retenus, des incertitudes relatives à la réalité du projet que la SCI la Chèvre d'Or entend mettre en oeuvre et de la nécessité de redéfinir, le cas échéant, un projet conforme à la règle applicable à l'extérieur du secteur SC de la carte communale rappelée au point 12, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de celle-ci tendant à ce que la cour use des pouvoirs qu'elle tient des dispositions précitées des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.
18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que la commune de Lorleau et l'ADELPL sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à l'annulation du permis de construire tacite délivré à la SCI la Chèvre d'Or.
Sur les frais liés au litige:
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Lorleau et de l'ADELPL qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SCI la Chèvre d'Or réclame au titre des frais liés au litige.
20. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme globale de 1 500 euros à la commune de Lorleau et à l'ADELPL.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 5 juillet 2016 du tribunal administratif de Rouen et le permis de construire tacite du 30 août 2014 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la SCI la Chèvre d'Or tendant à la mise en oeuvre des dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera à la commune de Lorleau et à l'ADELPL une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Lorleau, à l'association de défense de l'environnement Lorleau Pays de Lyons, à la SCI la Chèvre d'Or, au ministre de la transition écologique et solidaire et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Eure.
N°16DA01517 7