Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2016, et un mémoire, enregistré le 14 février 2018, la société Wiemeijer, Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV, représentée par la SELARL Claisse et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 30 avril 2014 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Leu d'Esserent la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel Richard, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,
- et les observations de Me B...A...représentant la société Wiemeijer, Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV.
Considérant ce qui suit :
1. La société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV est propriétaire d'un immeuble situé 5 place Baroche à Saint-Leu d'Esserent (Oise), sur des parcelles cadastrées XB 11 - 88 - 221 - 224 et AI 292. Par une délibération du 24 juin 2013, le conseil municipal a autorisé son maire à entamer la procédure prévue aux articles L. 2243-1 et suivants du code général des collectivités territoriales en vue de déclarer ces parcelles en état d'abandon manifeste. Un procès-verbal provisoire d'état d'abandon de cet immeuble a été rédigé par le maire le 1er août 2013 et, en l'absence de réalisation des travaux que ce procès-verbal prévoyait, le maire a dressé un procès-verbal définitif le 21 mars 2014. Par une délibération du 30 avril 2014, le conseil municipal a déclaré cet immeuble en état d'abandon manifeste et a autorisé le maire à poursuivre la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique. La société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV relève appel du jugement du 28 juin 2016 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la délibération du 30 avril 2014.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des termes du jugement attaqué que, pour répondre au moyen de la société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV tiré de ce que les parcelles visées par la procédure d'abandon manifeste n'étaient pas situées " à l'intérieur du périmètre de l'agglomération de la commune " comme l'exigent les dispositions de l'article L. 2243-1 du code général des collectivités territoriales, le tribunal s'est fondé sur de nombreux extraits du rapport de présentation qui explicitent les principales caractéristiques du quartier dans lequel se trouvent ces parcelles. Ces extraits ont été versés aux débats et largement commentés par la commune dans son mémoire en réplique du 26 avril 2016, lequel n'a pas été communiqué par le tribunal à la société requérante. Dans ces conditions et alors même qu'elle a versé au dossier de sa propre initiative une carte issue du plan local d'urbanisme pour étayer son moyen, la société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV, qui n'a pas eu connaissance des pièces précises sur lesquelles la commune a bâti son argumentation en défense et sur lesquelles le tribunal s'est appuyé pour écarter son moyen, est fondée à soutenir que le jugement contesté a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire et qu'il est entaché d'irrégularité. Par suite, le jugement du 28 juin 2016 doit être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV.
Sur la légalité de la délibération du 30 avril 2014 :
4. Aux termes de l'article L. 2243-2 du code général des collectivités territoriales : " Le maire constate, par procès-verbal provisoire, l'abandon manifeste d'une parcelle, après qu'il a été procédé à la détermination de celle-ci ainsi qu'à la recherche dans le fichier immobilier ou au livre foncier des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres intéressés. Ce procès-verbal indique la nature des désordres affectant le bien auxquels il convient de remédier pour faire cesser l'état d'abandon manifeste. Le procès-verbal provisoire d'abandon manifeste est affiché pendant trois mois à la mairie et sur les lieux concernés; il fait l'objet d'une insertion dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans le département. En outre, le procès-verbal provisoire d'abandon manifeste est notifié aux propriétaires, aux titulaires de droits réels et aux autres intéressés, à peine de nullité, cette notification reproduit intégralement les termes des articles L. 2243-1 à L. 2243-4. Si l'un des propriétaires, titulaires de droits réels ou autres intéressés n'a pu être identifié ou si son domicile n'est pas connu, la notification le concernant est valablement faite à la mairie ".
5. Le procès-verbal provisoire établi le 1er août 2013 par le maire vise le rapport des services de police municipale établi le 29 juillet 2013, souligne la nécessité de procéder à une liste de " travaux indispensables pour faire cesser l'état d'abandon manifeste " lesquels comprennent notamment " les vitres à changer sur l'ensemble du bâtiment, crépir les murs de la maison et de la clôture Place Baroche, (la) destruction des deux auvents et du bâtiment préfabriqué, supprimer le compteur électrique, étêter les arbres autour du bâtiment, remplacer le portail près de Norchim, remplacement du grillage abîmé par la végétation et retirer l'ensemble des graffitis ". De tels éléments ont permis à la société de connaître de façon suffisamment précise la nature des désordres affectant le bien auxquels il lui appartenait de remédier pour faire cesser l'état d'abandon manifeste. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la délibération est intervenue sur le fondement d'un procès-verbal provisoire insuffisamment motivé au regard des dispositions de l'article L. 2243-2 ci-dessus reproduites.
6. La délibération attaquée, intitulée " procédure définitive d'abandon de parcelle ", après avoir visé les articles L. 2243-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, rappelle que le conseil municipal a décidé d'engager cette procédure par une délibération du 24 juin 2013 et qu'un procès-verbal provisoire a été établi s'agissant de l'état d'abandon des parcelles en litige et notifié à la société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV, propriétaire de ces parcelles. Elle précise également que les procès-verbaux établis les 1er août 2013 et 21 mars 2014 ont permis d'établir que la société intéressée n'avait pas réalisé les travaux de nature à remédier à cette situation et que " cet immeuble, après acquisition par la commune et l'exécution des travaux d'aménagement nécessaires, pourrait être affecté aux besoins d'activités portuaires telle que l'installation d'un chantier naval et qu'en conséquence, l'immeuble concerné est déclaré en état d'abandon manifeste et que le maire est autorisé à poursuivre la procédure d'expropriation dans les conditions prévues aux articles L. 2243-3 et L. 2243-4 du code général des collectivités territoriales ". De telles indications permettaient à la société requérante de comprendre les motifs pour lesquelles ses parcelles ont été déclarées en état d'abandon manifeste et la nature du projet poursuivi. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette délibération doit dès lors être écarté.
7. Aux termes de l'article L. 2243-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa version alors applicable : " Lorsque, dans une commune, des immeubles, parties d'immeubles, voies privées assorties d'une servitude de passage public, installations et terrains sans occupant à titre habituel ne sont manifestement plus entretenus, le maire, à la demande du conseil municipal, engage la procédure de déclaration de la parcelle concernée en état d'abandon manifeste./ La procédure de déclaration en état d'abandon manifeste ne peut être mise en oeuvre qu'à l'intérieur du périmètre d'agglomération de la commune ".
8. Il ressort des pièces du dossier et notamment des extraits du plan local d'urbanisme produits par les parties que les parcelles en litige se situent, au sein d'un quartier largement bâti, dans une zone d'activités entre la voie ferrée et l'Oise qui n'est pas séparée du reste de l'agglomération. Elles doivent dès lors être regardées comme étant comprises dans le périmètre d'agglomération de la commune au sens des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2243-1 du code général des collectivités territoriales. Par suite, le moyen de la société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV tiré de ce que ses parcelles n'auraient pas été situées dans un tel périmètre en méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
9. Aux termes de l'article L. 2243-3 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " A l'issue d'un délai de six mois à compter de l'exécution des mesures de publicité et des notifications prévues à l'article L. 2243-2, le maire constate par un procès-verbal définitif l'état d'abandon manifeste de la parcelle ; ce procès-verbal est tenu à la disposition du public. Le maire saisit le conseil municipal qui décide s'il y a lieu de déclarer la parcelle en état d'abandon manifeste et d'en poursuivre l'expropriation au profit de la commune, d'un organisme y ayant vocation ou d'un concessionnaire d'une opération d'aménagement visé à l'article L. 300-4 du code de l'urbanisme, en vue soit de la construction ou de la réhabilitation aux fins d'habitat, soit de tout objet d'intérêt collectif relevant d'une opération de restauration, de rénovation ou d'aménagement. / La procédure tendant à la déclaration d'état d'abandon manifeste ne peut être poursuivie si, pendant le délai mentionné à l'alinéa précédent, les propriétaires ont mis fin à l'état d'abandon ou se sont engagés à effectuer les travaux propres à y mettre fin définis par convention avec le maire, dans un délai fixé par cette dernière. / (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier, notamment des courriers transmis par le maire à la société entre 2009 et le 9 avril 2013 et du rapport de police municipale du 30 janvier 2012 que l'état d'abandon de la parcelle était déjà caractérisé lorsque le conseil municipal a demandé au maire, par sa délibération du 24 juin 2013, d'engager la procédure prévue aux articles L. 2243-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. La société requérante se prévaut d'un procès-verbal de constat du 5 juillet 2013 relatif à divers travaux qu'elle a fait réaliser depuis 2009, plusieurs ouvriers étant ainsi intervenus entre le 28 mai 2013 et 14 juin 2013 pour réparer le grillage de clôture et procéder à l'enlèvement de la friche arbustive ainsi qu'au comblement de diverses ouvertures dans le bâtiment, pour un coût total de l'ordre de 10 000 euros. Il ressort toutefois des pièces du dossier, en particulier du rapport de police établi le 19 mars 2014, que la société n'a pas procédé, dans le délai de six mois courant à compter de la notification du procès-verbal provisoire du 1er août 2013, à la réfection de son bien de nature à permettre de mettre fin à l'état d'abandon manifeste dans lequel elle l'a laissé. En particulier, la présence d'un compteur électrique avec plusieurs fils apparents demeuré accessible aux personnes extérieures, plusieurs constructions du site menaçant de s'effondrer et l'ensemble du bâtiment demeurant.dans un état de vétusté révèlent l'absence de tout entretien rudimentaire Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que, postérieurement à la notification qui lui a été faite du procès-verbal provisoire, la société ait entrepris la réalisation de travaux complémentaires ni qu'elle se soit rapprochée de la commune en vue de conclure un accord avec le maire sur ce point, ainsi que le prévoient les dispositions précitées de l'article L. 2243-3 du code général des collectivités territoriales. Il s'ensuit qu'à la date à laquelle la délibération attaquée est intervenue et malgré le fait, à le supposer établi, qu'une partie des dégradations constatées serait la conséquence de multiples intrusions illégales sur la propriété, l'état d'abandon manifeste des parcelles de la société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV devait être regardé comme suffisamment caractérisé.
11. Ainsi qu'il a été dit au point 6, la délibération attaquée précise que la procédure d'abandon manifeste a été engagée en vue de l'utilisation de l'emplacement du bien abandonné dans le cadre d'activités portuaires, telle que l'installation d'un chantier naval. Un tel projet, en lien avec l'activité économique de la commune, correspond à un intérêt collectif relevant d'une opération de restauration, de rénovation ou d'aménagement, visée par l'article L. 2243-3 du code général des collectivités territoriales.
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 10 et 11 que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 2243-3 du code général des collectivités territoriales doit être écarté.
13. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le conseil municipal ait pris la délibération en litige dans un but étranger à celui pour lequel la procédure de déclaration de parcelle en état d'abandon manifeste a été instituée aux articles L. 2243-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. La circonstance que de nombreuses procédures aient été engagées à l'égard de la société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV afin d'obtenir la remise en état de son bien ou que des pourparlers aient été menés afin d'obtenir la vente de cette parcelle au bénéfice d'une société voisine ne suffisent pas à caractériser en l'espèce le détournement de pouvoir dont se prévaut la société requérante. Par suite, un tel moyen doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV n'est pas fondée à demander l'annulation de la délibération attaquée du conseil municipal de la commune de Saint-Leu d'Esserent en date du 30 avril 2014.
Sur les frais liés au litige:
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Leu d'Esserent qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV demande au titre des frais liés au litige.
16. En revanche, il y a lieu, sur le fondement de ces dernières dispositions, de mettre à la charge de la société Wiemeijer Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV le paiement de la somme de 1 500 euros à la commune de Saint-Leu d'Esserent au titre des mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 28 juin 2016 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : La demande de la société Wiemeijer, Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société Wiemeijer, Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La société Wiemeijer, Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV versera à la commune de Saint-Leu d'Esserent une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Wiemeijer, Beleggingsmaatschappij Wiemeijer BV et à la commune de Saint-Leu d'Esserent.
N°16DA01660 6