Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, initialement enregistrés les 7 juillet 2014 et 5 mars 2015 sous le n° 14DA01161, et des mémoires, enregistrés sous le n° 18DA01834, après renvoi de l'affaire par le Conseil d'Etat, les 22 janvier, 22 février et 16 avril 2019, la société Cora, représentée par la SELARL Létang et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 1er avril 2014 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial a accordé à la société SCCV Grand Nord l'autorisation préalable requise en vue de la création d'un ensemble commercial d'une surface de vente de 29 145 m² à Dunkerque (Nord) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu la décision attaquée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,
- et les observations de Me B...F..., représentant la société Cora, de Me C...E..., représentant la société Supermarchés Match et la Fédération des groupements commerciaux des Flandres et du littoral, de MeH..., représentant la SCCV Grand Nord, et de Me D...A..., représentant la commune de Dunkerque.
Une note en délibéré, enregistrée le 9 mai 2019, a été présentée par la société Supermarchés Match et la Fédération des groupements commerciaux des Flandres et du littoral.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 1er avril 2014, la Commission nationale d'aménagement commercial a accordé à la société civile de construction vente (SCCV) Grand Nord l'autorisation de créer un ensemble commercial d'une surface de vente de 29 145 m² à Dunkerque. Cette décision a été contestée devant la cour par quatre requêtes présentées, en premier lieu, par la société Cora, en deuxième lieu, par la société Carcoop, en troisième lieu, par la SAS Supermarchés Match et la Fédération des groupements commerciaux des Flandres et du littoral et, en quatrième lieu, par l'Assemblée de défense de l'environnement du littoral Flandres-Artois. Par un arrêt nos 14DA01161, 14DA01173, 14DA01222, 14DA01227 du 2 avril 2015, la cour, après avoir joint ces quatre demandes, les a rejetées. Par une décision n° 390646 du 12 septembre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé ces affaires à la cour.
2. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles se prononcent sur un projet d'exploitation commerciale soumis à autorisation en application de l'article L. 752-1 du code de commerce, d'apprécier la conformité de ce projet aux objectifs prévus à l'article L. 750-1 du code de commerce, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du même code. L'autorisation ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet compromet la réalisation de ces objectifs. Lorsque l'instruction fait apparaître que, pour satisfaire aux objectifs fixés par le législateur en matière d'aménagement du territoire ou de développement durable, des aménagements sont nécessaires, l'autorisation ne peut être accordée que si la réalisation de tels aménagements à l'ouverture de l'ensemble commercial est suffisamment certaine.
3. Le projet de la SCCV Grand Nord consiste à créer, sur le site dit de " Noort Gracht ", sur le territoire de la commune de Dunkerque, un ensemble commercial d'une surface de vente totale de 29 145 m² comprenant un hypermarché de 6 000 m², un commerce alimentaire spécialisé de 401 m², vingt-cinq grandes et moyennes surfaces et quarante boutiques et kiosques. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la demande d'autorisation d'exploitation commerciale présentée par la SCCV Grand Nord, que ce projet s'intègre dans une opération plus vaste, portée par la communauté urbaine de Dunkerque, comportant également la construction, sur le même site, à l'initiative de cet établissement, d'un complexe sportif et événementiel dénommé " Arena ", ainsi que la réalisation d'aménagements communs pour assurer la desserte routière du site et le stationnement des véhicules, pour un montant estimé de 5,12 millions d'euros. Ainsi, il résulte des termes de la décision en litige que plusieurs aménagements routiers sont prévus pour absorber le surcroît de trafic induit par ce projet, notamment l'aménagement de l'échangeur n° 58 sur l'autoroute A16, et que ces travaux doivent être intégralement pris en charge par la communauté urbaine de Dunkerque et réalisés au plus tard en septembre 2015, à l'ouverture de l'Arena. De même, la Commission nationale d'aménagement commercial a relevé dans sa décision que, si la desserte du site d'implantation du projet par les transports en commun n'est pas satisfaisante, la communauté urbaine de Dunkerque s'est engagée à assurer une desserte de qualité dès l'ouverture du centre commercial et de l'Arena. L'ensemble de ces engagements figurait effectivement dans une lettre du président de la communauté urbaine de Dunkerque du 3 juillet 2013 produite par la SCCV Grand Nord à l'appui de sa demande.
4. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, les élections municipales des 13 et 30 mars 2014 avaient conduit à un changement de majorité au conseil municipal de Dunkerque et avaient été remportées par une liste ouvertement hostile à cette opération. Le candidat tête de liste et futur maire de Dunkerque, M.G..., avait, dès le 26 mars 2014, après avoir remporté le premier tour des élections, adressé une lettre au président de la Commission nationale d'aménagement commercial pour lui faire part de sa " totale opposition à l'ensemble du projet "Grande salle de sport Arena et centre commercial Grand Nord" " et de sa volonté, dès son élection, de " mettre tout en oeuvre pour annuler ces projets ". Il ne faisait pas de doute que M. G... avait vocation à être élu en qualité de maire de Dunkerque lors de la prochaine séance du conseil municipal. En outre, en raison notamment du poids de la ville au sein de la communauté urbaine de Dunkerque, il était probable que l'intéressé soit également élu président de la communauté urbaine lors de la première réunion du conseil communautaire et que cet établissement renonce, à son initiative et conformément à ses engagements de campagne, à la poursuite du projet de l'Arena, ce qui s'est d'ailleurs effectivement produit. Dès lors, compte tenu du lien étroit existant entre le projet de l'Arena et celui de la pétitionnaire, la victoire de cette liste aux élections municipales était de nature à compromettre la réalisation des aménagements routiers prévus par le projet pour assurer la desserte du site, lesquels ne pouvaient plus être considérés comme suffisamment certains. Dans ces conditions, en se fondant, pour considérer que le projet de la SCCV Grand Nord satisfait aux objectifs fixés par le législateur en matière d'aménagement du territoire et de développement durable, sur l'engagement de la communauté urbaine de Dunkerque de réaliser les aménagements routiers nécessaires pour absorber le surcroît de trafic lié à la fréquentation de l'ensemble commercial et de développer les transports publics pour assurer la desserte du site, alors que la réalisation de ces engagements ne présentait plus un caractère suffisamment certain à la date de sa décision, la Commission nationale d'aménagement commercial a commis une erreur d'appréciation.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, que les sociétés et associations requérantes sont fondées à demander l'annulation de l'autorisation d'exploitation délivrée le 1er avril 2014 par la Commission nationale d'aménagement commercial à la SCCV Grand Nord.
Sur les frais liés au litige :
6. En application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros, d'une part, à la société Cora et, d'autre part, à la SAS Supermarchés Match et la Fédération des groupements commerciaux des Flandres et du littoral.
7. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Carcoop et à l'Assemblée de défense de l'environnement du littoral Flandres-Artois des sommes qu'elles demandent sur le même fondement.
8. Enfin, les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mis à la charge des requérantes, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement à la SCCV Grand Nord de la somme qu'elle demande sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision de la Commission nationale d'aménagement commercial du 1er avril 2014 délivrant à la SCCV Grand Nord l'autorisation d'exploitation sollicitée est annulée.
Article 2 : L'Etat versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 000 euros à la société Cora et la somme de 1 000 euros à la SAS Supermarchés Match et la Fédération des groupements commerciaux des Flandres et du littoral.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cora, à la société Carcoop, à la société SAS Supermarchés Match, à la Fédération des groupements commerciaux des Flandres et du littoral, à l'Assemblée de défense de l'environnement du littoral Flandres-Artois, à la commune de Dunkerque, à la société SCCV Grand Nord à la Commission nationale d'aménagement commercial et au ministre de l'économie et des finances.
N°18DA01834 2