Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 février 2019, Mme C...D..., représentée par Me B...E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de prendre en charge sa demande d'asile dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur la régularité du jugement :
1. A l'appui de sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 26 novembre 2018 par lequel le préfet du Nord a ordonné son transfert aux autorités finlandaises, Mme D... soutenait notamment que c'est la république d'Estonie, et non pas la République de Finlande, qui lui a délivré un visa et doit donc être désignée comme l'Etat responsable de sa demande d'asile. La vice-présidente désignée par le président du tribunal administratif d'Amiens ne s'est pas prononcée sur ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, son jugement doit être annulé.
2. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif d'Amiens.
Sur la légalité de l'arrêté en litige :
3. Par un arrêté du 25 juillet 2018, le préfet du Nord a donné délégation à Mme A...F..., adjointe au chef du bureau de l'asile, à l'effet de signer notamment, en cas d'absence ou d'empêchement du chef de bureau, les arrêtés de transfert pris sur le fondement de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Mme D...n'est dès lors pas fondée à soutenir que l'arrêté en litige a été pris par une autorité incompétente.
4. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme D...a reçu communication, le 18 septembre 2018 à la préfecture de l'Oise, de notices contenant les informations visées par les dispositions citées au point précédent, rédigées en langue russe. Il résulte d'une attestation signée par l'appelante qu'elle a déclaré lire et comprendre le russe. Au demeurant, ces notices lui ont été remises à l'issue de l'entretien qui s'est tenu le même jour avec un agent de la préfecture de l'Oise et l'assistance d'un interprète en langue russe, et dont le compte rendu fait apparaître que l'intéressée a pu donner des indications précises sur son parcours et sa situation personnelle. Dès lors, Mme D...n'est pas fondée à soutenir que les informations prévues par les dispositions citées au point précédent ne lui ont pas été régulièrement communiquées dans une langue qu'elle comprend.
6. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend ".
7. Il ressort des pièces du dossier que la lettre de notification de l'arrêté en litige informe Mme D...qu'elle peut avertir un conseil ou une personne de son choix. En revanche, il ne résulte ni des termes de cette lettre, ni de l'arrêté en litige lui-même que Mme D...aurait été informée de la possibilité d'avertir son consulat, conformément aux dispositions citées au point précédent. Toutefois, les conditions de notification d'une décision administrative sont sans incidence sur sa légalité, qui s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lors de la notification de la décision de transfert litigieuse est, par suite, inopérant pour en contester la légalité.
8. Aux termes de l'article 12 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) 2. Si le demandeur est titulaire d'un visa en cours de validité, l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d'un autre État membre en vertu d'un accord de représentation prévu à l'article 8 du règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas. Dans ce cas, l'État membre représenté est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. / (...) / 4. Si le demandeur est seulement titulaire d'un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d'un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n'a pas quitté le territoire des États membres (...) ".
9. Il ressort des mentions du fichier Visabio, consulté par la préfecture dans le cadre de l'instruction de la demande de MmeD..., que celle-ci a obtenu, sous une autre identité, la délivrance, le 17 août 2018 à Astana, d'un visa délivré par l'ambassade d'Estonie au Kazakhstan, celle-ci assurant la représentation des autorités finlandaises. Il ressort des pièces du dossier que les autorités finlandaises, saisies par la France d'une demande de prise en charge de Mme D...sur leur territoire, ont donné leur accord le 18 octobre 2018 sur le fondement des dispositions du paragraphe 4 de l'article 12 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, citées au point précédent. Si Mme D...affirme qu'elle était titulaire d'un visa délivré par les autorités estoniennes, et non finlandaises, de sorte que c'est la République d'Estonie qui serait l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, elle n'apporte, à l'appui de ce moyen, aucune précision ni aucun élément de preuve de nature à remettre en cause les mentions figurant dans le fichier Visabio et confirmées par l'accord délivré par les autorités finlandaises pour sa prise en charge. Mme D...n'est dès lors pas fondée à soutenir que la décision ordonnant son transfert aux autorités finlandaises est entachée d'une erreur de droit à ce titre.
10. Aux termes du premier paragraphe de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par ces dispositions, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
11. Si Mme D...fait valoir qu'elle a été victime d'un coup de poignard infligé par son ancien époux, qui a été condamné pour ces faits par un tribunal moscovite en 2018, il ne ressort des pièces du dossier, ni que son ancien époux serait sorti de prison, comme elle le soutient, ni que, dans cette hypothèse, il serait susceptible de se rendre en Finlande pour chercher à l'agresser à nouveau, ni enfin que les autorités de police finlandaises ne seraient pas en mesure de protéger l'appelante contre un tel risque. Par ailleurs, Mme D...ne démontre pas qu'elle doit subir une intervention chirurgicale, ni n'allègue qu'elle ne serait pas en mesure de recevoir, en Finlande, les soins éventuellement requis par son état de santé. Enfin, l'appelante n'apporte aucune précision à l'appui de son argument selon lequel les autorités finlandaises ne seraient pas en mesure de traiter sa demande d'asile. Dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, en ne décidant pas d'examiner la demande d'asile de MmeD..., le préfet du Nord n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions citées au point précédent.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 26 novembre 2018 par lequel le préfet du Nord a ordonné son transfert aux autorités finlandaises. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées, de même que la demande présentée par son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement de la vice-présidente désignée par le président du tribunal administratif d'Amiens du 12 décembre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme D...et le surplus des conclusions qu'elle présente devant la cour sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...D..., au ministre de l'intérieur et à Me B...E....
N°19DA00289 2