Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 février 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement ;
2°) de rejeter la demande de première instance tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination.
Elle soutient que :
- M. B...ne démontre pas être originaire de la région du Darfour ;
- il ne démontre pas être exposé à un risque réel et personnel de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour au Soudan.
La requête a été communiquée à M. A...B...qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'à la suite de son interpellation, le 12 octobre 2015, dans l'enceinte clôturée de la gare ferroviaire du lien fixe transmanche, M.B..., se disant ressortissant soudanais né au Darfour le 3 février 1983, a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Pas-de-Calais du 13 octobre 2015 lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français à destination du Soudan du Nord, exclusivement vers l'Etat de Khartoum, ou de tout autre pays où il établirait être légalement admissible, et ordonnant son placement en rétention administrative ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 25 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le Soudan comme pays de destination ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. C. France, n° 18039/11) ;
3. Considérant que M. B...s'est présenté, lors de son audition par les services de police et dans sa requête introductive d'instance, comme originaire de la région du Darfour, au Soudan ; qu'il résulte de la fiche de saisine de l'unité centrale d'identification de la direction centrale de la police aux frontières par la préfecture du Pas-de-Calais, produite à l'instance, qu'une carte d'identité " République du Soudan - Province du Darfour " y était jointe ; que, dès lors, contrairement à qui est soutenu par la préfète du Pas-de-Calais, M. B...n'est pas démuni de tout document permettant de justifier de sa nationalité et de son identité ; que les mentions portées sur ce document ne sont pas contestées ; que, dès lors, l'intéressé a suffisamment établi être originaire du Darfour, au Soudan ;
4. Considérant que, eu égard à la détérioration de la situation au Soudan, telle qu'elle est décrite dans le rapport du Secrétaire général du conseil de sécurité des Nations unies sur l'opération hybride Union africaine - Nations unies au Darfour du 22 mars 2016, les régions du Darfour-Septentrional, soit l'Etat du Darfour-Nord, et du Darfour-Méridional, soit les Etats du Darfour-Central, du Darfour-Sud et du Darfour-Est, sont affectées par un degré de violence résultant d'un conflit armé interne d'un niveau si élevé qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'un civil renvoyé dans ces régions ou, comme c'est le cas des Soudanais originaires du Darfour-Occidental, ou Etat du Darfour-Ouest, contraint de les traverser pour rejoindre sa région d'origine courrait, du seul fait de sa présence sur ce territoire, un risque réel de subir une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison de la violence qui prévaut dans cette région, sans considération de la situation personnelle des personnes qui y résident ou qui la traversent ; que, dans ces conditions, M.B..., civil soudanais originaire du Darfour est, quelle que soit son ethnie d'origine, fondé à soutenir qu'il y est exposé à des traitements inhumains ou dégradants ; que, dès lors, la décision fixant le Soudan comme pays de destination de la mesure d'éloignement de M. B... méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que la préfète du Pas-de-Calais n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a, par l'article 1er du jugement attaqué, prononcé l'annulation de son arrêté du 13 octobre 2015 en tant qu'il désigne le Soudan comme pays de destination;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la préfète du Pas-de-Calais est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...B....
Copie en sera transmise pour information à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 2 juin 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Hadi Habchi, premier conseiller,
- Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.
Lu en audience publique le 16 juin 2016.
Le rapporteur,
Signé : A. FORT-BESNARDLe président-assesseur,
Signé : C. BERNIER
Le greffier,
Signé : S. DUPUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Sylviane Dupuis
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N°16DA00308 2