Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 août 2014 et le 21 janvier 2016, M. A... E..., Mme D...E...et M. I...E..., représentés par MeB..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 juin 2014 du tribunal administratif d'Amiens ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Laon à leur verser une somme de 50 000 euros en réparation de la perte de chance de survie de Mme F...C..., leur compagne et mère, et une somme de 20 000 euros chacun en réparation du préjudice moral subi à la suite du décès de celle-ci ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Laon le versement à chacun d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que le degré de gravité avéré ou potentiel de l'état de santé de la patiente a fait l'objet d'une évaluation insuffisante par le médecin régulateur du SAMU alors que les symptômes décrits étaient suffisants pour justifier une intervention urgente.
Par un mémoire, enregistré le 28 décembre 2015, le centre hospitalier de Laon, représenté par MeH..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'absence de prise en charge de Mme C...le 15 février 2008 est imputable à son refus conscient de prise en charge médicale ainsi qu'à l'absence de réaction de la famille qui n'a pas pris l'initiative de la conduire à l'hôpital ou de rappeler le lendemain le service des urgences ;
- en admettant que les fautes commises par la famille de la patiente ne soient pas de nature à exonérer totalement le centre hospitalier de sa responsabilité, la perte de chance de survie demeure très limitée.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Milard, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Guyau, rapporteur public.
1. Considérant que le 15 février 2008 à 22 heures 46, M.E..., après avoir initialement appelé les pompiers, a été mis en relation avec le service d'aide médicale urgente (SAMU) rattaché au centre hospitalier de Laon, au sujet de l'état de santé de sa compagne, Mme F...C..., qui présentait notamment des vomissements importants, une forte diarrhée et un ictère sur tout le corps ; que cette dernière est décédée le 16 février 2008 vers 20 heures à son domicile ; que M. A...E..., Mme D...E...et M. I...E..., après avoir vainement porté plainte contre les médecins du SAMU, ont recherché, en leur qualité d'ayants droit de MmeC..., la responsabilité du centre hospitalier de Laon à raison de la faute commise dans l'organisation et le fonctionnement du service d'aide médicale urgente ; que les consorts E...relèvent appel du jugement du 26 juin 2014 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 6311-1 du code de la santé publique : " L'aide médicale urgente a pour objet, en relation notamment avec les dispositifs communaux et départementaux d'organisation des secours, de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état. " ; qu'il résulte des dispositions des articles R. 6311-1 à R. 6311-13 du même code que le centre de réception et de régulation des appels du SAMU rattaché à un établissement public de santé est chargé d'assurer une écoute médicale permanente, de déterminer et déclencher la réponse la mieux adaptée à la nature des appels, de s'assurer de la disponibilité des moyens d'hospitalisation adaptés à l'état du patient, d'organiser si besoin le transport dans un établissement de santé et de veiller à l'admission du patient ; que le médecin régulateur y est chargé d'évaluer la gravité de la situation et de mobiliser l'ensemble des ressources disponibles en vue d'apporter la réponse la plus appropriée à l'état du patient et de veiller à ce que les soins nécessaires lui soient effectivement délivrés ; qu'à cet effet, ce médecin est assisté de permanenciers auxiliaires de régulation médicale qui localisent l'appel et évaluent le caractère médical de la demande ; que la détermination par le médecin régulateur de la réponse la mieux adaptée se fonde sur trois critères, en l'occurrence l'estimation du degré de gravité avérée ou potentielle de l'atteinte à la personne concernée, l'appréciation du contexte, l'état et les délais d'intervention des ressources disponibles ; que ces appréciations reposent sur un dialogue entre le médecin régulateur et la personne concernée, ou, le cas échéant, son entourage ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, en particulier de la retranscription des entretiens téléphoniques des appels de M. E...avec la permanencière du SAMU le 15 février 2008 à 22 heures 46 et à 23 heures 22 que si les premiers symptômes décrits par l'intéressé en ce qui concerne l'état de santé de sa compagne faisaient état de vomissements, d'une diarrhée très importante et d'un ictère sur tout le corps, celui-ci avait également mentionné que sa compagne avait consommé de l'alcool et qu'elle était atteinte d'une cirrhose ; qu'au vu des éléments transmis par la permanencière du SAMU et des symptômes décrits , le médecin régulateur n'a toutefois pas procédé à une estimation plus approfondie du degré de gravité avérée ou potentielle de l'atteinte de la patiente ; qu'ainsi, alors même que Mme C...aurait déclaré à son compagnon qu'elle ne voulait pas être hospitalisée, le praticien a sous-évalué l'état médical de l'intéressée au vu de la symptomatologie constatée par la permanencière et s'est abstenu d'engager une médicalisation de la prise en charge de la patiente ; que ces éléments de fait sont de nature à caractériser l'existence d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service d'aide médicale urgente rattaché au centre hospitalier de Laon dont la responsabilité doit dès lors être engagée ;
Sur l'évaluation des préjudices :
4. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'autopsie, que le décès de Mme C...le 16 février 2008 vers 20 heures a pour origine une hémorragie digestive compliquée par une inhalation trachéo-bronchique consécutive à une cirrhose associée à l'apparition d'un ictère et d'un épanchement de liquide dans l'abdomen ; que compte tenu de l'état de santé très dégradé de Mme C...lors de la survenance des faits, l'absence d'intervention des services d'urgence vingt-quatre heures avant son décès lui a fait perdre une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé qui peut être évaluée à 10 % ;
6. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par M. A...E..., Mme D...E...et M. I...E...à raison du décès de leur compagne et mère en les évaluant compte tenu du taux de perte de chance retenu à la somme de 3 000 euros pour M. A...E...et à 1 000 euros pour chacun des deux enfants ; qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Laon à verser à M. A...E...une somme de 3 000 euros, à Mme D...E...et à M. I...E...chacun une somme de 1 000 euros ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts E...sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Laon le versement à M. A...E..., à Mme D...E...et à M. I... E...d'une somme globale de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1202696 du tribunal administratif d'Amiens du 26 juin 2014 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Laon est condamné à verser une somme de 3 000 euros à M. A...E...ainsi qu'une somme de 1 000 euros chacun à Mme D...E...et à M. I... E....
Article 3 : Le centre hospitalier de Laon versera à M. A...E...et autres une somme globale de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A...E...et autres est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...E..., à Mme D...E..., à M. I...E..., au centre hospitalier de Laon et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne.
Délibéré après l'audience publique du 1er mars 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Michel Hoffmann, président de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- Mme Muriel Milard, premier conseiller,
Lu en audience publique le 15 mars 2016.
Le rapporteur,
Signé : M. MILARDLe président de chambre,
Signé : M. G...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°14DA01442 2