Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2020, sous le n° 20DA01929, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen.
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II. Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2020, sous le n° 20DA01957, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour de prononcer le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen du 5 novembre 2020.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité géorgienne, né le 18 juin 1991, entré irrégulièrement en France a présenté le 24 février 2020 une demande d'admission au séjour au titre de l'asile. La consultation des données de l'unité centrale Eurodac a révélé que ses empreintes avaient préalablement été relevées par les autorités allemandes le 22 janvier 2018. Le préfet de la Seine-Maritime a, le 2 mars 2020, saisi les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge, en application de l'article 18-1 d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui a fait l'objet d'un accord explicite le 10 mars 2020. Par un arrêté du 23 septembre 2020, le préfet de la Seine-Maritime a ordonné le transfert de M. C... aux autorités allemandes. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 5 novembre 2020 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté. Il demande également, par une requête distincte, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
2. Les requêtes enregistrées sous le n° 20DA01929 et le n° 20DA01957 présentées par le préfet de la Seine-Maritime, sont dirigées contre le même jugement et concernent la situation d'une même personne. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 20DA01929 :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le jugement contesté :
3. Pour annuler l'arrêté du 23 septembre 2020 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a ordonné le transfert aux autorités allemandes de M. C..., le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a estimé que le préfet s'était fondé sur l'absence de l'intéressé à deux convocations, les 4 et 10 juillet 2020, alors que leur objet n'était pas précisé, qu'à ces dates, celui-ci ne s'était pas encore vu notifier l'arrêté de transfert et qu'en tout état de cause, il n'avait pas été informé de l'acceptation des autorités allemandes de le reprendre en charge, ni que le préfet aurait décidé du transfert de l'intéressé et accompli les démarches en vue de la notification de l'arrêté. Il en a déduit que M. C... ne pouvait être regardé comme s'étant soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement et qu'ainsi, le préfet de la Seine-Maritime ne pouvait regarder l'intéressé comme étant en fuite au sens de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 et estimer que le délai de transfert de six mois avait été porté à dix-huit mois.
4. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. C... s'est vu adresser par lettres recommandées avec accusé de réception des 4 mai 2020 et 16 juin 2020 deux convocations à se rendre le 4 juin 2020 et le 10 juillet 2020 dans les services de la préfecture du Nord dans le cadre de l'instruction de sa demande d'asile. Ces convocations portaient la mention expresse selon laquelle " en cas d'absences répétées à mes convocations, vous pouvez être déclaré en fuite ". Si ces plis recommandés sont revenus avec la mention pli avisé et non réclamé, M. C... reconnaît selon ses propres écritures qu'il ne s'est pas présenté à ces convocations " à cause d'empêchements individuels ". Il n'a cependant pas justifié de motif valable de nature à justifier son absence alors que ces convocations l'informaient qu'il pouvait faire l'objet d'une notification d'un arrêté de transfert auprès des autorités responsables de sa demande d'asile. En outre, il a clairement indiqué lors de son entretien individuel qu'il ne souhaitait pas être reconduit en Allemagne. Par suite, l'intéressé, qui s'est volontairement soustrait, dans le délai de six mois prévu par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013, à deux convocations en vue de son transfert, doit être regardé comme ayant pris la fuite, au sens du même article. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune disposition législative ou réglementaire que l'Etat membre requérant ait l'obligation de notifier à l'étranger l'accord de reprise en charge de l'Etat responsable de sa demande d'asile. Il résulte de l'ensemble de ces éléments, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé, pour ce motif, l'arrêté du 23 septembre 2020 en litige.
5. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen.
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 23 septembre 2020 :
6. L'arrêté du 23 septembre 2020 a été signé par M. B... A..., chef du pôle régional Dublin, qui disposait, par arrêté n° 20-69 du 4 septembre 2020, publié au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture du même jour, d'une délégation afin de signer les arrêtés de transfert pris dans le cadre du règlement Dublin. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté.
7. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. "
8. Il ressort des pièces du dossier et, notamment, du compte-rendu de l'entretien individuel mené le 24 février 2020 que M. C... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans les locaux de la préfecture de l'Oise par un agent de la préfecture qualifié avec l'assistance d'un interprète en langue géorgienne, selon des modalités permettant le respect de la confidentialité. Par ailleurs, lors du dépôt de sa demande d'asile, le 24 février 2020, M. C... a déclaré parler, lire et comprendre le géorgien. Contrairement à ce que soutient le requérant, il lui a été remis en mains propres à l'issue de cet entretien une copie de celui-ci. En outre, lors de cet entretien du 24 février 2020, il a été assisté d'un interprète en langue géorgienne et il a pu être vérifié qu'il avait correctement compris les informations dont il devait avoir connaissance, notamment le fait que l'entretien s'inscrivait dans un processus de détermination de l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile. Il a, enfin, disposé d'un délai raisonnable pour apprécier en toute connaissance de cause la portée de ces informations et la possibilité de formuler des observations avant le 23 septembre 2020, date à laquelle le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités allemandes. Dès lors, les moyens tirés de ce que la décision de transfert aurait été prise en méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 et de ce que M. C... n'aurait pas pu présenter des observations doivent être écartés.
9. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
10. D'une part, il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que le préfet de la Seine-Maritime, qui a notamment relevé que l'Allemagne ne présente aucune défaillance systémique au sens de l'article 3-2 du règlement n° 604/2013 et que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. C... ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressé alors même qu'elle n'en était pas responsable.
11. D'autre part, l'Allemagne étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités allemandes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
12. M. C... soutient qu'il fait l'objet d'une mesure d'éloignement en Allemagne et qu'il craint d'être renvoyé dans son pays d'origine par les autorités allemandes, dès son retour sur leur territoire. Cependant, il n'établit pas, par les pièces produites au dossier, qu'une telle décision a été prise à son encontre, ni qu'il aurait épuisé toutes les voies de recours contre cette décision des autorités allemandes. Par ailleurs, M. C... ne produit aucun document de nature à établir que la situation générale en Allemagne ne permettrait pas d'y assurer un niveau de protection suffisant aux demandeurs d'asile et que son transfert vers ce pays l'exposerait à un risque personnel de traitement inhumain ou dégradant. Il ne fournit aucune précision, ni aucun élément sur le séjour qu'il a effectué en Allemagne avant de se rendre en France, sur sa durée et les difficultés qu'il y aurait rencontrées, notamment en termes d'accueil ou de traitement de sa demande d'asile. Il ne ressort pas plus des pièces du dossier que sa demande ne serait pas traitée par les autorités allemandes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, en décidant de prononcer le transfert de M. C... vers les autorités allemandes compétentes, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement précité.
13. Aux termes de l'article 13 de la directive 2003/09/CE du 27 janvier 2003 : " 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs d'asile aient accès aux conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils introduisent leur demande d'asile. / 2. Les États membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d'accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d'assurer la subsistance des demandeurs. / (...) ".
14. M. C..., en sa qualité de demandeur d'asile dont la demande relevait de la compétence d'un autre Etat européen, pouvait solliciter le bénéfice des conditions minimales d'accueil en France jusqu'à sa remise effective aux autorités de l'autre Etat de l'Union en application des dispositions de la directive 2003/09/CE du 27 janvier 2003, conformément à ce qu'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 27 septembre 2012 (aff. C-179/11). Il pouvait, également, le cas échéant, saisir le juge des référés en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative afin de faire respecter son droit à un hébergement ou au bénéfice de l'allocation temporaire d'attente. En revanche, il ne peut utilement se prévaloir d'éventuels manquements commis à ce titre par l'administration, pour demander l'annulation de la décision de remise aux autorités de l'autre Etat de l'Union, qui est prise indépendamment de ces modalités d'accueil.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 23 septembre 2020 de transfert aux autorités allemandes de M. C.... Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. C... à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
Sur la requête n° 20DA01957 :
16. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 20DA01957 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2003740 du 5 novembre 2020 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20DA01957 tendant au sursis à l'exécution du jugement.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... C....
Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
N°20DA01929,20DA01957 2