Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 juillet 2019 et le 8 septembre 2020, l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon, représenté par Me A... F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé sa décision du 17 juin 2017 et l'a condamné à verser à M. E... la somme de 1 000 euros en indemnisation du préjudice subi et 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de mettre à la charge de M. E... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que dès lors qu'aucun des faits allégués par M. E... n'est établi et n'est d'ailleurs constitutif de harcèlement moral ou de discrimination, l'arrêt de travail de ce dernier à compter du 2 juin 2014 n'est pas imputable au service.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2020, M. E..., représenté par Me D... C..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 1 000 euros au titre du préjudice résultant du refus d'imputer au service l'arrêt de travail à compter du 2 juin 2014 ;
3°) de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon à lui verser une somme de 25 000 euros en indemnisation des préjudices résultant de l'arrêt de travail à compter du 2 juin 2014, une somme de 25 000 euros en indemnisation des préjudices résultant des faits de harcèlement moral et de discrimination syndicale dont il a été victime, et une somme de 8 000 euros en indemnisation des préjudices subis en raison de l'atteinte à sa vie privée ;
4°) de mettre à la charge de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;
- le décret n° 2008-1191 du 17 novembre 2008 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Khater, premier conseiller,
- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,
- et les observations de Me A... F... pour l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., aide-soignant exerçant ses fonctions au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon depuis 2008, a été placé en arrêt de travail pour maladie le 2 juin 2014. Le 30 septembre 2014, il a déposé, pour cette même maladie, un syndrome anxio-dépressif réactionnel, une déclaration d'accident de service. Le directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de cette maladie, par une décision expresse du 27 juin 2017, malgré un avis en faveur de l'imputabilité au service émis par la commission de réforme réunie le 29 novembre 2016 rendu après l'expertise du docteur Lanoy en date du 3 novembre 2016. Par trois demandes enregistrées sous les numéros 1603206, 1605495, 1707566, M. E... a demandé au tribunal administratif de Lille l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé pendant plus de deux mois par le directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon sur sa demande tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident du 2 juin 2014, l'annulation de la décision du 27 juin 2017 par laquelle le directeur de cet établissement a refusé la reconnaissance de l'imputabilité au service de cet accident et la condamnation de l'établissement à lui verser la somme de 58 000 euros en indemnisation des préjudices subis du fait des conséquences de cet accident, du harcèlement moral et de la discrimination dont il a été victime et de l'atteinte à sa vie privée. Par le jugement attaqué du 23 mai 2019, le tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de deux mois par le directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon sur la demande formée par M. E... tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'arrêt de travail survenu à compter du 2 juin 2014, a annulé la décision du directeur de l'établissement du 27 juin 2017, a condamné l'établissement à verser à M. E... une somme de 1 000 euros en indemnisation du préjudice moral subi, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions des parties. L'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon estimant sa décision de refus d'imputabilité au service de l'arrêt de travail à compter du 2 juin 2014 légale, et M. E..., par la voie de l'appel incident, estimant son indemnisation insuffisante, relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'annulation de la décision du 27 juin 2017 refusant la reconnaissance d'imputabilité au service de l'arrêt de travail à compter du 2 juin 2014 :
2. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
3. M. E..., pour justifier du lien direct entre son état dépressif et ses conditions de travail, produit les différents avis d'arrêt de travail qui mentionnent à partir du 29 septembre 2014 un " syndrome anxio-dépressif et des problèmes relationnels au travail ". Il se prévaut, en outre, de l'avis de la commission de réforme hospitalière, rendu en sa séance du 29 novembre 2016, qui s'est prononcée en faveur d'une reconnaissance d'imputabilité au service de ce syndrome anxio-dépressif, sur la base d'une expertise, réalisée le 3 novembre 2016, par le docteur Lanoy, ayant conclu en ce sens. L'expert y indique, à l'examen de M. E..., " que la décompensation thymique venue compliquer la vulnérabilité psychique révélées par les troubles des conduites alimentaires a trouvé sa source dans l'altération de l'estime de soi, à la faveur du conflit professionnel. La présomption d'imputabilité peut être retenue ". M. E... invoque également l'expertise du docteur Morawski réalisée le 18 novembre 2015 qui conclut à " l'imputabilité du travail dans ses troubles psychiques ".
4. Toutefois, aucune de ces pièces, et notamment les expertises des docteurs Lanoy et Morawski, qui s'appuient sur les seules déclarations de M. E..., ni aucun des témoignages et pièces produits par l'intéressé ne permet de retenir qu'il aurait été victime, comme il le soutient, de discrimination ou de propos ou attitudes vexatoires de la part de la direction de l'établissement, en raison de son activité syndicale ou de son orientation sexuelle, et qui auraient été de nature à créer un contexte professionnel pathogène. En particulier, si M. E... se plaint de propos et comportements homophobes de la part de la direction à son encontre, les propos évoqués se résument à un échange avec une collègue, remontant à l'année 2010 et dont la teneur exacte n'est pas établie. En outre, s'il n'est pas contesté qu'un compte-rendu de réunion syndicale a accolé au nom de M. E... le titre de civilité " madame " dans la liste des participants, il s'agit d'une simple erreur matérielle survenue fortuitement et qui au demeurant n'a pas été reproduite dans le corps du compte-rendu. S'agissant de ses conditions de travail, si M. E... soutient avoir été contraint de travailler de jour, et non de nuit, en dépit des préconisations des médecins du travail, il est établi qu'il a pu prendre son poste la nuit au cours des mois de janvier et février, à l'exception de neuf jours durant lesquels il a effectué son service le jour, et qu'il a ensuite travaillé de nuit durant deux semaines du mois de mars puis l'ensemble des mois d'avril et de mai 2014. Enfin, s'agissant de son activité syndicale, il n'est établi par aucune pièce du dossier qu'il aurait été empêché dans l'exercice de cette activité ou aurait subi des discriminations en raison de son engagement. L'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a tenu pour établie l'existence d'un lien direct entre le syndrome dépressif dont est atteint M. E... et l'exercice de ses fonctions ou ses conditions de travail. Par suite, il y a lieu, dès lors que M. E... ne soulevait en première instance et ne soulève en appel aucun autre moyen de légalité à l'encontre de la décision litigieuse, de rejeter la demande en annulation de la décision du 27 juin 2017 lui refusant la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'arrêt de travail à compter du 2 juin 2014.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne l'arrêt de travail du 2 juin 2014 :
5. Il résulte du point 3 du présent arrêt que l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon n'a commis aucune faute en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'arrêt de travail déclaré le 2 juin 2014 pour un syndrome anxio-dépressif, alors qu'il n'est pas établi que ce syndrome trouve son origine directe dans les conditions de travail de M. E.... Par suite, c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a condamné l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon à payer à M. E... une somme de 1 000 euros en indemnisation de son préjudice moral. Il y a lieu également de rejeter les conclusions d'appel incident formées par M. E... tendant à lui allouer la somme de 25 000 euros en indemnisation des préjudices subis du fait de cet arrêt.
En ce qui concerne le harcèlement moral :
6. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés (...) ".
7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
8. En l'espèce, pour soutenir qu'il aurait été victime d'agissements répétés constitutifs de harcèlement moral, M. E... se plaint de propos et de comportements homophobes tenus à son encontre, d'une dégradation délibérée de ses conditions de travail, de manoeuvres vexatoires durant le déroulement de ses congés pour maladie et de mesures injustifiées de contrôle de ses arrêts de travail. Toutefois, ainsi qu'il a été énoncé au point 3 du présent arrêt, il n'apporte aucun élément susceptible de faire présumer l'existence du harcèlement qu'il invoque et de nature à remettre en cause les motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 12 à 14 du jugement attaqué, qu'il y a lieu d'adopter.
En ce qui concerne la discrimination syndicale :
9. Aux termes de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses (...) ". Le juge, lors de la contestation d'une décision dont il est soutenu qu'elle serait empreinte de discrimination, doit attendre du fonctionnaire qui s'estime lésé par une telle mesure qu'il soumette au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de l'égalité de traitement des personnes. Il incombe alors au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
10. En l'espèce, M. E... prétend que les agissements de son employeur qu'il qualifie de harcèlement ont revêtu un caractère discriminatoire en raison de ses responsabilités syndicales. Toutefois, ainsi qu'il a été jugé au point 3 du présent arrêt, aucun de ces faits n'a été établi dans sa matérialité ou n'a pas été légalement justifié. De manière générale, M. E... n'apporte aucun élément susceptible de faire présumer l'existence de la discrimination qu'il invoque et de nature à remettre en cause les motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 16 du jugement attaqué, qu'il y a lieu d'adopter.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 9 du présent arrêt que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas retenu la responsabilité de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon à son égard pour des faits de harcèlement et de discrimination et ont rejeté ses conclusions indemnitaires présentées à ce titre.
En ce qui concerne l'atteinte à la vie privée :
12. M. E... reproche, en dernier lieu, au directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon d'avoir délibérément divulgué son orientation sexuelle au personnel de l'établissement. Toutefois, le témoignage d'une collègue confirmant cette allégation, par son imprécision, ne permet pas d'en établir la réalité, pas plus que l'erreur matérielle sur le titre de civilité de l'intéressé sur un affichage de compte-rendu. C'est donc à juste titre que les premiers juges n'ont pas retenu la responsabilité de l'établissement à l'égard de M. E... sur ce fondement et ont rejeté ses conclusions indemnitaires présentées à ce titre.
13. Il résulte de tout ce qui précède que l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon est fondé à demander l'annulation du jugement n°1603206, 1605495, 1707566 du 23 mai 2019 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a annulé sa décision du 17 juin 2017 et l'a condamné à verser à M. E... la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice subi et 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions d'appel incident de M. E... doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées sur le même fondement par M. E... ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1603206, 1605495, 1707566 du 23 mai 2019 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il a annulé la décision du directeur de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon, en date du 17 juin 2017, refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'arrêt de travail de M. E... à compter du 2 juin 2014 et qu'il a condamné l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon à verser à M. E... les sommes de 1 000 euros en réparation du préjudice subi et 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : Les conclusions de M. E... présentées par la voie de l'appel incident et sa demande devant le tribunal sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Trélon est rejeté.
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N°19DA01645