Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 mai et 17 novembre 2021, sous le n°21DA01152, M. A..., représenté par Me Benoît David, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a limité à 500 euros la somme mise à la charge de l'Etat et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 15 000 euros en indemnisation de son préjudice moral ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation par celui-ci à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
II. Par une requête, enregistrée le 30 juin 2021, sous le n° 21DA01531, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour :
1°) d'annuler ce même jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, première conseillère,
- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., incarcéré au centre pénitentiaire de Longuenesse, a contesté ses conditions de détention qu'il estimait particulièrement dégradées du fait des grèves de l'administration pénitentiaire s'étant déroulées entre les 14 et 25 janvier 2018. Il relève appel du jugement du 30 avril 2021 du tribunal administratif de Lille en tant qu'après avoir estimé que la responsabilité de l'Etat était engagée, il a limité à 500 euros la somme mise à la charge de l'Etat en indemnisation de son préjudice moral. Le ministre de la justice relève appel du même jugement en ce qu'il a fait droit à la demande de M. A... tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Etat et à la condamnation de celui-ci à l'indemniser de son préjudice moral.
2. Les requêtes enregistrées sous le n°21DA01152 et le n°21DA01531 présentées par M. A... et le garde des sceaux, ministre de la justice, concernent le même jugement et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
3. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants". Aux termes de l'article D. 349 du code de procédure pénale : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ".
4. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des articles D. 349 à D. 351 du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer.
5. Il ressort des pièces du dossier que les conditions de vie imposées à M. A... au cours de sa détention au centre pénitentiaire de Longuenesse se sont dégradées pendant une période de neuf jours à raison d'un mouvement de grève du personnel de ce centre entre les 14 et 25 janvier 2018. Si le ministre reconnaît, dans ses propres écritures, que l'accès aux douches n'a pas toujours été assuré pendant cette période, M. A... a toutefois disposé d'un lavabo et de l'eau chaude dans sa cellule ainsi que d'un kit d'hygiène qui lui avait été distribué le 11 janvier 2018. Ainsi, les conditions d'hygiène, bien que dégradées, ont été assurées. Ensuite, s'il est établi que l'entrée des visiteurs n'a pas été autorisée et que l'accès au téléphone n'a pu être assuré que de manière sporadique, aucun parloir n'était prévu pendant cette période pour M. A... et l'intéressé avait déjà en temps normal très peu de communications téléphoniques. S'il est également établi que les promenades et les activités n'ont pas pu avoir lieu pendant la période concernée, cette privation n'a eu lieu que sur une courte durée et est justifiée par les contraintes de sécurité résultant du mouvement social du personnel pénitentiaire auquel l'administration était confrontée. En ce qui concerne la distribution des repas, celle-ci a été assurée avec la mise en place d'un service unique de deux repas quotidiens sur une période courte de six jours du 19 au 24 janvier 2018. Enfin, s'agissant du ramassage des déchets, le ministre établit par l'attestation d'un surveillant pénitentiaire que ce ramassage a été opéré de manière régulière pendant la période concernée. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'eu égard à la courte durée de la période en cause et compte-tenu des efforts de l'administration pour assurer des conditions de détention les plus correctes possibles malgré le mouvement social auquel elle était confrontée, les conditions de détention de M. A..., qui n'établit ni même allègue avoir été dans une situation de vulnérabilité particulière pendant la période du 14 au 25 janvier 2018, bien que dégradées, ne peuvent être regardées comme ayant porté atteinte à la dignité humaine et comme ayant privé l'intéressé de son droit au maintien des relations familiales. Il en résulte qu'aucun manquement fautif n'est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, qu'il y a lieu de prononcer l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 500 euros en indemnisation de son préjudice moral, de rejeter la demande de première instance de M. A... devant ce tribunal et de prononcer le rejet de la requête de M. A... ainsi que ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1811587 du 30 avril 2021 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La requête de M. A... et sa demande présentée devant le tribunal administratif de Lille sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
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N°s 21DA01152, 21DA01531