2°) d'annuler l'arrêté du 11 avril 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant son transfert aux autorités allemandes ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de prendre en charge sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat dans les conditions prévues par l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., de nationalité afghane, né le 12 mai 1997, entré en France en juillet 2017 selon ses déclarations, a présenté sous l'identité de M. B...A..., le 21 août 2017 puis le 6 mars 2018 auprès de la préfète de la Seine-Maritime une demande d'admission au séjour au titre de l'asile. Les contrôles effectués par les services de la préfecture, en particulier la consultation du fichier " Eurodac ", ont révélé que l'intéressé avait sollicité l'asile en Allemagne. La préfète de la Seine-Maritime a, le 13 septembre 2017, saisi les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge, en application de l'article 18-1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui a fait l'objet d'un accord exprès le 18 septembre 2017. Par un arrêté du 11 avril 2018, la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités allemandes. M. D...relève appel du jugement du 29 juin 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen rejetant sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée par la préfète de la Seine-Maritime :
2. La circonstance que M. D...ait été transféré aux autorités allemandes le 20 juin 2018 ne rend pas sans objet ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert. L'exception de non-lieu à statuer opposée par la préfète doit, par suite, être écartée.
Sur la légalité de la décision de transfert :
3. En premier lieu, l'arrêté contesté fait état des éléments de fait relatifs à la situation personnelle de l'intéressé, vise le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, cite les dispositions de l'article 18.1 b) et l'article 3 du chapitre III de ce règlement. Il relève qu'il résulte de l'examen de la consultation du fichier " Eurodac " que M. D...alias A...a sollicité l'asile en Allemagne et que les autorités allemandes ont fait connaître leur accord le 18 septembre 2017 pour la reprise en charge de l'intéressé, indiquant que ces autorités étaient responsables de sa demande d'asile. L'arrêté en litige comporte ainsi l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles il se fonde. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.
4. En deuxième lieu, les points ou considérants composant l'exposé des motifs d'un règlement des institutions de l'Union européenne étant dépourvus de valeur juridique, M. D... ne peut ainsi utilement se prévaloir des énonciations du point 21 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 qui préconisent que les résultats positifs obtenus dans " Eurodac " soient vérifiés par un expert en empreintes digitales qui ait reçu une formation, de manière à garantir la détermination exacte de la responsabilité au titre du règlement n° 604/2013. En tout état de cause, les moyens tirés du défaut d'obtention de l'accord de l'intéressé par les autorités allemandes avant la collecte de ses empreintes digitales et de l'absence de vérification de ces empreintes par un expert ne sont pas assortis de précisions suffisantes pour permettre au juge d'en apprécier le bien-fondé et doivent, par suite, être écartés.
5. En troisième lieu, M. D...réitère son moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Cependant, il n'apporte pas en appel d'éléments nouveaux de fait ou de droit de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le premier juge sur ce moyen. Par suite, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge, de l'écarter.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier, ainsi que cela ressort du résumé de la fiche d'entretien produite par l'autorité administrative, que M. D...a bénéficié le 21 août 2017 d'un entretien individuel et confidentiel mené par un agent de la préfecture, assisté d'un interprète en langue pachtou et à l'occasion duquel il a pu être vérifié qu'il avait correctement compris les informations dont il devait avoir connaissance, notamment le fait que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Allemagne et que l'entretien s'inscrivait dans un processus de détermination de l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile. Le compte-rendu de cet entretien a été signé par cet agent de la préfecture de Versailles qui doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national. Enfin, si M. D...fait valoir qu'il aurait dû bénéficier d'un nouvel entretien individuel dès lors que sa situation personnelle avait évolué puisqu'il vit en couple avec une ressortissante française, il n'établit cependant pas avoir porté ces éléments à la connaissance du préfet afin d'être entendu de nouveau sur sa situation personnelle et familiale. Par suite, le moyen tiré de ce que les obligations prévues à l'article 5 du règlement n'auraient pas été satisfaites doit être écarté.
8. En cinquième lieu, aux termes du 1 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Le transfert du demandeur (...) de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue (...) au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée (...) ". Par ailleurs, selon l'article 29.2 du même texte : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté (...) à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. D...a sollicité l'asile en Allemagne et que les autorités allemandes ont fait connaître leur accord le 18 septembre 2017. Ainsi le délai de six mois prévu par l'article 29.1 du règlement n° 604/2013 arrivait à expiration le 18 mars 2018. Toutefois, M. D...ne conteste pas sérieusement qu'il a refusé d'embarquer lors de l'exécution de la décision de transfert le 13 novembre 2017. L'intéressé a ainsi été déclaré en fuite et le délai de transfert a été reporté au 18 mars 2019, ainsi que cela ressort de l'extrait du fichier des personnes recherchées produit par la préfète. Par suite, les stipulations précitées de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'ont pas été méconnues.
10. En sixième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
11. La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
12. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, qui a notamment relevé que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. D...ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressé alors même qu'elle n'en était pas responsable. Par suite, M. D...n'est pas fondé à soutenir que l'autorité préfectorale n'a pas apprécié la possibilité d'examiner sa demande d'asile, ni qu'elle aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
13. Enfin, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) ". Aux termes de l'article 3 de la même convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ", et aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ".
14. Contrairement à ce que fait valoir M.D..., aucun élément ne permet d'établir qu'il risquerait d'être renvoyé en Afghanistan à son arrivée en Allemagne. Par ailleurs, l'intéressé n'apporte également aucun élément de nature à établir qu'il existerait un risque sérieux que sa demande d'asile ne soit pas traitée par les autorités allemandes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, en décidant de prononcer le transfert de M. D...vers les autorités allemandes compétentes, la préfète de la Seine-Maritime n'a pas méconnu les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que la demande présentée par son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...D...alias A...et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
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N°18DA02531