Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces, enregistrées les 30 octobre 2020 et 5 janvier 2021, M. D..., représenté par Me C... A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2 ) d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 1er octobre 2019 ;
3°) à titre subsidiaire, avant dire droit, de désigner un expert aux fins de déterminer si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait effectivement y bénéficier d'un traitement approprié ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire valable un an, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au profit de la Selarl A... et Inquimbert Avocats, qui renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant géorgien, né le 3 janvier 1988, déclare être entré en France le 5 janvier 2017. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 13 septembre 2017, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile en date du 24 mai 2018. Il a, en application de ces décisions, fait l'objet d'un refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français le 3 juillet 2018. Il avait cependant préalablement déposé, le 3 mai 2018, une demande de titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'aile. Par arrêté du 1er octobre 2019, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. D... relève appel du jugement du 28 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er octobre 2019.
Sur le refus de titre de séjour :
2. Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...). " Aux termes de l'article R. 313-23 du même code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre (...). Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...) Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège (...) ".
3. Aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; d) la durée prévisible du traitement. Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. Cet avis mentionne les éléments de procédure. Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".
4. En premier lieu, si M. D... fait valoir qu'il n'a pas eu connaissance de l'avis du collège médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire que le préfet serait tenu, avant de refuser à un étranger la délivrance d'un titre de séjour pour raisons médicales, de communiquer à l'intéressé, en l'absence de demande de sa part, l'avis de ce collège.
5. En deuxième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance par l'avis du collège médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des dispositions précitées de l'arrêté du 27 décembre 2016 n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.
6. En troisième lieu, pour refuser d'accorder à M. D... un titre de séjour pour raison médicale, le préfet de la Seine-Maritime a estimé, au vu notamment de l'avis émis le 10 avril 2019 par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration que, si l'état de santé de l'intéressé rendait nécessaire une prise en charge médicale et que le défaut de celle-ci pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, en revanche il pouvait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé. Pour contester cette allégation, M. D... invoque la gravité de plusieurs pathologies dont il souffre en versant au dossier des certificats médicaux, l'un établi le 23 mai 2019 par un médecin psychiatre du centre hospitalier du Havre, selon lequel " compte tenu de la spécialité, il ne semble pas envisageable qu'une prise en charge se fasse dans son pays d'origine ", l'autre en date du 12 juin 2019 selon lequel M. D... est " sous traitement de substitution aux opiacés ". Ces documents ne suffisent pas à remettre en cause l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui s'appuie sur la bibliothèque d'information sur le système de soins des pays d'origine développée par ses propres services. Enfin, en se bornant à invoquer, sans l'établir, l'impossibilité de substituer la molécule active du médicament qu'il prend, alors que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux qu'il invoque fait état des deux autres formes sous lesquelles ce médicament existe dans son pays d'origine, M. D... n'établit pas qu'il ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié en Géorgie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-11, 11°, précitées doit être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. En l'espèce, si M. D... soutient qu'il a fixé le centre de ses intérêts privés et familiaux en France, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé est célibataire et sans charge de famille sur le territoire français où il ne résidait que depuis deux ans et demi à la date de la décision attaquée. S'il invoque la présence de son cousin, M. E... D..., titulaire d'un titre de séjour et résidant au Havre, il n'apporte aucun élément quant à la nature des liens qu'il entretiendrait avec lui. M. D... invoque également la présence d'une compagne titulaire d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, mais n'apporte aucune précision sur l'ancienneté ni l'intensité de cette relation. S'il soutient, à l'appui de son recours, que ses parents et son frère résident en Russie et qu'il serait par suite isolé en cas de retour dans son pays d'origine, il ne l'établit pas, alors, au demeurant, qu'il a déclaré, à l'appui de sa demande de titre de séjour, que ses parents et son frère résidaient en Géorgie. Enfin, la seule circonstance qu'il bénéficierait d'une promesse d'embauche n'est pas de nature à lui conférer un droit au séjour. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté, ensemble le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le préfet de la Seine-Maritime sur sa situation personnelle.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 8 que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité du refus du titre de séjour à l'appui des conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
10. Par ailleurs, les moyens tirés du vice de procédure, de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-4, 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 2 à 8 du présent arrêt.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
11. En premier lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français et de fixer le pays à destination duquel il pourra être renvoyé en exécution de cette obligation, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, dans le cas prévu au 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du refus de titre de séjour et la décision fixant le pays de renvoi découle nécessairement de l'obligation de quitter le territoire français. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur ces deux décisions, dès lors qu'il a pu être entendu avant que n'intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour.
12. M. D... ne pouvait ignorer, en présentant sa demande de titre de séjour, qu'en cas de refus de cette demande, il pourrait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français assortie d'une décision fixant le pays de renvoi. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait été privé de la possibilité de présenter ses observations sur l'éventualité de telles décisions. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que l'édiction de la décision fixant le pays de renvoi aurait méconnu son droit à être entendu résultant de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
13. En se bornant à soutenir qu'il ne pourra pas bénéficier d'un traitement approprié à ses pathologies en cas de retour dans son pays d'origine, M. D... n'établit pas que la décision fixant le pays de renvoi, qui a été adoptée à l'issue d'un examen particulier des circonstances de l'espèce, méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise médicale qu'il demande, que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 1er octobre 2019. Il y a, par suite, lieu de rejeter sa requête, ensemble les conclusions aux fins d'injonction, d'astreinte et au titre des frais exposés et non compris dans les dépens dont elle est assortie.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., au ministre de l'intérieur et à Me C... A....
Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
N°20DA01694 2