Par un jugement n° 1708348 du 2 décembre 2020, le tribunal administratif de Lille a condamné le centre hospitalier régional universitaire de Lille à verser à Mme A... une somme totale de 3 525 euros en indemnisation de ses préjudices et à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut les sommes de 3 783,43 euros et de 1 091 euros respectivement en remboursement de ses débours et au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Le tribunal a également mis à la charge du centre hospitalier les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 200 euros et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 janvier 2021, Mme A..., représentée par Me Patrick Delbar, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;
2°) à titre principal, de porter à 14 520 euros la somme de 3 525 euros que le centre hospitalier régional universitaire de Lille a été condamné à lui verser en indemnisation des préjudices subis à la suite de sa prise en charge médicale ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise complémentaire ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Lille une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens taxés et liquidés à la somme de 1 200 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, première conseillère,
- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,
- et les observations de Me Candice Soonekindt, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., née le 21 février 1995, souffre d'une surdité profonde d'origine génétique, diagnostiquée à l'âge de deux ans et demi, qui a nécessité en 1999 une implantation cochléaire à l'oreille droite. A la suite d'une dégradation de cet implant, un changement de dispositif a été proposé et une réimplantation en ce sens a été pratiquée le 17 mars 2016 au centre hospitalier régional universitaire de Lille. En l'absence de réponse de l'implant et du fait de sensations vibratoires dans la gorge, un scanner a été réalisé le 13 mai 2016 et a mis en évidence un mauvais positionnement de l'appareil, qui a nécessité une nouvelle intervention chirurgicale le 2 juin 2016. Lors de cette intervention, un implant cochléaire a également été mis en place à l'oreille gauche. A la suite de cette intervention, et du premier réglage le 25 juin 2016, les résultats ont été considérés satisfaisants en janvier 2017.
2. Estimant que le centre hospitalier régional universitaire de Lille avait commis des fautes dans sa prise en charge médicale, Mme A... a recherché la responsabilité de cet établissement. Elle a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille d'une demande aux fins d'expertise et celle-ci a été ordonnée le 26 octobre 2017. Mme A... relève appel du jugement du 2 décembre 2020 du tribunal administratif de Lille en tant qu'après avoir estimé que la responsabilité du centre hospitalier était engagée à raison d'une faute médicale dans la pose de l'implant cochléaire dans l'oreille droite de l'intéressée et d'un retard de diagnostic de ce mauvais positionnement de l'implant, il a limité à 3 525 euros la somme mise à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Lille en indemnisation de ses préjudices et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.
Sur la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Lille :
En ce qui concerne la faute médicale :
3. Aucune des parties ne conteste l'engagement de la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Lille à raison d'une faute médicale dans la pose de l'implant cochléaire dans l'oreille droite de Mme A... réalisée le 17 mars 2016 et d'un retard de diagnostic de ce mauvais positionnement de l'implant.
En ce qui concerne le défaut d'information :
4. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.
5. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.
6. D'une part, Mme A... soutient qu'elle n'a reçu aucune information quant à l'intervention qui a été réalisée, en particulier sur le risque d'un mauvais positionnement de l'implant. Toutefois, s'il y a eu un mauvais positionnement de l'implant à l'oreille droite et un retard dans le diagnostic de celui-ci, ces erreurs constituent des fautes médicales qui, comme cela a été dit au point 3, engagent la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Lille, mais ne révèlent en elles-mêmes aucun manquement de ce dernier à son obligation d'information dès lors que le praticien ne pouvait, en raison de ses erreurs, informer la patiente d'une situation dont il n'avait lui-même pas connaissance. L'erreur de placement du dispositif ne constitue pas au sens des dispositions précitées un risque grave qui devait être porté à la connaissance du patient.
7. D'autre part, la circonstance que Mme A... n'a pas été opérée par le professeur initialement prévu, lequel, appelé à réaliser une autre intervention en urgence, a supervisé l'intervention qu'il a déléguée à son chef de clinique assistant, circonstance rendue en outre nécessaire par les modalités d'organisation et de fonctionnement du service d'otoneurologie du centre hospitalier régional universitaire de Lille, ne constitue pas un manquement du centre hospitalier à son obligation d'information. Enfin, Mme A... ne peut davantage invoquer un vice du consentement qui résulterait de cette circonstance dès lors qu'elle était usagère du service public hospitalier et à ce titre, ne pouvait exiger être opérée par un praticien en particulier.
Sur l'évaluation des préjudices de Mme A... :
8. Il ressort du rapport de l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Lille et contrairement à ce que soutient la requérante, que l'état de santé de Mme A... est consolidé à la date du 3 juin 2016, soit le lendemain de la seconde opération qui a permis de remédier au dommage initial et à l'occasion de laquelle un autre implant a aussi été mis en place à l'oreille gauche.
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
S'agissant des dépenses d'assistance par une tierce personne :
9. Mme A... demande une somme de 1 422 euros au titre de ce chef de préjudice en faisant valoir qu'elle a eu besoin d'une tierce personne à raison d'une heure par jour du 17 mars 2016 au 3 juin 2016, soit durant 79 jours. Elle soutient qu'elle était dans un état de surdité totale à la suite de l'intervention pratiquée le 17 mars 2016 au centre hospitalier régional universitaire de Lille, qui rendait nécessaire, pour les actes de la vie courante, une communication avec les tiers. Il résulte de l'instruction que Mme A... était appareillée depuis son plus jeune âge et sa mère atteste avoir dû lui apporter cette assistance au quotidien. Elle a ainsi droit à la réparation du préjudice résultant de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne du 17 avril 2016 au 3 juin 2016, date de consolidation de son état de santé, soit 47 jours, cette période excluant une période d'un mois, habituelle pour effectuer les réglages de l'implant. En retenant un taux de 13 euros de l'heure sur une base annuelle de 412 jours afin de tenir compte des congés payés et des charges sociales, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à Mme A... une somme de 690 euros à ce titre.
S'agissant du préjudice universitaire :
10. Mme A... persiste à demander la réparation du préjudice résultant de ce qu'elle a été contrainte de retarder son stage professionnel dont le premier jour était fixé au 1er juin 2016 du fait de l'état de surdité complète dont elle était atteinte à la suite de la faute du centre hospitalier. Il y a lieu de confirmer par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 12 du jugement attaqué le rejet de la demande d'indemnisation présentée à ce titre par l'intéressée.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
11. Mme A... demande une somme de 2 298 euros au titre de ce chef de préjudice en faisant valoir qu'elle a été dans un état de surdité totale du 17 mars 2016 au 1er juin 2016, puis a dû de nouveau être opérée le 2 juin 2016 et n'a finalement vu son état stabilisé que le 13 janvier 2017. Il résulte toutefois de l'instruction que Mme A... a été opérée le 17 mars 2016 et, comme le précise l'expert désigné par le tribunal, le premier réglage de l'implant a eu lieu un mois plus tard, comme cela est pratiqué habituellement. Ainsi, même en l'absence de tout manquement du centre hospitalier, Mme A... n'aurait pu commencer à recouvrer son audition qu'à compter du 17 avril 2016. Par suite, l'intéressée ne peut prétendre à une indemnisation au titre du déficit fonctionnel temporaire qu'elle a subi au taux de 50% qu'au titre de la période allant du 17 avril 2016 au 25 juin 2016, date à laquelle elle a retrouvé progressivement une audition à la suite du réglage suivant sa deuxième intervention chirurgicale réalisée le 2 juin 2016, soit 70 jours. Les premiers juges ont ainsi fait une juste évaluation du déficit fonctionnel temporaire partiel subi, sur la base de 15 euros par jour, soit un montant mensuel de 450 euros, en allouant à Mme A... une somme de 525 euros.
S'agissant des souffrances endurées:
12. Les douleurs éprouvées par Mme A... avant la consolidation de son état de santé fixée au 3 juin 2016 ont été estimées par le rapport d'expertise à 2,5 sur une échelle de 7. Les premiers juges ont fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en allouant à Mme A... une somme de 3 000 euros.
13. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise qui ne présente pas un caractère utile, que Mme A... est seulement fondée à demander que la somme de 3 525 euros que le centre hospitalier régional universitaire de Lille a été condamné à lui verser en indemnisation de l'ensemble de ses préjudices, par le jugement attaqué, soit portée à 4 215 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Lille le versement à Mme A... d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de rejeter les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut présentées au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 3 525 euros que le centre hospitalier régional universitaire de Lille a été condamné à verser à Mme A... par le jugement du 2 décembre 2020 est portée à 4 215 euros.
Article 2 : Le centre hospitalier régional universitaire de Lille versera à Mme A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le jugement n° 1708348 du 2 décembre 2020 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... et les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au centre hospitalier régional universitaire de Lille et à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut.
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N°21DA00169