Par une requête et un mémoire, enregistrée le 16 mars 2020 et le 26 juin 2020, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de première instance de M. H....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... C..., présidente de chambre,
- et les observations de M. E... H....
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 9 mars 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a, à la demande de M. H..., annulé les arrêtés du 3 février 2020 portant assignation à résidence et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des écritures de première instance que le préfet du Pas-de-Calais, dans son mémoire en défense enregistré le 26 février 2020, a formulé des conclusions au titre de l'article L. 741-2 du code de justice administrative tendant à ce que soit supprimé un passage qu'il estime diffamatoire dans les écritures du requérant. Il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif a visé ces conclusions mais s'est abstenu d'y répondre. Dès lors, ce jugement a été rendu dans des conditions irrégulières et doit être annulé.
3. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions du préfet au titre de l'article L. 741-2 du code de justice administrative et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées par M. H....
Sur les conclusions du préfet du Pas-de-Calais tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :
4. Aux termes de l'article L. 741-2 du code justice administrative : " Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers. "
5. Le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour de supprimer certains passages des écritures de M. H... sur le fondement des dispositions précitées. Toutefois, ni la requête introductive d'instance, ni les mémoires complémentaires de M. H... ne comportent des propos excédant la mesure de ce qui peut être toléré dans le cadre du débat contentieux. Les conclusions du préfet du Pas-de-Calais ne sauraient dès lors être accueillies.
Sur les conclusions de M. H... tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 février 2020 portant assignation à résidence :
6. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 5° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé. "
7. L'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a pour base légale le premier acte ou a été prise pour son application. En outre, s'agissant d'un acte non réglementaire, l'exception n'est recevable que si l'acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où, l'acte et la décision ultérieure constituant les éléments d'une même opération complexe, l'illégalité dont l'acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte.
8. M. H... fait valoir que le pli contenant l'arrêté du 27 décembre 2019 du préfet du Pas-de-Calais portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, sur lequel se fonde la décision du 3 février 2020 portant assignation à résidence, aurait été envoyé à une adresse incomplète alors que l'administration connaissait son adresse exacte et qu'il n'aurait jamais été destinataire de cet arrêté du 27 décembre 2019. Il ressort des pièces du dossier que ce pli a été expédié à l'adresse " résidence Clovis, rue d'Athènes, appt n°1 62000 Arras " qui, faute de préciser le numéro de l'immeuble, était incomplète. Toutefois, ce pli recommandé a été retourné à l'administration revêtu de la mention " pli avisé non réclamé ", avec la date du 28 décembre 2019 comme étant celle de sa présentation à l'intéressé. Ces mentions, qui font foi jusqu'à preuve du contraire et sont corroborées par les informations recueillies sur le site internet de La Poste, attestent par elles-mêmes du dépôt d'un avis de passage assorti de la mise en instance du pli recommandé en cause et que l'omission du numéro de l'immeuble de M. H... n'a eu aucune incidence sur la distribution effective du courrier. Dans ces conditions, l'arrêté du 27 décembre 2019 doit être regardé comme ayant été régulièrement notifié. Cette notification régulière ayant fait courir le délai de recours contentieux de trente jours, l'arrêté du 27 décembre 2019 était devenu définitif à la date du 10 février 2020 d'enregistrement de la requête au greffe du tribunal administratif de Lille. Par suite, M. H... n'était plus recevable à exciper de son illégalité. Le moyen tiré de l'exception de l'illégalité de l'arrêté du 27 décembre 2019 portant refus de renouvellement d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination à l'encontre de la décision portant assignation à résidence doit donc être écarté.
9. M. H... fait ensuite valoir qu'en l'assignant à résidence, le préfet du Pas-de-Calais a méconnu les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il n'a jamais été destinataire de l'arrêté du 27 décembre 2019. Toutefois, ainsi qu'il a été dit précédemment, cet arrêté doit être regardé comme lui ayant été régulièrement notifié. Par suite, le moyen doit être écarté.
10. Enfin, en se bornant à soutenir que le préfet aurait entaché sa décision d'assignation à résidence d'erreur manifeste d'appréciation, sans plus de précision, M. H... ne met pas le juge en mesure d'apprécier le bien-fondé de ce moyen.
11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 février 2020 portant assignation à résidence doivent être rejetées.
Sur les conclusions de M. H... tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 février 2020 prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :
12. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
13. Par un arrêté n° 2017-10-151 du 18 décembre 2017, publié le même jour au recueil spécial n° 121 des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. F... B..., chef du bureau du contentieux du droit des étrangers, à l'effet de signer, notamment, les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté manque ainsi en fait.
14. La décision d'interdiction de retour sur le territoire français vise le texte dont elle fait application et précise que M. H... est entré en France le 31 août 2016, qu'il est célibataire sans charge d'enfant, qu'il ne serait pas isolé en cas de retour dans son pays d'origine et qu'il ne représente pas une menace pour l'ordre public. Le préfet du Pas-de-Calais a ainsi suffisamment motivé sa décision de fixer à un an la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français.
15. Le droit d'être entendu, qui relève des droits de la défense figurant au nombre des principes généraux du droit de l'Union Européenne, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision d'éloignement, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne C-383/13 PPU du 10 septembre 2013, une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision défavorable est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie.
16. En l'espèce, M. H..., qui a sollicité le renouvellement de son titre de séjour, a été mis à même de faire valoir tous éléments d'information ou arguments de nature à influer sur le contenu des mesures susceptibles d'être prises à son encontre. En outre, il a été entendu par les services de la police aux frontières le 3 février 2020 et a pu présenter lors de son audition des observations orales relatives à sa situation de famille, ses études, ses attaches dans son pays d'origine, l'irrégularité de son séjour et la perspective de son éloignement. Alors même qu'il n'a pas été entendu de façon particulière sur le fait qu'une interdiction de retour sur le territoire français était susceptible d'être prise, le requérant a ainsi eu la possibilité, au cours de cet entretien, de faire connaître des observations utiles et pertinentes de nature à influer sur la décision prise à son encontre. Dans ces conditions, le droit d'être entendu de M. H... préalablement au prononcé de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français n'a pas été méconnu.
17. Pour les mêmes motifs que ceux cités au point 8, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de l'arrêté du 27 décembre 2019 portant notamment refus de renouvellement de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français, doit être écarté.
18. Enfin, si M. H... fait état d'une relation sentimentale récente avec une ressortissante russe en situation régulière et de sa volonté de poursuivre ses études en France, il ressort des pièces du dossier qu'il ne vivait en France que depuis trois ans et demi à la date de l'arrêté attaqué et qu'il ne justifie pas de liens intenses et stables sur le territoire national. Ainsi, bien que sa présence ne représente pas une menace pour l'ordre public, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 511-1 III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant une interdiction de retour d'une durée d'un an. Pour les mêmes motifs, il n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé les arrêtés du 3 février 2020 portant assignation à résidence et interdiction de retour d'une durée d'un an.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme demandée par Me G... au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000938 et n° 2001093 du tribunal administratif de Lille du 9 mars 2020 est annulé.
Article 2 : La demande de M. H... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 3 : Les conclusions du préfet du Pas-de-Calais au titre de l'article L. 741-2 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. E... H... et à Me D... G....
Copie sera adressé au préfet du Pas-de-Calais.
N°20DA00492 2