Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 mai 2018, M. C...A..., représenté par Me D...E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Seine-Maritime du 9 janvier 2018 ordonnant son transfert aux autorités italiennes ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de prendre en charge l'examen de sa demande d'asile sans délai à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F...A..., né le 29 mars 1992 de nationalité soudanaise, interjette appel du jugement du 6 février 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 janvier 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. M. C...A...ayant pris la fuite, le délai dans lequel les autorités françaises doivent assurer son transfert à destination de l'Italie a été porté à dix-huit mois.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. C...A...avait soulevé, dans son mémoire introductif d'instance, le moyen tiré de ce que la préfète de la Seine-Maritime n'établissait pas qu'il avait bénéficié d'un entretien individuel régulier, dans une langue qu'il comprenait, de façon confidentielle et mené par des personnes spécialement compétentes, et que l'arrêté en litige était, dès lors, entaché d'un vice de procédure tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le premier juge a omis de se prononcer sur l'une des branches de ce moyen, tenant à l'absence de qualification de l'agent ayant mené l'entretien, qui n'était pas inopérante. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens d'irrégularité du jugement, le jugement est irrégulier et doit être annulé.
3. Il y a, par suite, lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande présentée par M. C...A...devant le tribunal administratif de Rouen.
Sur la légalité de l'arrêté de transfert :
En ce qui concerne les conditions dans lesquelles les empreintes digitales de M. C...A...ont été prises :
4. Aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale telle que définie à l'article 20, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, accompagnée des données visées à l'article 11, points b) à g) du présent règlement ". Ni ces dispositions, qui font obligation aux demandeurs d'asile âgés de quatorze ans au moins d'accepter que leurs empreintes digitales soient relevées, ni aucune autre, ne prévoient que l'autorité compétente doive recueillir au préalable le consentement des intéressés. Le moyen tiré de ce que M. C... A...n'aurait donné son accord à cet effet ni aux autorités italiennes, ni aux autorités françaises est, par suite, inopérant.
5. Les dispositions du paragraphe 4 de l'article 25 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 prévoient qu'un expert en empreintes digitales vérifie immédiatement, dans l'Etat membre de réception, le résultat de la comparaison entre les empreintes digitales qu'il a transmises et les données dactyloscopiques enregistrées dans la base de données centrale du système " Eurodac ". Ainsi que l'énonce le point 21 de l'exposé des motifs de ce règlement, ces dispositions ont pour objet de garantir la détermination exacte de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile. Selon le même article 25, cette vérification constitue pour les Etats membres une obligation.
6. Au cas d'espèce, M. C...A..., qui indique lui-même avoir séjourné en Italie durant dix jours, se borne à soutenir que la comparaison entre ses empreintes digitales relevées en France et celles enregistrées dans la base de données centrale du système " Eurodac " n'aurait pas été réalisée par un expert compétent à cette fin. Il ne conteste toutefois aucune des informations issues de la comparaison de ses empreintes digitales avec les données contenues dans cette base de données. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 25 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 n'est ainsi pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne l'information dont M. C...A...a bénéficié :
7. Aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013: " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'Etat membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : / a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; / b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les Etats membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; / c) des destinataires des données ; d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1 / (...) ".
8. À la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 18, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2725/2000 du 11 décembre 2000, aujourd'hui reprises à l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'ensuit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles le préfet transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes de l'Etat qui s'est reconnu responsable de l'examen de sa demande.
9. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...) ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite (...) ; / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".
10. En l'absence d'élément contraire apporté par M. C... A..., qui en outre ne conteste pas avoir déclaré comprendre et lire l'arabe, la préfète de la Seine-Maritime établit, par la production de la première page des brochures communes signée par l'intéressé, lui avoir remis dans une langue qu'il comprend l'information prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
En ce qui concerne l'entretien personnel :
11. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
12. Il ressort du compte-rendu de l'entretien qui s'est déroulé le 25 octobre 2017 dans les locaux de la préfecture de la Seine-Maritime, que M. C... A...a été personnellement reçu par un agent de la préfecture de la Seine-Maritime, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien, alors même que son nom n'est pas précisé dans le compte-rendu. Il ressort du même document que l'entretien s'est déroulé avec l'assistance téléphonique d'un interprète en langue arabe, que l'intéressé avait déclaré comprendre, " dans une pièce fermée, de manière confidentielle et personnelle ". Par suite, le moyen tiré de ce que l'entretien individuel n'a pas été conforme aux dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
Sur la saisine des autorités italiennes :
13. Pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en mettant en oeuvre ces dispositions du règlement, et en l'absence de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisant une procédure différente, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet Etat. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressé, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis.
14. La préfète de la Seine-Maritime justifie avoir saisi les autorités italiennes en produisant l'accusé de réception par le réseau de communication électronique " DubliNet " de la demande de prise en charge de M. C...A...adressée à ces autorités le 25 octobre 2017. Il ressort également des pièces du dossier que les autorités italiennes n'ont donné aucune réponse à cette demande de reprise en charge dans les délais d'un mois ou de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 de l'article 25 du règlement n° 604/2013 du 23 juin 2013 ainsi que cela ressort du constat d'accord implicite produit. Par suite, les autorités italiennes doivent être regardées comme ayant tacitement donné leur accord à l'expiration de ces délais.. Dès lors, le moyen tiré de ce que la préfète n'établirait pas avoir requis les autorités italiennes et obtenu leur accord implicite pour prendre en charge M. C...A...avant de prendre l'arrêté de transfert en litige doit être écarté.
Sur la légalité interne de l'arrêté de transfert :
15. Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
16. L'Italie étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime aurait à tort considéré que cette présomption était irréfragable. M. C... A...ne produit, en outre, aucun élément propre à sa situation particulière, dont il résulterait que son dossier ne serait pas traité par les autorités italiennes dans des conditions répondant à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Enfin, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'en cas de rejet de cette demande, les autorités italiennes procéderaient à son renvoi vers le Soudan sans examiner au préalable s'il y serait soumis à des risques pour sa vie ou sa sécurité ou de subir des traitements inhumains ou dégradants. Par suite, en décidant de prononcer le transfert de M. C...A...vers l'Italie, la préfète de la Seine-Maritime n'a méconnu ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.
17. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
18. La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
19. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, qui a notamment relevé que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. C...A...ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressé alors même qu'elle n'en était pas responsable. La seule allégation de la présence en France d'un cousin de M. C...A..., n'est en outre pas de nature à regarder l'arrêté litigieux comme ayant méconnu les dispositions de l'article 17 précitées.
20. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent, et en l'absence de tout élément versé par M. C...A...à l'appui de ses allégations, que ce dernier n'est pas fondé à soutenir que la préfète de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen approfondi de sa situation, ni examiné la possibilité de traiter sa demande d'asile, ni, en l'absence d'éléments de nature exceptionnelle ou humanitaire invoqués, qu'elle aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
21. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...A...n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 9 janvier 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 6 février 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C...A...devant le tribunal administratif de Rouen et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F...A...et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA00892