Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 juillet 2018, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. La préfète de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 19 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé, à la demande de M.A..., ressortissant algérien né le 17 juillet 1971, sa décision du 12 janvier 2016 rejetant la demande de regroupement familial formée par l'intéressé au profit de son épouse, ainsi que la décision du 17 mai 2016 rejetant le recours gracieux dirigé contre cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, dans sa rédaction issue du troisième avenant à cet accord : " Les membres de famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. / Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. / (...) Peut être exclu de regroupement familial : / (...) / 2 Un membre de la famille séjournant à un autre titre ou irrégulièrement sur le territoire français. (...) ". Si les stipulations précitées permettent au préfet d'exclure du bénéfice du regroupement familial un membre de la famille séjournant irrégulièrement en France, il lui appartient de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'une décision refusant le bénéfice du regroupement familial sur le fondement de ces stipulations et des règlements pris pour leur application ne porte pas une atteinte excessive au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux termes desquelles : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Le tribunal a annulé les décisions contestées au motif qu'elles méconnaissaient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si la préfète soutient que la vie commune entre les époux n'est que de vingt et un mois et que leur enfant n'a que neuf mois, il n'est cependant pas contesté que M. A..., qui réside en France depuis l'âge de neuf ans, est titulaire d'une carte de résident algérien valable jusqu'en 2027 et travaille pour le même employeur depuis 1992. En outre, M. A... est père de trois autres enfants de nationalité française, et a la garde alternée des deux plus jeunes. Il ressort des pièces du dossier et notamment des diverses attestations produites, que son épouse contribue à l'éducation de ces deux enfants et que la garde alternée n'est rendue possible que grâce à sa présence au sein du domicile familial. Au surplus, Mme B...fait preuve d'une volonté d'intégration, notamment en ayant obtenu la transposition de ses diplômes, en ayant reçu la dispense d'une formation linguistique et conclu un contrat d'intégration républicaine. L'engagement d'une nouvelle procédure de regroupement familial aurait pour effet de séparer le couple pour un temps indéterminé ainsi que l'un des deux parents de son enfant. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que dans les circonstances particulières de l'espèce, la décision en litige rejetant la demande de regroupement familial présentée par M. A... avait porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et méconnaissait ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Seine-Maritime n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions en litige.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
5. L'exécution du présent arrêt n'appelle pas d'autre mesure d'exécution que celle qui a été prescrite par le tribunal administratif. Les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. A...ne peuvent, dès lors, être accueillies.
Sur les frais liés à l'instance :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A...de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la préfète de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A...une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. A...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à la préfète de la Seine-Maritime et à M. C...A....
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N°18DA01407