Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2018, Mme C..., représentée par Me B...A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Seine-Maritime du 20 avril 2018 ordonnant son transfert aux autorités espagnoles ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de prendre en charge l'examen de sa demande d'asile sans délai à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeC..., née le 27 avril 1987, ressortissante de la République de Guinée, interjette appel du jugement du 29 mai 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 avril 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Mme C...ayant été déclaré en fuite, le délai dans lequel les autorités françaises doivent assurer son transfert à destination de l'Italie a été porté à dix-huit mois.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. La demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme C...ayant été définitivement rejetée par décision du 28 juin 2018, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont devenues sans objet.
Sur les conditions dans lesquelles les empreintes digitales de Mme C...ont été prises :
3. Aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale telle que définie à l'article 20, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, accompagnée des données visées à l'article 11, points b) à g) du présent règlement / Le non-respect du délai de 72 heures n'exonère pas les États membres de l'obligation de relever et de transmettre les empreintes digitales au système central. (...) / 5. Le système central transmet automatiquement le résultat positif ou négatif de la comparaison à l'État membre d'origine (...) ". Ni ces dispositions, qui font obligation aux demandeurs d'asile âgés de quatorze ans au moins d'accepter que leurs empreintes digitales soient relevées, ni aucune autre, ne prévoient que l'autorité compétente doive recueillir au préalable le consentement des intéressés. Le moyen tiré de ce que Mme C...n'aurait donné son accord à cet effet ni aux autorités espagnoles, ni aux autorités françaises est, par suite, inopérant.
4. Les dispositions du paragraphe 4 de l'article 25 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 prévoient qu'un expert en empreintes digitales vérifie immédiatement, dans l'Etat membre de réception, le résultat de la comparaison entre les empreintes digitales qu'il a transmises et les données dactyloscopiques enregistrées dans la base de données centrale du système " Eurodac ". Ainsi que l'énonce le point 21 de l'exposé des motifs de ce règlement, ces dispositions ont pour objet de garantir la détermination exacte de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile. Selon le même article 25, cette vérification constitue pour les Etats membres une obligation.
5. Au cas d'espèce, MmeC..., qui indique elle-même avoir séjourné en Espagne, se borne à soutenir que la comparaison entre ses empreintes digitales relevées en France et celles enregistrées dans la base de données centrale du système " Eurodac " n'aurait pas été réalisée par un expert compétent à cette fin. Elle ne conteste toutefois aucune des informations issues de la comparaison de ses empreintes digitales avec les données contenues dans cette base de données. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 25 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 n'est ainsi pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit, par suite, être écarté.
6. Le dépassement du délai de transmission des empreintes digitales d'un demandeur d'asile au système central de l'application Eurodac ne fait pas obstacle, par lui-même, à l'intervention d'une décision de transfert de ce demandeur, lorsque cette demande relève de la responsabilité d'un autre Etat membre. Dès lors, la circonstance que les empreintes digitales de Mme C...n'auraient été transmises au système central qu'après l'expiration du délai prévu par les dispositions citées au point 2 est sans influence sur la légalité de la décision de transfert en litige.
Sur l'information dont Mme C...a bénéficié :
7. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...) ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite (...) ; / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".
8. La préfète de la Seine-Maritime établit, par la production de la première page des brochures communes signée par l'intéressée, lui avoir remis l'information prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Mme C...fait valoir que le compte rendu de son entretien individuel, qui a été réalisé en langue soussou, indique uniquement qu'elle parle cette langue, et que, dès lors, la préfète de la Seine-Maritime ne pouvait régulièrement lui remettre les brochures en langue française. Mme C...n'allègue toutefois pas ne pas parler ou comprendre la langue française, qui est au demeurant la langue officielle de son pays d'origine. Dans ces conditions, la requérante doit être regardée comme s'étant vu remettre, par écrit, à un moment où l'interprète était présent et sans que celui-ci n'ait fait état d'une quelconque réticence ou opposition de la part de MmeC..., les informations requises, dans une langue qu'elle comprend.
Sur l'entretien individuel :
9. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
10. Il ressort du compte-rendu de l'entretien qui s'est déroulé le 22 février 2018 dans les locaux de la préfecture de la Seine-Maritime, que Mme C...a été personnellement reçue par un agent de la préfecture de la Seine-Maritime, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien, alors même que seules ses initiales figurent sur le compte-rendu. Il ressort du même document que l'entretien s'est déroulé avec l'assistance téléphonique d'un interprète en langue soussou, que l'intéressée avait déclaré comprendre. Si, en outre, Mme C...soutient qu'il n'est pas établi que cet entretien se serait déroulé dans des conditions garantissant sa confidentialité, elle ne donne à cet égard aucune précision. Par suite, le moyen tiré de ce que l'entretien individuel n'a pas été conforme aux dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
Sur l'entrée irrégulière en Espagne et la saisine des autorités espagnoles :
11. Mme C...fait valoir qu'aucun élément du dossier ne permet de démontrer qu'elle est entrée irrégulièrement en Espagne, dès lors qu'elle a été secourue en mer et débarquée dans ce pays indépendamment de sa volonté. Toutefois, il ressort de l'arrêté attaqué que les autorités espagnoles ont identifié cette entrée comme correspondant à un franchissement irrégulier de la frontière espagnole. A défaut pour la requérante d'apporter des éléments de nature à contredire l'appréciation de ces autorités, qui pouvait être fondée sur de simples indices, la seule circonstance de son entrée par voie maritime en Espagne en qualité de naufragée secourue en mer, à la supposer établie, n'est pas par elle-même de nature à la faire regarder comme régulière. Par suite, le moyen soulevé tiré de l'absence de preuve de son entrée irrégulière en Espagne doit être écarté.
12. Pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en mettant en oeuvre ces dispositions du règlement, et en l'absence de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisant une procédure différente, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet Etat. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressée, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis.
13. La préfète de la Seine-Maritime justifie avoir saisi les autorités espagnoles en produisant l'accusé de réception par le réseau de communication électronique " DubliNet " de la demande de prise en charge de Mme C...adressée à ces autorités le 27 février 2018. Il ressort également des pièces du dossier que les autorités espagnoles ont expressément accepté de prendre en charge Mme C...le 8 mars 2018. Dès lors, le moyen tiré de ce que la préfète de la Seine-Maritime n'établirait pas avoir requis les autorités espagnoles et obtenu leur accord implicite pour prendre en charge Mme C...avant de prendre l'arrêté de transfert en litige doit être écarté.
Sur la motivation de l'arrêté contesté :
14. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
15. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
16. L'arrêté en litige vise le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et le règlement n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 modifié et précise, en particulier, que les autorités espagnoles, saisies le 27 février 2018 sur le fondement du paragraphe 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont accepté de la prendre en charge le 8 mars 2018. La circonstance qu'il ne soit pas fait mention de l'état de santé de MmeC..., dont la précarité n'est, au demeurant, pas établie, est sans incidence sur la légalité de cet arrêté. Il est, ainsi, suffisamment motivé.
Sur la légalité interne de l'arrêté de transfert :
17. Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
18. L'Espagne étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime aurait à tort considéré que cette présomption était irréfragable. Mme C...ne produit, en outre, aucun élément propre à sa situation particulière, dont il résulterait que son dossier ne serait pas traité par les autorités espagnoles dans des conditions répondant à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Enfin, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'en cas de rejet de cette demande, les autorités espagnoles procéderaient à son renvoi vers la République de Guinée sans examiner au préalable si elle y serait soumise à des risques pour sa vie ou sa sécurité ou de subir des traitements inhumains ou dégradants. Par suite, en décidant de prononcer le transfert de Mme C... vers l'Espagne, la préfète de la Seine-Maritime n'a méconnu ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.
19. Ainsi qu'il a été dit au point 11, Mme C...n'établit pas qu'elle ne serait pas entrée irrégulièrement en Espagne. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la Seine-Maritime ne pouvait saisir les autorités espagnoles en application de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut donc qu'être écarté.
20. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
21. La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
22. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, qui a notamment relevé que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de Mme C...ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressée alors même qu'elle n'en était pas responsable. La circonstance que son état de santé serait fragile, au demeurant non établie par la seule production d'un certificat médical faisant état de cicatrices sur son épaule gauche, son bras gauche, et sa jambe droite, et de problèmes de sommeil, n'est en outre pas de nature à regarder l'arrêté litigieux comme ayant méconnu les dispositions de l'article 17 précitées.
23. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent, et en l'absence de tout élément versé par Mme C...sur sa situation personnelle et notamment d'élément précis sur son état de santé, que cette dernière n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen approfondi de sa situation, ni examiné la possibilité de traiter sa demande d'asile, ni, en l'absence d'éléments de nature exceptionnelle ou humanitaire invoqués, qu'elle aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
24. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle présentée par MmeC....
Article 2 : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C...et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA01566