Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 février 2018 et le 27 août 2018, M. A..., représenté par Me B...C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen du 15 janvier 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2017 de la préfète de la Seine-Maritime ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sous la même condition de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son avocat dans les conditions prévues par l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant afghan, né le 31 octobre 1992, a sollicité auprès de la préfète de la Seine-Maritime le 26 septembre 2017 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé que l'intéressé avait été identifié comme demandeur d'asile en Bulgarie et en Roumanie. Par un arrêté du 14 décembre 2017, la préfète de la Seine-Maritime a ordonné son transfert aux autorités bulgares. M. A...relève appel du jugement du 15 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, les articles 20 et suivants du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride fixent les règles selon lesquelles sont organisées les procédures de prise en charge ou de reprise en charge d'un demandeur d'asile par l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile. Ces articles déterminent notamment les conditions dans lesquelles l'Etat sur le territoire duquel se trouve le demandeur d'asile, requiert de l'Etat qu'il estime responsable de l'examen de la demande de prendre ou de reprendre en charge le demandeur d'asile.
3. L'article 26 du règlement du 26 juin 2013 précise que : " 1. Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable (...) ". Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ". Pour être suffisamment motivée, afin de mettre l'intéressé à même de critiquer, notamment, l'application du critère de détermination de l'Etat responsable de sa demande et, ainsi, d'exercer le droit à un recours effectif garanti par les dispositions de l'article 27 du règlement du 26 juin 2013, éclairées par son considérant 19, la décision de transfert doit permettre d'identifier le critère de responsabilité retenu par l'autorité administrative parmi ceux énoncés au chapitre III ou, à défaut, au paragraphe 2 de l'article 3 du règlement et, le cas échéant, faire apparaître les éléments pris en considération par l'administration pour appliquer l'ordre de priorité établi entre ces critères, en vertu des articles 7 et 3 du même règlement.
4. L'arrêté du 14 décembre 2017 en litige, qui vise les articles L. 742-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précise que " les contrôles effectués en application de l'article 9 du règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ont révélé que M. A...avait été précédemment identifié en tant que demandeur d'asile par les autorités bulgares et roumaines sous les numéros BG1BR103C1607080008 et RO1IF101T1610200644 ". L'arrêté énonce ensuite que " les autorités bulgares et roumaines ont été saisies d'une demande de reprise en charge de la demande d'asile de M. A...sur le fondement de l'article 18 1 b du règlement n° 604/2013 " et que " le 6 octobre 2017, au regard des critères du chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013, les autorités bulgares ont explicitement accepté la demande de reprise en charge ". Ces motifs, desquels il résulte que l'intéressé a déposé une demande d'asile en Bulgarie puis en Roumanie, et que ces demandes étaient toujours en cours d'instruction à la date de l'arrêté litigieux, permettent ainsi d'identifier le critère prévu par le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dont la préfète de la Seine-Maritime a entendu faire application pour désigner la Bulgarie comme le pays vers lequel M. A...pourra être transféré. Par suite, les motifs figurant dans l'arrêté contesté, qui font apparaître les considérations de droit et de fait sur lesquelles il est fondé, sont suffisamment précis pour permettre à l'intéressé de bénéficier du recours effectif visé au paragraphe 1 de l'article 27 du règlement. Le moyen présenté par M. A...tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit, dès lors, être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes des dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
6. M. A...se borne à soutenir qu'il craint des mauvais traitements en cas de retour en Bulgarie. Toutefois, il n'établit pas l'existence d'un risque actuel et personnel d'être accueilli dans des conditions indécentes en cas de retour en Bulgarie, ni d'ailleurs l'existence de défaillances systémiques de la procédure d'asile et dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant, dans ce pays. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
7. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel (...) ". Aux termes de l'article 20 de ce règlement : " (...) 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'Etat membre concerné. (...) ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) ".
8. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie. La délivrance par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constituant pour le demandeur d'asile une garantie, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi du moyen tiré de l'omission ou de l'insuffisance d'une telle information à l'appui de conclusions dirigées contre un refus d'admission au séjour ou une décision de remise, d'apprécier si l'intéressé a été, en l'espèce, privé de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision.
9. Il ressort des pièces du dossier, que, lors du dépôt de sa demande d'asile, le 26 septembre 2017, M. A...a déclaré qu'il comprenait la langue pachto. La préfète de la Seine-Maritime justifie, notamment par un procès-verbal, que l'intéressé s'est vu remettre par les services de la préfecture les brochures prévues par les dispositions précitées en langue pachto, langue qu'il a déclaré comprendre. En outre, l'intéressé a, ainsi que cela ressort de la fiche d'entretien produite par la préfète de la Seine-Maritime, bénéficié d'un entretien individuel le 26 septembre 2017 dans des conditions garantissant la confidentialité. Cet entretien s'est déroulé en langue pachto avec l'assistance d'un interprète et à l'occasion duquel il a pu être vérifié qu'il avait correctement compris les informations dont il devait avoir connaissance, notamment le fait que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Bulgarie et que l'entretien s'inscrivait dans un processus de détermination de l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile. Il a, en outre, disposé d'un délai raisonnable pour apprécier en toute connaissance de cause la portée de ces informations avant le 14 décembre 2017, date à laquelle la préfète de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités bulgares, et de la possibilité de formuler des observations. Enfin, le compte-rendu de cet entretien a été signé par un agent de la préfecture, dont le nom y figure et qui doit, en l'absence de tout élément de preuve contraire, être regardé comme qualifié pour mener un tel entretien. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions des articles 4 et 5 du règlement précité auraient été méconnues.
10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de M.A.... Par suite, le moyen tiré du défaut d'un tel examen doit être écarté.
11. Aux termes de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) L'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si : 1° L'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 (...) / Les dispositions du présent article ne font pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne qui se trouverait néanmoins dans l'un des cas mentionnés aux 1° à 4°. ". Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
12. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, qui a notamment relevé que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. A...ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressé alors même qu'elle n'en était pas responsable. Par suite, M. A...n'est pas fondé à soutenir que la préfète n'aurait pas apprécié la possibilité d'examiner sa demande d'asile au regard des dispositions de l'article 17 du règlement précité, ni entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
13. Il résulte de ce tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...A..., au ministre de l'intérieur et à Me B...C....
Copie sera adressée à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA00402