Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 janvier et 30 avril 2018, M. D..., représenté par Me C... Leprince, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les arrêtés du 21 décembre 2017 de la préfète de la Seine-Maritime ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime d'organiser son rapatriement dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de trente jours à compter de cette notification ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et L. 761-1 du code de justice administrative ou, subsidiairement, de ces dernières dispositions.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant afghan né le 1er juin 1995, déclare être entré sur le territoire français le 9 avril 2017 et a formulé une demande d'asile au guichet unique de l'asile de la préfecture de Seine-Maritime le 11 septembre 2017. La consultation du système " Eurodac " a montré que ses empreintes avaient été enregistrées dans plusieurs Etats membres de l'Union Européenne à l'occasion de précédentes demandes d'asile. Les autorités allemandes et bulgares ont expressément accepté de le reprendre en charge par décisions respectives du 21 et du 29 septembre 2017, sur le fondement des dispositions du d) du point 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. M. D... relève appel du jugement du 26 décembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande en annulation des arrêtés du 21 décembre 2017 de la préfète de la Seine-Maritime prononçant, respectivement, son transfert vers l'Allemagne et son assignation à résidence.
Sur le non-lieu à statuer :
2. Il ressort des pièces du dossier que le transfert de M. D... vers l'Allemagne a été effectivement exécuté le 16 janvier 2018, dans le délai de six mois à compter de l'accord de reprise en charge émis le 21 septembre 2017 par les autorités allemandes, imparti pour procéder à cette exécution par les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. La circonstance que cette mesure a ainsi produit ses effets n'est toutefois, contrairement à ce que soutient la préfète de la Seine-Maritime, pas de nature à priver d'objet les conclusions de l'intéressé tendant à l'annulation des arrêtés du 21 décembre 2017. Au contraire, cette exécution même fait obstacle à ce que l'écoulement du délai de six mois prévu par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 conduise le juge de l'excès de pouvoir à constater que les conclusions à fin d'annulation de la mesure de transfert sont privées d'objet.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la préfète de la Seine-Maritime :
3. Il ressort des pièces du dossier que la requête d'appel présentée par M. D... devant cette cour ne constitue pas la seule reproduction littérale de son mémoire de première instance et, en particulier, énonce pour la première fois un moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. Contrairement à ce que soutient la préfète de la Seine-Maritime, une telle motivation répond aux conditions posées par l'article R. 411-13 du code de justice administrative, auquel renvoient les dispositions de l'article R. 811-10 du même code.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. L'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, invoqué par M. D... en appel, prévoit que toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 21 décembre 2017 ordonnant le transfert de M. D... vers l'Allemagne ne comporte pas l'indication du prénom, du nom et de la qualité de son auteur. Ni la signature manuscrite, qui est illisible, ni le visa de l'arrêté du 27 octobre 2017 donnant délégation de signature à M. A... B..., directeur des migrations et de l'intégration, ne permettent d'identifier sans ambiguïté la personne qui en est l'auteur. Par suite, cette décision, prise en méconnaissance de l'obligation posée par les dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, est entachée d'une irrégularité substantielle.
6. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 décembre 2017 ainsi que, par voie de conséquence, celles dirigées contre l'arrêté du même jour prononçant son assignation à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. D'une part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / (...) ".
8. Aux termes de l'article 29 de ce règlement : " 1. Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. (...) / 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. (...). / 3. En cas de transfert exécuté par erreur ou d'annulation, sur recours ou demande de révision, de la décision de transfert après l'exécution du transfert, l'État membre ayant procédé au transfert reprend en charge sans tarder la personne concernée ".
9. Par ailleurs, les dispositions du troisième alinéa du paragraphe 2 de l'article 18, relatif aux obligations de l'Etat membre responsable, du même règlement prévoient que, dans les cas relevant du champ d'application du paragraphe 1, point d) du même article, c'est-à-dire en cas de reprise en charge d'un ressortissant de pays tiers ou apatride dont la demande de protection internationale a été rejetée, et lorsque la demande a été rejetée en première instance uniquement, l'État membre responsable veille à ce que la personne concernée ait la possibilité ou ait eu la possibilité de disposer d'un recours effectif en vertu de l'article 46 de la directive 2013/32/UE3.
10. D'autre part, aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (...). / Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 211-1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux 5° et 6° de l'article L. 743-2 ". L'article L. 742-1 de ce code prévoit que : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat ". Enfin, l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".
11. Comme il a été dit au point 2, la décision de transfert annulée par le présent arrêt a été exécutée le 16 janvier 2018. Ainsi, en vertu des dispositions du paragraphe 3 de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013, cet arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement de circonstances de fait ou de droit, que l'Etat français reprenne en charge M. D... et, en particulier, que le préfet de la Seine-Maritime prenne les mesures nécessaires pour organiser son retour en France. En outre, l'écoulement du délai de transfert prévu par les dispositions du paragraphe 2 du même article, sur lequel l'exécution de la décision de transfert n'a pas eu d'incidence en raison de son annulation contentieuse, a eu pour effet, en vertu des mêmes dispositions, que la France est devenue l'Etat responsable. Dès lors que l'accord de l'Allemagne pour reprendre en charge M. D... avait été donné sur le fondement des dispositions du point d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013 et qu'il n'est pas contesté que la demande d'asile de l'intéressé avait été rejetée par les autorités allemandes, ce transfert de responsabilité n'implique pas que l'administration française procède à un nouvel examen de la demande de protection de l'intéressé mais seulement qu'elle s'assure, en application des dispositions de l'alinéa 3 du paragraphe 2 du même article, du caractère définitif du rejet de cette demande avant de statuer à nouveau sur son cas, comme le prévoient les dispositions de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans l'attente, il appartient à l'administration française de procéder au réenregistrement de la demande d'asile de M. D... en lui délivrant l'attestation prévue par les dispositions combinées des articles L. 741-1 et L. 742-1 de ce code. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, d'organiser le retour de M. D... en France et de procéder au réenregistrement de sa demande d'asile dans les conditions décrites précédemment. Il y a lieu de lui impartir, à cet effet, un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
12. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Leprince, avocate de M. D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de ce dernier le versement à cette avocate de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1703959 du 26 décembre 2017 du tribunal administratif de Rouen et les arrêtés de la préfète de la Seine-Maritime du 21 décembre 2017 prononçant le transfert vers l'Allemagne et l'assignation à résidence de M. D... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime, sous réserve d'un changement de circonstances de droit et de fait, d'organiser le retour de M. D... en France et de réenregistrer sa demande d'asile dans les conditions décrites au point 11 du présent arrêt, et ce, dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet arrêt.
Article 3 : L'État versera la somme de 1 000 euros à Me Leprince sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., au ministre de l'intérieur, au préfet de la Seine-Maritime et à Me C... Leprince.
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N°18DA00217