Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 octobre 2018, M.B..., représenté par Me C...D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Seine-Maritime du 16 mai 2018 ordonnant son transfert aux autorités croates ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de prendre en charge l'examen de sa demande d'asile sans délai à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., né le 1er janvier 1991, de nationalité afghane, interjette appel du jugement du 7 juin 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 mai 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant son transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de sa demande d'asile. M. B...ayant pris la fuite, le délai dans lequel les autorités françaises doivent assurer son transfert à destination de la Croatie a été porté à dix-huit mois.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 13 septembre 2018. Par suite, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont devenues sans objet.
Sur la légalité de l'arrêté de transfert :
En ce qui concerne la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée :
3. Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 12 avril 2018 s'est borné à enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. La préfète pouvait donc légalement prendre la même décision de transfert sans méconnaître l'autorité de la chose jugée, dès lors qu'elle a procédé à un nouvel examen de la demande de l'intéressé. La circonstance que la décision adoptée à l'issue de ce nouvel examen soit fondée sur les mêmes éléments que ceux initialement portés à la connaissance de la préfète est à cet égard sans incidence. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne la motivation de l'arrêté en litige :
4. L'arrêté contesté fait état des éléments de fait relatifs à la situation personnelle de l'intéressé, vise le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, cite les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que celles de l'article 18, 1, b) et du 5° de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013. Il relève qu'il résulte de l'examen du relevé des empreintes digitales de M. B...que ce dernier a sollicité l'asile en Croatie et que les autorités croates ont fait connaître leur accord le 23 janvier 2018 pour la reprise en charge de l'intéressé, indiquant que sa demande d'asile est en cours de traitement, qu'aucune décision n'a été formulée, et qu'un précédent arrêté de transfert avait été annulé par le tribunal administratif de Rouen. L'arrêté en litige comporte ainsi l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles il se fonde, sans que la préfète de la Seine-Maritime ait été tenue d'indiquer que les autorités des autres pays traversés par M. B...n'avaient pas été saisies, la mention des articles du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 suffisant à comprendre le raisonnement suivi par la préfète. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne l'entretien personnel :
5. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
6. Il ressort du compte-rendu de l'entretien qui s'est déroulé le 1er décembre 2017 dans les locaux de la préfecture de la Seine-Maritime, que M. B... a été personnellement reçu par un agent de la préfecture, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien, alors même que son nom n'est pas précisé dans le compte-rendu. Il ressort du même document que l'entretien s'est déroulé avec l'assistance téléphonique d'un interprète en langue pachto, que l'intéressé avait déclaré comprendre, " dans un endroit isolé du public et confidentiel ". Par suite, le moyen tiré de ce que l'entretien individuel n'aurait pas été conforme aux dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
En ce qui concerne les conditions dans lesquelles les empreintes digitales de M. B... ont été relevées :
7. Aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale telle que définie à l'article 20, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, accompagnée des données visées à l'article 11, points b) à g) du présent règlement ". Ni ces dispositions, qui font obligation aux demandeurs d'asile âgés de quatorze ans au moins d'accepter que leurs empreintes digitales soient relevées, ni aucune autre, ne prévoient que l'autorité compétente doive recueillir au préalable le consentement des intéressés. Le moyen tiré de ce que M. B... n'aurait pas donné son accord à cet effet aux autorités croates, ni aux autorités françaises est, par suite, inopérant. En outre, ses empreintes ont été relevées le 1er décembre 2017, soit le jour du dépôt de sa demande d'asile, dans le respect du délai de soixante-douze heures imparti par les dispositions précitées.
8. Les dispositions du paragraphe 4 de l'article 25 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 prévoient qu'un expert en empreintes digitales vérifie immédiatement, dans l'Etat membre de réception, le résultat de la comparaison entre les empreintes digitales qu'il a transmises et les données dactyloscopiques enregistrées dans la base de données centrale du système " Eurodac ". Ainsi que l'énonce le point 21 de l'exposé des motifs de ce règlement, ces dispositions ont pour objet de garantir la détermination exacte de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile. Selon le même article 25, cette vérification constitue pour les Etats membres une obligation.
9. Au cas d'espèce, M.B..., qui indique lui-même avoir séjourné en Croatie et que ses empreintes y ont été relevées, se borne à soutenir que la comparaison entre ses empreintes digitales relevées en France et celles enregistrées dans la base de données centrale du système " Eurodac " n'aurait pas été réalisée par un expert compétent à cette fin. Il ne conteste toutefois aucune des informations issues de la comparaison de ses empreintes digitales avec les données contenues dans cette base de données. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 25 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 n'est ainsi pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne l'information dont M. B...a bénéficié :
10. Aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'Etat membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : / a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; / b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les Etats membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; / c) des destinataires des données ; d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1 / (...) ".
11. A la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 18, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2725/2000 du 11 décembre 2000, aujourd'hui reprises à l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'ensuit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles le préfet transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes de l'Etat qui s'est reconnu responsable de l'examen de sa demande.
12. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...) ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite (...) ; / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".
13. En l'absence d'élément contraire apporté par M. B..., qui en outre ne conteste pas avoir déclaré comprendre et lire le pachto, la préfète de la Seine-Maritime établit, par la production de la première page des brochures communes signée par l'intéressé, et sans qu'il soit besoin que cette production soit accompagnée d'une traduction certifiée conforme, lui avoir remis dans une langue qu'il comprend l'information prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
Sur la légalité interne de l'arrêté de transfert :
14. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
15. La Croatie étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime aurait à tort considéré que cette présomption était irréfragable. M. B... ne produit, en outre, aucun élément propre à sa situation particulière, dont il résulterait que son dossier ne serait pas traité par les autorités croates dans des conditions répondant à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni qu'il se trouverait, indépendamment de sa volonté ou de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême en cas de transfert en Croatie. Enfin, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'en cas de rejet de cette demande, les autorités croates procéderaient à son renvoi vers l'Afghanistan sans examiner au préalable s'il y serait soumis à des risques pour sa vie ou sa sécurité ou de subir des traitements inhumains ou dégradants. Par suite, en décidant de prononcer le transfert de M. B...vers la Croatie, la préfète de la Seine-Maritime n'a méconnu ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.
16. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
17. La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
18. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, qui a notamment relevé que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. B...ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressé alors même qu'elle n'en était pas responsable. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
19. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent, et en l'absence de tout élément versé par M. B...à l'appui de ses allégations, que ce dernier n'est pas fondé à soutenir que la préfète de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen approfondi de sa situation, ni examiné la possibilité de traiter sa demande d'asile, ni, en l'absence d'éléments de nature exceptionnelle ou humanitaire invoqués, qu'elle aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
20. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle présentée par M.B....
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M.A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
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N°18DA02057