Par une requête, un mémoire ampliatif et un mémoire, enregistrés les 25 janvier 2016, 16 février 2016 et 15 avril 2016, le centre hospitalier régional universitaire de Lille (CHRU) et le centre hospitalier de Wattrelos, représentés par Me B...L..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 25 novembre 2015 ;
2°) de rejeter la demande de M. E...et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 20 décembre 2017 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,
- et les observations de Me F... H...substituant Me C...G..., représentant M. P...E...et Mme M...O....
Considérant ce qui suit :
1. M.E..., alors âgé de quarante et un ans, a été admis le 6 avril 2010 au service des urgences du centre hospitalier de Wattrelos pour une aggravation d'une douleur lombo-sciatique avec impotence fonctionnelle résistant au traitement symptomatique depuis un mois. A la suite du diagnostic d'une sciatique hyperalgique S1 gauche, l'intéressé est transféré au service de médecine interne du centre hospitalier de Roubaix qui, lors d'examens complémentaires, diagnostique une volumineuse hernie discale postéro-médiane en L4 et L5, une leucopénie, déficience de globules blancs et une thrombopénie, diminution anormale des plaquettes sanguines, nécessitant un complément d'investigations. L'intéressé est transféré le 7 avril 2010 au service des urgences puis au service de neurochirurgie du centre hospitalier régional universitaire de Lille où il a subi le 9 avril 2010 une laminectomie, suppression de plusieurs lames vertébrales, en L4 et L5. La survenue de complications post-opératoires, consistant en une hyperthermie et une septicémie à staphylocoque aureus méticilline sensible, a nécessité une antibiothérapie et une reprise chirurgicale le 20 avril 2010, dans le même établissement. M. E... est ensuite transféré le 28 avril 2010 au centre hospitalier de Wattrelos pour les suites post-opératoires, puis le 14 mai 2010 au centre hospitalier de Roubaix pour une ponction vertébrale. Après le diagnostic d'une spondylodiscite, infection d'un ou plusieurs disques intervertrébraux, post-opératoire provoquée par un staphylocoque, une tri-antibiothérapie est mise en oeuvre par le centre hospitalier de Roubaix, qui a permis une régression progressive des douleurs dorsales ainsi qu'une diminution progressive et constante du syndrome inflammatoire. M. E...demeure cependant atteint de troubles neurologiques importants en ce qui concerne les membres inférieurs. Le centre hospitalier régional universitaire de Lille et le centre hospitalier de Wattrelos relèvent appel du jugement du 25 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Lille, après avoir estimé que leur responsabilité était engagée en raison des fautes médicales commises dans la prise en charge de M. E...à hauteur de 70 % concernant le taux de perte de chance résultant du retard fautif de diagnostic par le centre hospitalier régional universitaire de Lille de la spondylodiscite et de la brièveté de l'antibiothérapie mise en place et de 10 % à raison de l'arrêt fautif de l'antibiothérapie par le centre hospitalier de Wattrelos, a jugé que M. E...a été victime d'une infection nosocomiale au cours de sa prise en charge par le centre hospitalier régional universitaire de Lille et que, restant atteint d'un déficit fonctionnel permanent évalué par l'expert à 65 %, l'indemnité due par l'ONIAM au titre de la réparation de cette infection devait être fixée à 20 % des conséquences dommageables de celle-ci et, d'une part, condamné celui-ci à verser à M. E... la somme de 115 883,35 euros et, d'autre part, condamné le CHRU de Lille à garantir l'ONIAM à hauteur de cette somme. Il a également condamné le CHRU de Lille à verser à M. E... la somme de 405 591,75 euros en réparation de ses préjudices et à verser à la CPAM de Roubaix-Tourcoing la somme totale de 117 184,97 euros en remboursement de ses débours. Il a également condamné le centre hospitalier de Wattrelos à verser à la même CPAM la somme de 16 740,71 euros en remboursement de ses débours puis condamné solidairement le CHRU de Lille et le centre hospitalier de Wattrelos à verser à cette CPAM la somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et mis à leur charge solidaire les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 000 euros. Il a enfin rejeté le surplus des conclusions des parties. M. E... demande, par la voie de l'appel incident, de condamner le centre hospitalier de Wattrelos à lui verser une somme de 57 941,68 euros correspondant à 10 % de la totalité des préjudices qu'il a subis, avec intérêts au taux légal à compter du 19 janvier 2016 et capitalisation de ceux-ci.
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. E...et MmeO... :
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-1 et R. 751-4 (...) ".
3. Le jugement attaqué du 25 novembre 2015 a été notifié, par une lettre recommandée, au CHRU de Lille, qui l'a réceptionnée le 30 novembre 2015. Il a également été notifié à la même date et dans les mêmes conditions au centre hospitalier de Wattrelos. Par suite, leur requête, enregistrée au greffe de la cour le 25 janvier 2016, soit dans le délai d'appel de deux mois prévu par les dispositions précitées de l'article R. 811-2 du code de justice administrative, est recevable. La fin de non-recevoir opposée par M. E...et Mme O...n'est ainsi pas fondée.
Sur l'appel principal :
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Il résulte des motifs du jugement attaqué que le tribunal administratif de Lille a suffisamment exposé les raisons pour lesquelles il a fait droit aux demandes de M. E...en indemnisation des préjudices qu'il a subis au regard de l'infection qu'il a contractée dans le cadre de sa prise en charge médicale. Par suite, le CHRU de Lille et le centre hospitalier de Wattrelos ne sont pas fondés à soutenir que le jugement serait insuffisamment motivé et ainsi entaché d'irrégularité.
Sur la nécessité d'une nouvelle expertise :
5. A l'appui de leur demande d'expertise complémentaire, le CHRU de Lille et le centre hospitalier de Wattrelos font état des insuffisances et incohérences du rapport du 30 janvier 2013 de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Lille au regard de l'état antérieur du patient, ancien toxicomane, traité pour une hépatite chronique de type C et de l'examen neurologique de M.E.... Cependant, il résulte de l'instruction, qu'en dépit des avis critiques émis sur certains points par les deux experts dans leurs rapports établis les 24 janvier et 12 mai 2014, à la demande de ces établissements, soumis au débat contradictoire et qui peuvent être pris en considération à titre d'élément d'information par le juge de l'indemnisation, les conclusions de l'expert établies le 30 janvier 2013 sont suffisamment claires, exhaustives et précises pour permettre à la cour de se prononcer sur le fond de la présente instance notamment quant à l'émergence infectieuse, à l'état antérieur du patient, de ses antécédents et des traitements dont il faisait l'objet. Par suite, les conclusions à fin d'une expertise complémentaire sur ce point doivent être rejetées.
6. En revanche, si les conclusions du rapport d'expertise établi le 30 janvier 2013 par le juge des référés du tribunal administratif de Lille font état d'une paraparésie sévère qui a entraîné une perte totale de la fonction de locomotion et précisent que M. E...demeure atteint d'une incapacité permanente partielle évaluée à 65 % entièrement imputable à l'infection nosocomiale et ses conséquences, celles-ci sont suffisamment contredites par le rapport critique établi le 5 février 2016 par le DrK..., neurologue, qui, bien qu'établi à la demande de l'assureur des centres hospitaliers, a été soumis au débat contradictoire, relève que la présentation des symptômes cliniques de M. E...ne peut pas correspondre à une atteinte épidurale secondaire à une spondylodiscite en L4 et L5 dès lors que le déficit sensitif allégué correspond à une atteinte de la racine L3 et L4 avec un déficit moteur symétrique et total limité à cette zone alors qu'il devrait toucher les autres métamères en S1 et L5 et que cette atteinte serait de l'ordre de 5 à 10 % et non de 65 %. Il résulte ainsi de ce rapport, d'une part, que l'état de M. E...ne présenterait pas le degré de gravité indiqué par le rapport d'expertise judiciaire remis par le Dr Q..., lequel a au demeurant lui-même relevé " l'évidente simulation à type d'exagération des difficultés motrices " de l'intéressé et que " le comportement de M. E...a semé le doute sur la gravité du handicap ", et, d'autre part, que les troubles de la marche dont demeure atteint l'intéressé pourraient ne pas trouver leur origine dans les conséquences de la spondylodiscite, en l'absence notamment d'amyotrophie identifiée. Les dires de cet expert contredisent ainsi suffisamment ceux de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Lille selon lesquels M. E... resterait atteint d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 65 %. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la cour n'est pas suffisamment informée sur les causes du dommage survenu à M.E..., sur l'évaluation des séquelles neurologiques dont il demeure atteint de manière permanente à la suite de l'infection dont il a été victime et sur les conséquences de celles-ci pour pouvoir, en connaissance de cause, procéder à une évaluation actualisée des préjudices indemnisables. Il convient, dès lors, d'ordonner une nouvelle expertise aux fins pour la cour de se prononcer sur cette question.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la requête du centre hospitalier régional universitaire de Lille et du centre hospitalier de Wattrelos, avant dire droit, procédé à une expertise en vue :
1°) d'examiner M.E..., de prendre connaissance de son entier dossier médical et de déterminer la cause, la nature et les conséquences neurologiques dont M. E...demeure atteint à la suite de l'infection nosocomiale qu'il a contractée, au besoin par un examen électrophysiologique ; l'expert devra notamment dire si le dommage subi trouve son origine dans la contraction de cette infection, et notamment dans la spondylodiscite qui en a résulté ;
2°) de déterminer le taux du déficit fonctionnel permanent dont est atteint M. E...et de préciser l'évolution ultérieure de son état de santé au regard des séquelles dont il est atteint ;
3°) de déterminer les différents préjudices subis par M. E...à raison de ces séquelles, notamment ses besoins en assistance par une tierce personne, et de préciser, s'il y a lieu, l'évolution de ces besoins dans le temps ;
4°) de donner, plus généralement, toutes informations qui lui paraîtront utiles à l'appréciation de la situation de M.E....
Article 2 : Pour l'accomplissement de sa mission, un collège d'experts composé d'un neurologue, d'un infectiologue et d'un neuro-chirurgien prendra connaissance du dossier médical et de tous documents concernant M.E..., pourra se faire communiquer les documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins et aux diagnostics pratiqués qu'il estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission et pourra entendre tous sachants.
Article 3 : Le collège d'experts sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2, R. 621-9 et R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans le délai fixé par le président de la cour en application de l'article R. 621-2 de ce code. L'expert en notifiera des copies aux parties intéressées.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statués en fin d'instance.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. P...E..., à Mme M...O..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de ses quatre enfants mineurs, au centre hospitalier régional universitaire de Lille, au centre hospitalier de Wattrelos, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing et aux experts.
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N°16DA00169