Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 mai 2018, le préfet du Nord, représenté par Me A... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 21 février 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E...devant le tribunal administratif de Lille.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.E..., ressortissant sénégalais, né le 12 février 1992, entré en France le 4 février 2018 selon ses déclarations, a été interpellé à Lille le 7 février 2018, à la suite d'un contrôle d'identité. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 21 février 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 7 février 2018 faisant obligation à M. E...de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'un an.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. (...) / Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 211-1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux 5° et 6° de l'article L. 743-2. Cette attestation n'est pas délivrée à l'étranger qui demande l'asile à la frontière ou en rétention ". Aux termes de l'article L. 743-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 743-1, (...), le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : / 5° L'étranger présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen ; / 6° L'étranger fait l'objet d'une décision définitive d'extradition vers un Etat autre que son pays d'origine ou d'une décision de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen ou d'une demande de remise par une cour pénale internationale (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 743-4 de ce code : " Sans préjudice des articles L. 556-1 et L. 743-2, lorsque l'étranger sollicitant l'enregistrement d'une demande d'asile a fait l'objet, préalablement à la présentation de sa demande, d'une mesure d'éloignement prise en application du livre V, celle-ci, qui n'est pas abrogée par la délivrance de l'attestation prévue à l'article L. 741-1, ne peut être mise à exécution avant la notification de la décision de l'office, lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet, d'irrecevabilité ou de clôture, ou, si un recours est formé devant la Cour nationale du droit d'asile contre une décision de rejet, avant la notification de la décision de la cour ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 741-2 du même code : " Lorsque l'étranger présente sa demande auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, la personne est orientée vers l'autorité compétente. Il en est de même lorsque l'étranger a introduit directement sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sans que sa demande ait été préalablement enregistrée par le préfet compétent. Ces autorités fournissent à l'étranger les informations utiles en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que les services de police doivent orienter l'étranger présentant une demande d'asile devant eux vers le préfet compétent et que celui-ci, hors les cas limitativement énumérés par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est tenu d'enregistrer cette demande et de délivrer une attestation de demande d'asile. L'étranger dispose dans ce cas d'un droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande.
5. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours de l'audition par les services de police, le 7 février 2018, qui a suivi son interpellation, M. E...a manifesté à deux reprises son intention de demander son admission au séjour au titre de l'asile en France. En présence d'une telle demande présentée avant le placement en rétention administrative de l'intéressé, il appartenait aux services de police de l'orienter vers l'autorité préfectorale afin qu'il puisse déposer sa demande. Le principe d'admission au séjour en tant que demandeur d'asile s'appliquant, en vertu des dispositions précitées, dès la présentation de la demande pendant l'audition, il n'était pas nécessaire que l'intéressé présente à nouveau une demande, une fois placé en rétention administrative pour avoir le droit de se maintenir sur le territoire français. Il ressort des pièces du dossier que l'audition a eu lieu le 7 février 2018 à 16 heures 55 et l'éloignement a été notifié le même jour à 18 heures 30. La présentation de la demande était, de ce fait, antérieure à l'intervention de la mesure d'éloignement. Dans ces conditions, et alors que l'intéressé ne relève pas des 5° et 6° de l'article L. 742-3 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Nord ne pouvait légalement prononcer à l'encontre de M. E...une décision l'obligeant à quitter le territoire français. Si le préfet fait également valoir devant la cour que la demande d'asile de M. E...n'était pas " sérieuse " dès lors que M. E...avait indiqué également avoir quitté son pays pour des raisons économiques, il n'est pas soutenu et il ne ressort d'ailleurs pas des pièces du dossier que la demande de l'intéressé entrait dans les cas de refus de délivrance de l'attestation d'enregistrement limitativement prévus par l'article L. 741-1 précité. Enfin et en tout état de cause, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté en litige, cette demande aurait eu manifestement pour seul objet de faire échec, dans un but dilatoire, à la mesure d'éloignement que le préfet était susceptible de prendre à son encontre. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté en litige.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 7 février 2018. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à l'avocat de M. E...au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Nord est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros au conseil de M. E...sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet du Nord, à M. D... E...et à Me B...F....
N°18DA00989 4