Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 avril 2018, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 10 avril 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A...devant le tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. La préfète de la Seine-Maritime interjette appel du jugement du 10 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Rouen a, à la demande de MmeA..., ressortissante de la République démocratique du Congo née le 24 décembre 1974, annulé son arrêté du 11 septembre 2017 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de renvoi.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
4. Par un avis du 27 février 2017, le médecin de l'agence régionale de santé de Haute-Normandie a estimé que l'état de santé de Mme A...rendait nécessaire une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il n'existait pas de traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressée pour sa prise en charge médicale, laquelle devait être poursuivie durant vingt-quatre mois. Il ressort des pièces du dossier que Mme A...souffre de pathologies psychiatriques, et notamment d'un syndrome de stress post-traumatique. Mme A...bénéficie, depuis 2013, d'un traitement comprenant de la Fluorexetine et du Tercian.
5. Il n'est pas contesté que la Fluorexetine, administrée à MmeA..., est disponible en République démocratique du Congo. S'agissant du Tercian, dont la substance active est la cyamémazine, la préfète de la Seine-Maritime fait valoir que ce principe actif s'y retrouve sous forme de substance équivalente. Elle produit notamment de " la liste nationale des médicaments essentiels de mars 2010 " établie par le ministère de la santé de la République démocratique du Congo dans laquelle figurent des médicaments neuroleptiques antipsychotiques, notamment la chlorpromazine, appartenant à la même classe des phénothiazines. La préfète produit également un courriel du médecin référent de l'Ambassade de France en République démocratique du Congo, du 5 septembre 2013, qui précise que ce pays dispose de structures à même de prendre en charge les pathologies de l'intéressée et que toutes les spécialités médicamenteuses usuelles sont disponibles à Kinshasa, réserve faite des médicaments réservés à l'usage hospitalier, en particulier en cancérologie, ainsi que la fiche MedCOI (Medical country of origin information) qui mentionne que des antidépresseurs et des antipsychotiques sont disponibles en République démocratique du Congo, que des psychiatres y exercent, et que des établissement spécialisés y existent. Si Mme A...fait valoir que son traitement ne peut faire l'objet d'une substitution, elle ne l'établit pas par la seule production de certificats médicaux de médecins psychiatres indiquant que son état rend " nécessaire un traitement spécialisé " ou que " le maintient du traitement prescrit parait indispensable à la stabilisation de l'état de santé de la patiente ", sans mention du caractère non substituable des molécules prescrites, ou d'éventuels effets secondaires. Elle n'établit pas non plus le lien entre ses pathologies et les mauvais traitements qu'elle aurait subis en République démocratique du Congo. Dans ces conditions, l'autorité préfectorale a pu légalement s'écarter de l'avis rendu par le médecin de l'agence régionale de santé. Dès lors, la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler le refus de titre de séjour et, par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et la décision fixant le pays de renvoi.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A...à l'encontre de l'arrêté attaqué devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
7. La décision en litige comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. La préfète de la Seine-Maritime mentionne notamment que la demande d'asile de Mme A...a été rejetée, que si son état de santé nécessite un traitement dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, un traitement adapté à ses pathologies est disponible en République démocratique du Congo. Par suite, et contrairement à ce que soutient MmeA..., la motivation de cet arrêté n'est pas générale et non circonstanciée. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté de la préfète de la Seine-Maritime doit être écarté.
8. Aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet est tenu de saisir la commission du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues à l'article L. 313-11 du même code auxquels il envisage de refuser le titre de séjour sollicité et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions. Ainsi qu'il a été dit au point 5, Mme A...ne remplit pas les conditions prévues par les dispositions du 11° de l'article L. 313-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle n'est, dès lors, pas fondée à soutenir qu'il appartenait à la préfète de la Seine-Maritime de consulter la commission du titre de séjour en application de l'article L. 312-2 de ce code.
9. Mme A...est entrée en France au mois d'août 2012. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 17 juin 2013 et par la Cour nationale du droit d'asile le 17 décembre 2013. Elle ne produit aucun élément permettant d'établir qu'elle aurait transféré en France le centre de ses intérêts personnels alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle serait isolée en cas de retour dans son pays d'origine, où elle a vécu jusqu'à l'âge de 38 ans et où résident, selon ses propres déclarations, ses trois enfants. Ainsi qu'il a été dit précédemment, un traitement approprié à ses pathologies est disponible en République démocratique du Congo. Dans ces conditions, la préfète de la Seine-Maritime n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Il en est de même du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
10. Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 9 novembre 2011 susvisé : " (...) dans le cas où un traitement approprié existe dans le pays d'origine, il peut au vu des éléments du dossier du demandeur, indiquer si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers ce pays (...) ". Il incombe au préfet de prendre en considération les modalités d'exécution d'une éventuelle mesure d'éloignement dès le stade de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin de disposer d'une information complète sur l'état de santé de l'étranger, y compris sur sa capacité à voyager sans risque à destination de son pays d'origine. Si le médecin de l'agence régionale de santé, qui n'est pas tenu de le faire, ne s'est pas prononcé sur le point de savoir si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine, il appartient au préfet d'examiner cette question, dès lors qu'il estime qu'un traitement approprié existe dans ce pays et qu'il ressort des éléments du dossier qui lui a été soumis que l'état de santé de l'étranger malade suscite des interrogations sur sa capacité à supporter le voyage vers son pays d'origine. Le juge, lorsque l'état de santé de l'étranger est susceptible à faire obstacle à son éloignement vers son pays d'origine au regard des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, se détermine au vu des échanges contradictoires entre les parties.
11. Le médecin de l'agence régionale de santé ayant estimé qu'aucun traitement approprié n'était disponible dans son pays d'origine ne s'est pas prononcé sur la capacité de Mme A...à voyager sans risque vers celui-ci. Toutefois, cette circonstance n'est pas de nature à entacher la décision attaquée d'illégalité dès lors qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que son état de santé suscitait des interrogations sur sa capacité à voyager sans risque vers son pays d'origine. Par suite, le moyen doit être écarté.
12. Ainsi qu'il a été dit au point 5, la préfète de la Seine-Maritime établit qu'un traitement approprié à la pathologie de Mme A...est disponible en République démocratique du Congo. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 9 que Mme A...n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français.
14. Les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de l'obligation de quitter le territoire français sur sa situation personnelle et de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 9.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
15. La décision contestée comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Elle est, dès lors, suffisamment motivée.
16. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Selon les termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
17. Considérant que MmeA..., dont la demande d'asile a été rejetée, se borne à faire état dans ses écritures d'un danger pour elle en cas de retour dans son pays d'origine en raison de ses liens avec un général à l'origine d'une tentative de renversement du président Kabila. Elle n'assortit toutefois ses allégations d'aucun élément précis permettant de déterminer si elle est exposée de manière suffisamment personnelle, certaine et actuelle, à des menaces quant à sa vie ou sa liberté ou si elle risque d'être exposée à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ce moyen ne peut qu'être écarté. Par suite, Mme A...n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la Seine-Maritime aurait méconnu les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
18. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des moyens soulevés par Mme A...devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour n'est fondé. Par voie de conséquence, la préfète de la Seine-Maritime est fondée à demander l'annulation du jugement du 10 avril 2018 du tribunal administratif de Rouen ainsi que le rejet des demandes de première instance et d'appel de MmeA....
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1800106 du 10 avril 2018 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d'appel de Mme A...sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme C... A... et à Me B...D....
Copie sera adressée à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA00815