Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 mai 2016, MmeB..., représentée par Me C...E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 15 mars 2016 du tribunal administratif de Rouen ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 octobre 2015 du préfet de l'Eure ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard, dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, dans un délai de huit jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à MeE..., en vertu de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet ayant omis de consulter la commission départementale du titre de séjour, en méconnaissance de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière ;
- cette décision méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle établit que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que sa pathologie est liée au traumatisme vécu au Kosovo ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale car fondée sur un refus de renouvellement de titre de séjour illégal ;
- elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale car fondée sur un refus de renouvellement de titre de séjour illégal ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'en cas de retour dans son pays d'origine, elle serait exposée à des risques de traitements inhumains et dégradants en raison de ses origines goranes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 octobre 2016, le préfet de l'Eure conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B...ne sont pas fondés.
Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 avril 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que MmeB..., ressortissante kosovare née le 5 septembre 1987, serait entrée irrégulièrement en France le 11 octobre 2010 ; qu'elle a sollicité auprès des services de la sous-préfecture du Havre le bénéfice de l'asile, demande rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 12 août 2011 ; que le 29 octobre 2012 Mme B... a de nouveau sollicité le bénéfice de l'asile, auprès des services de la préfecture de la Moselle, en déclarant être entrée irrégulièrement en France le 20 août 2012, demande rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 septembre 2013, et confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 19 mai 2014 ; que le 29 juin 2014, Mme B...a sollicité le réexamen de sa demande d'asile, demande de réexamen qui sera rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 10 juillet 2014, et confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 7 janvier 2015 ; que Mme B...a alors demandé, le 6 février 2015, son admission au séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, demande rejetée par le préfet de l'Eure par un arrêté du 13 octobre 2015 l'obligeant également à quitter le territoire national et fixant le pays de destination ; que Mme B...relève appel du jugement du 15 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif a estimé que les circonstances tenant à la vie privée et familiale invoquées par la requérante ne constituaient pas des considérations humanitaires ou un motif exceptionnel d'admission au séjour ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient MmeB..., le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par la requérante, n'a pas omis de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur le refus de délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé (...) " ;
4. Considérant qu'il ressort de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé du 1er octobre 2015, sur lequel s'est fondé le préfet de l'Eure pour refuser un titre de séjour en qualité d'étranger malade à MmeB..., que l'état de santé psychologique de celle-ci nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; que si Mme B...a versé au dossier plusieurs pièces médicales, en particulier des ordonnances rédigées par un même médecin, psychiatre, ces documents font seulement état des médicaments prescrits à l'intéressée contre les troubles psychologiques dont elle est atteinte ; qu'ils ne donnent en revanche aucune précision quant aux conséquences susceptibles de résulter d'une interruption du traitement suivi par Mme B...et ne permettent pas, eu égard à leur teneur, de remettre en cause l'appréciation du médecin de l'agence régionale de santé sur l'absence de conséquences graves du défaut de prise en charge médicale de son état de santé ; que, par ailleurs, si Mme B...soutient que les troubles psychologiques dont elle est atteinte sont la conséquence des évènements traumatiques qu'elle a vécus au Kosovo, cette allégation n'est corroborée par aucune des pièces du dossier ; que, par suite, le préfet de l'Eure n'a pas méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories (...) qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) " ;
6. Considérant que Mme B...se prévaut de sa présence en France, en compagnie de son époux, depuis 2010 et de leur intégration dans la société française depuis cette date ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que Mme B...et son conjoint n'ont été autorisés à séjourner sur le territoire national durant cette période que le temps de l'instruction de leurs demandes d'asile ; que, par ailleurs, les deux membres du couple sont sans enfant à charge et ont vécu l'essentiel de leur vie dans leur pays d'origine, où ils ne démontrent pas être dépourvus d'attaches familiales ; que Mme B...n'apporte aucun élément de nature à démontrer leur intégration dans la société française ; qu'enfin, par un arrêt du même jour, la présente cour rejette également l'appel formé par M. B...à l'encontre du jugement ayant rejeté son recours formé contre l'arrêté le concernant, qui lui refuse le séjour et lui fait obligation de quitter le territoire français à destination de son pays d'origine ; que par suite, la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour n'a pas porté au droit de Mme B...au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'ainsi, elle n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, pour les mêmes motifs, la décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) " ;
8. Considérant que la vie privée et familiale constituée en France par MmeB..., dans les conditions rappelées au point précédent, et son état de santé exposé au point 4 ci-dessus ne constituent pas, dans les circonstances de l'espèce, des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels justifiant son admission au séjour ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté ;
9. Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit aux points précédents, que Mme B...ne remplit pas les conditions pour l'obtention d'un titre de séjour de plein de droit ; que, par suite, l'autorité préfectorale n'avait pas à saisir la commission du titre de séjour préalablement à ses décisions ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
10. Considérant que la décision contestée comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté comme manquant en fait ;
11. Considérant qu'il résulte de l'examen de la légalité du refus de titre de séjour qui lui a été opposé, que Mme B...n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de cette décision à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
12. Considérant que, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 4, la décision obligeant Mme B...à quitter le territoire français n'a pas été prise en méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
13. Considérant que, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6, la décision obligeant Mme B...à quitter le territoire français n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée ;
Sur le pays de destination :
14. Considérant qu'eu égard à ce qui vient d'être dit aux points 10 à 13, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays à destination duquel Mme B...pourra être reconduite d'office devrait être annulée en conséquence de l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français sur le fondement de laquelle elle est prise, doit être écarté ;
15. Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;
16. Considérant qu'en dépit de ses allégations en ce qui concerne les discriminations dont son époux et elle feraient l'objet au Kosovo en raison de leur appartenance à la minorité gorane, Mme B...ne produit aucun élément probant de nature à établir la réalité des risques personnels, directs et actuels qu'elle encourt en cas de retour dans son pays d'origine ; qu'au demeurant, il ressort des pièces du dossier que sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, par une décision du 10 juillet 2014, confirmée par une décision du 7 janvier 2015 de la Cour nationale du droit d'asile ; que, dès lors, en prenant l'arrêté contesté, le préfet de l'Eure n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...B..., au ministre de l'intérieur et à Me C...E....
Copie sera adressée au préfet de l'Eure.
Délibéré après l'audience publique du 13 décembre 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme F...A..., première conseillère,
- M. Rodolphe Féral, premier conseiller.
Lu en audience publique le 30 décembre 2016.
Le rapporteur,
Signé : R. FÉRALLe président de chambre,
Signé : M. G...
Le greffier,
Signé : M. T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°16DA00916