Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 juin 2016, M.E..., représenté par Me B...C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 avril 2016 du tribunal administratif de Rouen ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 juin 2015 du préfet de l'Eure ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard, dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me C...en vertu de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la minute du jugement ne comporte pas la signature des membres de la formation de jugement en méconnaissance des dispositions de l'article R. 751-7 du code de justice administrative ;
- la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour comporte une erreur dans ses visas ;
- cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet a subordonné la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " commerçant ", pour une personne relevant du statut d'auto-entrepreneur, à une inscription au registre du commerce ;
- le préfet a méconnu la circulaire du 29 octobre 2007 en ce qui concerne l'appréciation du critère de viabilité économique de son activité commerciale ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2016, le préfet de l'Eure conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. E...ne sont pas fondés.
M. E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mai 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de commerce ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.E..., ressortissant malgache né le 24 décembre 1990, est entré régulièrement en France le 10 octobre 2011 muni d'un visa long séjour portant la mention " étudiant " ; que le préfet de l'Eure lui a délivré un titre de séjour temporaire portant la mention " étudiant " régulièrement renouvelé jusqu'au 8 octobre 2013 ; qu'après l'obtention d'un master 2 " marketing digital " en 2013, le préfet de l'Eure lui a délivré deux autorisations provisoires de séjour valables six mois, jusqu'au 6 mars 2015, pour recherche d'emploi ; que le 5 mars 2015, M. E... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour au titre de son activité d'auto-entrepreneur qu'il avait créée le 1er décembre 2014 ; que cette demande a été rejetée par le préfet de l'Eure par un arrêté du 26 juin 2015, l'obligeant également à quitter le territoire national et fixant le pays de destination ; que M. E...relève appel du jugement du 5 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience " ;
3. Considérant que, si M. E...soutient que le jugement attaqué serait irrégulier pour ne pas comporter, en méconnaissance de ces dispositions, les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur de l'affaire et du greffier d'audience, il résulte de l'examen de la minute de ce jugement, jointe au dossier de première instance transmis à la cour, que ce moyen manque en fait ; que la circonstance que l'expédition notifiée au requérant ne comporterait pas ces signatures est sans incidence sur la régularité du jugement ;
Sur le refus de délivrance d'un titre de séjour :
4. Considérant qu'il ressort des visas de l'arrêté attaqué que le préfet de l'Eure, contrairement à ce que soutient M.E..., n'a pas visé les dispositions du 3° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en tout état de cause, une omission ou une erreur dans les visas d'un acte administratif ne sont pas de nature à en affecter la légalité ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droits d'asile : " La carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée : (...) 2° A l'étranger qui vient exercer une profession commerciale, industrielle ou artisanale, à condition notamment qu'il justifie d'une activité économiquement viable et compatible avec la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques et qu'il respecte les obligations imposées aux nationaux pour l'exercice de la profession envisagée. Elle porte la mention de la profession que le titulaire entend exercer. Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent 2° ; / 3° A l'étranger qui vient exercer une activité professionnelle non soumise à l'autorisation prévue à l'article L. 341-2 du code du travail et qui justifie pouvoir vivre de ses seules ressources. Elle porte la mention de l'activité que le titulaire entend exercer " ; qu'aux termes de l'article R. 313-17 du même code : " Pour l'application du 3° de l'article L. 313-10, l'étranger qui vient en France pour y exercer une activité professionnelle non soumise à l'autorisation prévue à l'article L. 341-2 du code du travail présente, outre les pièces prévues à l'article R. 313-1, celles justifiant qu'il dispose de ressources d'un niveau au moins équivalant au salaire minimum de croissance correspondant à un emploi à temps plein (...) " ;
6. Considérant que l'accomplissement à titre professionnel d'actes réputés " de commerce " par le code de commerce correspond à l'exercice d'une profession commerciale au sens des dispositions précitées du 2° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que selon les dispositions de l'article L. 110-1 du code de commerce, sont réputés actes de commerce tout achat de biens meubles pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillés et mis en oeuvre ; qu'ainsi, l'activité exercée par M.E..., sous le statut d'auto-entrepreneur, de vente à distance sur catalogue de produits de Madagascar constitue l'exercice d'une profession commerciale au sens des dispositions du 2° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, toutefois, en application des dispositions de l'article 27 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, les auto-entrepreneurs étaient tenus à compter du 19 décembre 2014 d'être inscrits au registre du commerce et des sociétés ; qu'ainsi, même si la loi précitée accordait un délai d'un an aux auto-entrepreneurs pour remplir cette formalité, à la date de sa demande de délivrance d'un titre de séjour, M. E...était soumis à cette obligation d'inscription au registre du commerce ; qu'à défaut de cette inscription à cette date, M. E...ne pouvait se prévaloir, jusqu'à son immatriculation, de la qualité de commerçant tant à l'égard des tiers que des administrations publiques ; que, par suite, M. E...ne pouvant obtenir la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 2° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, c'est à bon droit que le préfet de l'Eure a considéré que sa demande de délivrance d'un titre de séjour relevait des dispositions du 3° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en conséquence, le moyen tiré de l'erreur de droit commise par le préfet de l'Eure doit être écarté ;
7. Considérant que, si M. E...soutient que son activité professionnelle a connu une progression au cours du deuxième trimestre 2015 au titre duquel il a dégagé un bénéfice de 1 577 euros, il ressort toutefois des pièces du dossier, comme le fait valoir le préfet de l'Eure, que l'activité professionnelle de M. E...dont le chiffre d'affaires était de 834 euros pour le dernier trimestre 2014, 162 euros pour le premier trimestre 2015 et 1 577 euros pour le deuxième trimestre 2015, ne lui permet pas de disposer de ressources d'un niveau au moins équivalent au salaire minimum de croissance correspondant à un emploi à temps plein, ni d'envisager, à la date de l'arrêté attaqué, des perspectives sérieuses de disposer de telles ressources au cours de l'année 2015 ; que, par suite, le préfet de l'Eure n'a pas fait une inexacte application des dispositions du 3° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui refusant la carte de séjour demandée ;
8. Considérant que M. E...ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir de la circulaire du 29 octobre 2007, relative à la procédure applicable aux ressortissants étrangers projetant d'exercer sur le territoire français une profession commerciale, industrielle ou artisanale, qui est dépourvue de caractère impératif ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
10. Considérant que, si M. E...se prévaut de la durée de son séjour en France depuis le 10 octobre 2011, de la présence sur le territoire national d'un frère, titulaire d'une carte de résident, et d'une soeur, de nationalité française, de son statut d'auto-entrepreneur et de son intégration professionnelle et sociale, il ressort toutefois des pièces du dossier que M. E...est entré sur le territoire français pour y poursuivre ses études, que son activité d'auto-entrepreneur est récente et que la seule présence en France d'un frère et d'une soeur ne saurait suffire à établir l'existence d'une vie familiale en France alors que M. E...est dépourvu de toute charge de famille ; que, par ailleurs, il n'établit pas être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine où résident ses parents et où il a lui-même vécu jusqu'à l'âge de 21 ans ; que par suite, la décision refusant à M. E...la délivrance d'un titre de séjour n'a pas porté au droit de celui-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'ainsi, elle n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, pour les mêmes motifs, la décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...E..., au ministre de l'intérieur et à Me B...C....
Copie sera adressée au préfet de l'Eure.
Délibéré après l'audience publique du 13 décembre 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme F...A..., première conseillère,
- M. Rodolphe Féral, premier conseiller.
Lu en audience publique le 30 décembre 2016.
Le rapporteur,
Signé : R. FÉRALLe président de chambre,
Signé : M. G...Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°16DA01110