Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 septembre 2016, MmeF..., représentée par Me B...G..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 juillet 2016 du tribunal administratif de Lille ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 5 000 euros au titre du caractère incomplet du dossier administratif de son mari, une indemnité de 30 000 euros au titre du préjudice moral subi par son mari résultant du traitement discriminatoire dont il a fait l'objet en raison de son état de santé et de son action syndicale, une indemnité de 20 000 euros au titre du préjudice moral qu'elle a subi en raison des fautes commises par l'Etat à l'égard de son mari et une rente de 858 euros net par mois à compter du mois de janvier 2009, indexée sur les prix à la consommation ou un capital de 253 034,50 euros.
3°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 50-400 du 3 avril 1950 ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1984 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 93-89 du 22 janvier 1993 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me A...E...substituant Me B...G...représentant Mme C...F....
Considérant ce qui suit :
1. M. D...F..., né le 5 janvier 1948, a débuté sa carrière dans l'administration de l'éducation nationale en tant que secrétaire d'intendance universitaire contractuel à compter du 3 février 1975, au rectorat de Lille, puis, à partir de septembre 1996, à l'inspection académique d'Arras. Placé en retraire pour invalidité le 1er février 2008, il est décédé le 16 janvier 2009. Son épouse, Mme C...F..., recherche la responsabilité de l'Etat à raison des fautes commises par l'éducation nationale dans la gestion de la carrière de son mari. Elle relève appel du jugement du 5 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant au versement d'une indemnité de 5 000 euros au titre du caractère incomplet du dossier administratif de son mari, d'une indemnité de 30 000 euros au titre du préjudice moral subi par son mari, résultant du traitement discriminatoire dont il a fait l'objet en raison de son état de santé et de son action syndicale, d'une indemnité de 20 000 euros au titre du préjudice moral qu'elle a subi en raison des fautes commises par l'Etat à l'égard de son mari et d'une rente de 858 euros net par mois à compter du mois de janvier 2009, indexée sur les prix à la consommation, ou d'un capital de 253 034,50 euros.
Sur l'illégalité de la situation de M.F... :
2. Aux termes de l'article 5 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sous réserve des dispositions de l'article 5 bis, nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire (...) : 5° S'il ne remplit les conditions d'aptitude physique exigées pour l'exercice de la fonction ".
3. Ainsi qu'il a été dit au point 1, M. F...était agent contractuel de l'éducation nationale depuis le 3 février 1975, recruté sur la base de la loi n° 50-400 du 3 avril 1950 portant autorisation de transformation d'emplois et de réforme de l'auxiliariat, dont les contrats ont ensuite été régulièrement renouvelés. M. F...a été placé en congé de grave maladie du 17 juin 1988 au 17 octobre 1993, puis réintégré dans ses fonctions le 18 octobre 1993. N'ayant pas repris ses fonctions, il a été placé en congé maladie ordinaire jusqu'au 14 février 1994. Ce congé a ensuite été renouvelé à compter du 2 mai 1994. M. F...a été titularisé par un arrêté du 29 avril 1994 du recteur de l'académie de Lille, après avoir été admis à l'examen professionnel d'accès au corps des secrétaires d'administration scolaire et universitaire organisé dans le cadre du décret n° 93-89 du 22 janvier 1993 fixant les conditions exceptionnelles d'intégration de personnels non titulaires du ministère de l'éducation nationale et du ministère de la jeunesse et des sports dans des corps de fonctionnaires de catégorie B. Toutefois, cet arrêté a été retiré par un arrêté du 24 juin 1994 du recteur de l'académie de Lille.
4. Il résulte de l'instruction que M. F...s'est présenté le 25 mai 1994 à la visite médicale d'entrée dans la fonction publique. Le médecin qui l'a examiné ne s'est pas prononcé sur son aptitude. Après avoir décrit son comportement sur le feuillet de la visite médicale, il a précisé que " l'état de M. F...nécessite un avis d'un neuropsychiatre pour décision d'aptitude ". Au vu de ces éléments de nature à créer un doute réel sur l'aptitude physique de M. F... et des éléments présentés au point précédent, l'administration, par l'arrêté précité du 24 juin 1994 a alors retiré son arrêté du 29 avril 1994, sans attendre l'avis du neuropsychiatre.
5. Un acte ne peut être regardé comme inexistant que s'il est dépourvu d'existence matérielle ou s'il est entaché d'un vice d'une gravité telle qu'il affecte, non seulement sa légalité, mais son existence même. La seule circonstance que l'arrêté du 24 juin 1994, dont l'existence matérielle n'est pas discutée, soit entachée d'une insuffisance de motivation au regard des dispositions de l'article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs alors en vigueur, ainsi que l'a jugé à bon droit le jugement attaqué, du fait de l'absence de mention de toute circonstance de fait, en dehors de la simple référence à la visite médicale du 25 mai 1994, ne peut conduire à le considérer comme inexistant, ainsi que le soutient MmeF.... L'administration pouvait en effet, à l'époque, retirer dans le délai de deux mois suivant sa notification, un acte individuel créateur de droit entaché d'une illégalité. Elle a pu, en l'espèce, sans erreur d'appréciation, estimer que l'arrêté de titularisation du 29 avril 1994, acte individuel créateur de droit, était illégal, au motif que M. F...ne remplissait pas les conditions d'aptitude physique exigées pour un fonctionnaire recruté dans un emploi permanent. Par suite, le moyen tiré, d'une part, de l'inexistence de l'arrêté du 24 juin 1994, qui constituerait une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration, et d'autre part du caractère illégal de ce retrait, doit être écarté.
6. Par ailleurs, Mme F...qui ne remet pas en cause l'avis médical du 25 mai 1994 ni celui du 30 juin 1994 du neuropsychiatre qui avait conclu " Inapte temporairement à la titularisation. Doit être maintenu dans la situation d'agent contractuel. Situation à revoir dans un an ", ne démontre pas que la décision contestée serait entachée d'une erreur d'appréciation.
7. Il résulte de l'instruction que M. F...avait demandé le 10 juin 1987 à être titularisé mais que l'administration avait rejeté sa demande le 24 novembre 1987, le texte concernant les titularisations en catégorie A ou en B, suite à la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, n'étant pas encore publié. Le décret précité n° 93-89 du 22 janvier 1993 a rendu possible ces titularisations. M. F...qui ne pouvait, dès lors, être titularisé avant la publication de ce décret, publié au Journal officiel du 24 janvier 1993, l'a été peu de temps après, puisqu'il était avisé le 1er décembre 1993 de son succès à l'examen d'intégration et a bénéficié d'un arrêté de titularisation du 29 avril 1994. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité de la situation de M. F..., qui a enchainé vingt-sept contrats à durée déterminée durant sa carrière doit être écarté, dès lors qu'il n'était pas légalement possible de le titulariser avant le 24 janvier 1993 et qu'il ne remplissait pas, ensuite, les conditions d'aptitude physique pour bénéficier de cette titularisation, ainsi qu'il est dit aux points 3 à 6. Le moyen tiré de la faute constituée par le renouvellement des contrats doit, dans les circonstances de l'espèce, être écarté.
Sur l'illégalité constituée par le dossier incomplet de M.F... :
8. Aux termes de l'article 18 de la loi précitée n° 83-634 du 13 juillet 1983 : " Le dossier du fonctionnaire doit comporter toutes les pièces administratives de l'intéressé, enregistrées, numérotées (...) ". Il résulte de ces dispositions que le dossier individuel du fonctionnaire ne peut légalement contenir que des documents nécessaires à la gestion administrative de la carrière de l'intéressé. Il est constant que Mme F...a pu obtenir, à sa demande, après le décès de son mari, la photocopie des deux cent quarante-cinq pièces composant son dossier administratif, qui était conservé par le rectorat de l'académie de Lille. La requérante ne peut, toutefois, sérieusement soutenir que ce dossier administratif serait incomplet, du fait de l'absence du dossier médical de son mari, dès lors que les dispositions précitées limitent son contenu aux seules pièces administratives. Ce moyen doit être écarté.
Sur la discrimination :
9. Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
10. Si Mme F...soutient que son mari a été victime d'une discrimination fondée, d'une part, sur son état de santé, et d'autre part, sur son activité syndicale, elle ne produit aucun élément au soutien de ses allégations, la condition d'aptitude physique, posée par les dispositions citées au point 2 de l'article 5 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, ne pouvant être considérée comme constituant une telle discrimination. La circonstance, à la supposer établie, selon laquelle M. F...aurait été la seule personne à ne pas être titularisée dans le bureau où il travaillait et qu'il était à cette époque membre de la commission administrative paritaire des agents contractuels n'est pas de nature à démontrer la réalité de ces discriminations.
11. Compte-tenu des éléments évoqués aux points 2 à 10, la seule illégalité fautive est constituée par l'absence de motivation de l'arrêté du 24 juin 1994. L'administration aurait, dès lors, pu prendre légalement la même décision en l'absence de vice de procédure.
Sur le préjudice :
12. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de fautes de l'administration dans la tenue du dossier de M.F..., dans le renouvellement des contrats et en l'absence de discriminations, la seule illégalité résultant du vice de légalité externe dont est entaché l'arrêté du 24 juin 1994 est sans lien de causalité direct avec le préjudice financier allégué par MmeF..., constitué par le montant de la pension de réversion qu'elle aurait touché si son mari avait été titularisé.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 5 juillet 2016, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme F...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...F...et au ministre de l'éducation nationale.
Copie sera adressée au recteur de l'académie de Lille.
1
5
N°16DA01607
1
3
N°"Numéro"