Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 juillet 2018, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 mai 2018 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 4 mai 2015 par laquelle le recteur de l'académie de Lille a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et à l'annulation de la décision du 23 mars 2015 par laquelle le recteur de l'académie de Lille a refusé de reconnaître qu'elle était victime de harcèlement moral ainsi que la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le recteur sur le recours gracieux qu'elle a formé le 5 mai 2015 contre cette décision ;
2°) d'annuler la décision du 4 mai 2015 par laquelle le recteur de l'académie de Lille a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
3°) d'annuler la décision du 23 mars 2015 par laquelle le recteur de l'académie de Lille a refusé de reconnaître qu'elle était victime de harcèlement moral ainsi que la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le recteur sur le recours gracieux qu'elle a formé le 5 mai 2015 contre cette décision ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des troubles qu'elle estime avoir subis dans ses conditions d'existence, la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi et la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi au titre de la perte de revenus ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n°84-16 du 11 janvier 1983 ;
- le décret n° 2011-1317 du 17 octobre 2011 ;
- le décret n° 2020-1403 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... A..., présidente de chambre,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
- et les observations de Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a été promue au grade d'attachée principal d'administration de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et a été affectée, du 1er septembre 2007 au 31 août 2012, au lycée général et technologique Alexandre Ribot de SaintOmer en qualité de gestionnaire et d'agent comptable de cet établissement ainsi que d'un établissement rattaché, le lycée professionnel hôtelier de l'Aa. Elle a ensuite été affectée, du 1er septembre 2012 au 8 septembre 2013, au lycée professionnel Maximilien de Robespierre de Lens en qualité de gestionnaire de cet établissement. A la suite d'un rapport sur sa manière de servir établi par la proviseure de ce lycée, le recteur de l'académie de Lille lui a infligé la sanction de rétrogradation le 6 août 2013. La requérante a ensuite été affectée au lycée professionnel hôtelier Lavoisier à Roubaix. Par courrier du 29 janvier 2015, notifié à l'intéressée le 19 février suivant, le recteur l'a informée de l'engagement d'une nouvelle procédure disciplinaire à son encontre. Par des courriers des 23 mars et 4 mai 2015, faisant suite à des demandes du conseil de la requérante, le recteur de l'académie de Lille a refusé, d'une part, de reconnaître qu'elle était victime de harcèlement moral et d'autre part, de lui accorder la protection fonctionnelle. Après avis en date du 4 juin 2015 de la commission administrative paritaire réunie en formation disciplinaire, Mme D... a fait l'objet, le 8 juillet 2015, d'une sanction de déplacement d'office. La sanction de rétrogradation du 6 août 2013 a été annulée par jugement du tribunal administratif de Lille du 16 juin 2015. Par la suite, le recteur de l'académie de Lille a pris à son encontre une nouvelle sanction consistant en une exclusion de fonctions d'une durée de quinze jours le 30 juillet 2015 pour les faits commis au lycée Lavoisier de Roubaix. La requérante a été détachée, sur sa demande, à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse à compter du 1er août 2015. Elle relève appel du jugement du tribunal administratif de Lille du 2 mai 2018 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 4 mai 2015 par laquelle le recteur de l'académie de Lille a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et à l'annulation de la décision du 23 mars 2015 par laquelle le recteur de l'académie de Lille a refusé de reconnaître qu'elle était victime de harcèlement moral. Elle doit également être regardée comme ayant réitérée, en cause d'appel, les conclusions indemnitaires présentées en première instance.
Sur la demande de jonction :
2. Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif dispose, sans jamais y être tenu, de la faculté de joindre deux ou plusieurs affaires. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de joindre la requête, objet du présent arrêt, avec les requêtes n° 18DA01436 et 18DA01437 également déposées par Mme D....
Sur la recevabilité du mémoire enregistré le 8 octobre 2020 :
3. Aux termes de l'article R. 431-11 du code de justice administrative : " Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. /Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables aux recours pour excès de pouvoir ni aux demandes d'exécution d'un arrêt définitif. / La signature des requêtes et mémoires par l'un de ces mandataires vaut constitution et élection de domicile chez lui. ".
4. Suite à l'information communiquée par son conseil de ce qu'il n'entendait plus représenter Mme D..., par une lettre du 19 janvier 2019 cette dernière a été invitée à régulariser ses écritures en constituant avocat. Par courrier du 5 octobre 2020, dont le pli a été retourné avisé et non réclamé, Mme D... a de nouveau été invitée à régulariser ses écritures en constituant avocat. Mme D... n'a toutefois pas régularisé son mémoire du 8 octobre 2020 qui doit être déclaré irrecevable et écarté des pièces du dossier.
Sur la recevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision du 4 mai 2015 :
5. L'intérêt à faire appel d'un jugement de première instance s'apprécie par rapport à son dispositif et non par rapport à ses motifs. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 4 mai 2015 par laquelle le recteur de l'académie de Lille a refusé d'accorder à Mme D... la protection fonctionnelle. Dès lors, Mme D... est sans intérêt et, par suite, sans qualité à faire appel du jugement sur ce point et à demander, en appel, l'annulation de la décision du 4 mai 2015.
Sur les conclusions indemnitaires:
6. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant (...) la discipline (...) ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : (...) / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements. (...). ".
7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
8. Pour apprécier si des agissements, dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
En ce qui concerne l'affectation au lycée Alexandre Ribot :
9. En premier lieu, Mme D... soutient que le recteur de l'académie de Lille aurait dû affecter un agent plus expérimenté pour assurer la gestion déjà très dégradée du lycée Alexandre Ribot de Saint-Omer. Toutefois, il résulte de l'instruction que Mme D... a exercé, dès 2004, les fonctions de gestionnaire au sein du collège Paul Verlaine à Arras puis en 2005, au lycée Louis Blaringhem de Béthune. S'il est constant que son affectation au lycée Alexandre Ribot de Saint-Omer en 2007 était sa première affectation consécutive à l'obtention de son grade d'attaché principal, ces fonctions correspondaient à son grade et n'étaient pas sa première expérience de gestion en milieu scolaire.
10. En deuxième lieu, Mme D... soutient qu'elle faisait au mieux avec une comptabilité particulièrement dégradée ainsi que l'atteste son compte rendu d'évaluation de l'année 2011. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'elle a commis des erreurs dans la tenue de la comptabilité publique, et notamment dans la production des comptes, sanctionnées en 2010 et 2011 par deux jugements de la chambre régionale des comptes Nord-Pas-de-Calais. En outre, un audit réalisé par les services de la direction départementale des finances publiques a mis en avant des lacunes dans la gestion de la comptabilité publique et a proposé des correctifs, lesquels n'ont toutefois pas été mis intégralement en oeuvre par la requérante. Enfin, le recteur de l'académie de Lille n'est pas resté inactif face aux difficultés qu'a rencontrées Mme D... ainsi qu'en atteste un courrier indiquant qu'il sera bienveillant en cas de débet et que Mme D... conservera son traitement en dépit de la perte de la qualité d'agent comptable.
11. En troisième lieu, si Mme D... soutient que l'acharnement dont elle a fait l'objet résulterait de la mise au jour d'un trafic au sein de la cafétéria, aucun élément ne vient corroborer ses allégations.
En ce qui concerne l'affectation au lycée Robespierre :
12. En premier lieu, Mme D... soutient avoir été affectée dans un lycée à la comptabilité déjà dégradée comme en atteste le courrier rédigé par la proviseure en 2012. Si sa prise de fonction s'est effectivement avérée délicate en raison du refus de signature du procès-verbal de passation avec l'ancien comptable ainsi que la nécessité de suivre, en parallèle, la clôture des opérations comptables du lycée Ribot de Saint-Omer, Mme D... est à l'origine de ce choix de mutation et la matérialité des fautes de gestion qui lui sont reprochées est établie par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. En outre, si le tuteur chargé de la former a partagé son temps d'intervention entre elle et la proviseure, cette circonstance est insuffisante, à elle-seule, pour caractériser un défaut de formation dès lors que les missions confiées à Mme D... correspondaient à son grade et qu'elle a bénéficié d'un suivi notamment par mail. Elle a néanmoins continué à avoir un comportement inadapté et à commettre des fautes dans la gestion du budget de l'établissement.
13. En deuxième lieu, Mme D... affirme avoir fait l'objet de comportements vexatoires de la part de sa hiérarchie. Toutefois, ni les allégations selon lesquelles Mme D... aurait empêché un délit de favoritisme impliquant la proviseure, ni le fait que cette dernière aurait ordonné un changement de serrure ne sont établis. En outre, ni l'affichage de la restructuration des services en salle des professeurs, ni le stationnement du véhicule de la proviseure devant les fenêtres de Mme D... ne sont de nature à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral. Enfin, la circonstance, certes regrettable qu'un article de presse contenant des informations erronées sur la situation de Mme D... ait été publié selon des informations fournies semble-t-il par l'administration, n'est pas plus suffisante, pour caractériser une situation de harcèlement moral.
14. Enfin, Mme D... soutient être victime d'un acharnement de la part du rectorat et que la procédure disciplinaire diligentée à son encontre résulte de la volonté de la directrice de l'établissement de l'inciter à le quitter. Toutefois, l'exercice du pouvoir disciplinaire étant inhérent au pouvoir de nomination, la seule circonstance que le recteur de l'académie de Lille ait diligenté une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme D..., ne peut suffire à faire présumer une situation de harcèlement moral. S'il est constant que la sanction de rétrogradation prononcée était disproportionnée et a été annulée par une décision juridictionnelle, la sanction de quinze jours d'exclusion qui a ensuite été prise le 30 juillet 2015 n'apparaît pas disproportionnée eu égard à la gravité des faits reprochés.
En ce qui concerne l'affectation au lycée Lavoisier :
15. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les faits reprochés par la hiérarchie du lycée Robespierre de Lens, antérieurs à l'affectation de Mme D... au lycée Lavoisier de Roubaix, aient servi de fondement aux poursuites disciplinaires dont elle a fait l'objet à compter du 19 février 2015. Il ne résulte pas plus de l'instruction que ces faits aient influé sur le comportement de la hiérarchie de Mme D... au lycée Lavoisier de Roubaix, Mme D... ayant, à cet égard, obtenu une appréciation satisfaisante au titre de l'année 2014. Enfin, si la seconde procédure disciplinaire diligentée à l'encontre de la requérante a abouti à une sanction de déplacement d'office le 8 juillet 2015, il résulte de l'instruction que la matérialité des faits reprochés à Mme D... a été établie.
16. En deuxième lieu, Mme D... soutient qu'elle aurait fait l'objet d'un harcèlement moral au motif qu'elle a été volontairement affectée par le rectorat sur un poste où la comptabilité était particulièrement dégradée. Toutefois il résulte de l'instruction que Mme D... a choisi cette affectation parmi un choix de trois postes qui lui étaient proposés.
17. En troisième lieu, si la requérante reproche au rectorat de ne l'avoir pas logée, il résulte de l'instruction que le logement de fonction de ce poste était indisponible, ce que savait Mme D... et, que le rectorat lui a trouvé une solution d'hébergement dans un lycée de la même commune.
18. En quatrième lieu, Mme D... soutient que l'enchaînement de sanctions ainsi que l'attitude contradictoire de sa hiérarchie traduisent un acharnement visant à l'empêcher d'obtenir une mutation. Toutefois, le recteur de l'académie de Lille a émis un avis très favorable à un détachement immédiat auprès de la Direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse.
19. En cinquième lieu, Mme D... conteste les retenues sur traitement effectuées. Toutefois, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse soutient, sans être sérieusement contredit, que cette retenue est consécutive à l'expiration de droits à congé maladie ordinaire ce dont il justifie par la production du décompte des droits à congé de Mme D....
20. En sixième lieu, si Mme D... soutient qu'elle n'a pas fait l'objet d'un suivi et de formations adaptées, contrairement à ce qu'elle allègue elle a obtenu l'appui d'un tuteur qui s'est entretenu avec elle ainsi que sa hiérarchie et qu'il se maintenait à sa disposition par mail.
21. En septième lieu, si Mme D... relève de multiples erreurs dans la gestion de sa carrière et notamment, une suspension pour des motifs médicaux, le rectorat a immédiatement retiré cette mesure après l'intervention du conseil de Mme D.... Il n'est pas allégué que cette mesure aurait eu une incidence sur sa carrière, son statut ou sa rémunération. Les allégations selon lesquelles le rectorat aurait volontairement fait obstacle à ses demandes de détachement ne sont pas assorties des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé alors, qu'au demeurant, son détachement dans une autre administration a recueilli un avis très favorable du recteur.
22. En huitième lieu, Mme D... affirme que les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre quelques semaines avant son départ à la Direction régionale de l'emploi, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi de Corse avaient pour objet de ternir son dossier. Mais d'une part, le bref délai entre les deux décisions de sanction prises le 8 et le 30 juillet résulte de la concomitance entre la prise d'une nouvelle sanction suite à l'annulation de la décision de rétrogradation prononcée en 2013, et l'achèvement d'une nouvelle procédure disciplinaire diligentée en 2015. De plus, ces sanctions disciplinaires n'ont pas eu d'incidence sur la demande de détachement formulée par Mme D....
23. Il résulte de tout ce qui précède que les éléments produits par Mme D... ne sont pas de nature à laisser présumer des agissements de harcèlement moral. Par suite, elle n'est pas, en tout état de cause, fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat à ce titre. Mme D... n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1 : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Me C... pour Mme B... D... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera transmise au recteur de l'académie de Lille.
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N°18DA01438