Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 octobre 2020, M. B... représenté par Me Marseille demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté en tant qu'il fixe le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de l'admettre provisoirement au séjour dans les quinze jours de la décision à intervenir et de procéder au réexamen de sa situation et ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant irakien d'origine kurde né le 1er janvier 1992 a été condamné le 18 février 2019, par un jugement du tribunal judiciaire de Dunkerque, à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec une interdiction définitive du territoire français pour aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France ou dans l'espace Schengen, en bande organisée. Par un arrêté du 11 janvier 2020, le préfet du Nord a fixé le pays de destination de son éloignement pour l'exécution cette mesure d'interdiction judiciaire du territoire et ordonné son placement en rétention. Par un jugement du 16 janvier 2020 dont M. B... relève appel, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté la demande d'annulation dirigée contre la seule décision fixant le pays des destination et les conclusions à fin d'injonction à délivrance d'une autorisation provisoire de séjour.
3. Aux termes de l'article L. 541-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicable en l'espèce : " La peine d'interdiction du territoire français susceptible d'être prononcée contre un étranger coupable d'un crime ou d'un délit est régie par les dispositions des articles 131-30, 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal ci-après reproduites : / "Art. 131-30 du code pénal. / "Lorsqu'elle est prévue par la loi, la peine d'interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit. / "L'interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion. Lorsque l'interdiction du territoire accompagne une peine privative de liberté sans sursis, son application est suspendue pendant le délai d'exécution de la peine. Elle reprend, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin. (...) ". L'article L. 541-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France dispose que " Les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 214-4, de l'article L. 513-2, du premier alinéa de l'article L. 513-3 et des articles L. 513-5 et L. 561-1 sont applicables à la reconduite à la frontière des étrangers faisant l'objet d'une interdiction du territoire, prévue au deuxième alinéa de l'article 131-30 du code pénal.. " Aux termes de l'article L. 513-2 du même code : " l'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; (...)3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible./ Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
4. Aussi longtemps que la personne condamnée n'a pas obtenu de la juridiction qui a prononcé la condamnation pénale le relèvement de la peine d'interdiction du territoire, l'autorité administrative est tenue de pourvoir à son exécution, sous réserve que la décision fixant le pays de renvoi n'expose pas l'intéressé à être éloigné à destination d'un pays dans lequel sa vie ou sa liberté seraient menacées et où il serait exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. M. B... a été entendu par les services de police le 3 janvier 2020. Il a indiqué à cette occasion être présent en France depuis six mois à la date de son incarcération et n'avoir pas déposé de demande d'asile. Interrogé sur les circonstances de son départ d'Irak, il a expliqué que son père travaillait pour l'Etat Kurde et a été assassiné, sa famille étant en danger, sa mère lui a demandé de partir et le reste de sa famille a rejoint la Suède. Il a précisé ne pas vouloir retourner en Irak. Dans l'arrêté du 11 janvier 2020, le préfet du Nord a relevé que M. B... " n'allègue pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine ". Au regard des déclarations de M. B... durant son audition par les services de police, le préfet a entaché d'erreur de fait la décision fixant le pays de destination qui inclut l'Irak et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait pris la même décision s'il n'avait pas commis une telle erreur dans la prise en compte des déclarations de M. B.... Dès lors M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination contenue dans l'arrêté du 11 janvier 2020 du préfet du Nord. Ce jugement et cette décision doivent donc être annulés sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête.
6. L'annulation par le présent arrêt de cette décision n'implique pas que le préfet du Nord admette provisoirement au séjour M. B... qui au demeurant reste sous le coup d'une interdiction définitive du territoire français. Les conclusions à fin d'injonction doivent donc être rejetées.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Marseille d'une somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve que Me Marseille renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 16 janvier 2020 rendu par le magistrat désigné du tribunal administratif de Lille est annulé et l'arrêté du 11 janvier 2020 du préfet du Nord est annulé en tant qu'il fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement dont M. B... fait l'objet.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à Me Marseille en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande de M. B... devant le tribunal administratif de Lille et le surplus des conclusions de sa requête devant la cour sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me Marseille pour M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Nord.
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N°20DA001592
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