Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 juillet 2020, M. B..., représenté par Me E... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 janvier 2020 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 janvier 2020 par lequel le préfet du Nord a prononcé son transfert aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme F... A..., présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... est un ressortissant guinéen né le 5 juin 1995 à Conakry (Guinée). Il a présenté une première demande d'asile en France le 6 novembre 2018 et a fait l'objet d'un arrêté prononçant son transfert aux autorités italiennes. Revenu en France après l'exécution de cette mesure, M. B... a déposé une nouvelle demande d'asile le 3 décembre 2019. Par un arrêté du 6 janvier 2020, le préfet du Nord a prononcé son transfert aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence. M. B... relève appel du jugement du 24 janvier 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert :
2. Il ressort des pièces du dossier que, postérieurement à l'enregistrement de la requête d'appel le 3 juillet 2020, le préfet du Nord a délivré le 13 août 2020 à M. B... une attestation de demande d'asile selon la procédure normale. Cette décision, qui de par son objet abroge implicitement mais nécessairement l'arrêté portant remise de M. B... aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision d'assignation à résidence subséquente, étant devenue définitive, les conclusions à fin d'annulation de la décision du 6 janvier 2020 par laquelle le préfet du Nord a prononcé le transfert de M. B... sont devenues sans objet.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision portant assignation à résidence :
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.-L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : / (...) / 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride / (...) "
4. Aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) ". Aux termes de l'article 24 du même règlement, relatif à la " Présentation d'une requête aux fins de reprise en charge lorsque aucune nouvelle demande a été introduite dans l'État membre requérant " : " 1. Lorsqu'un État membre sur le territoire duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b) (...), se trouve sans titre de séjour et auprès duquel aucune nouvelle demande de protection internationale n'a été introduite estime qu'un autre État membre est responsable conformément (...) à l'article 18, paragraphe 1, point b) (...), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. (...) lorsqu'un État membre sur le territoire duquel une personne se trouve sans titre de séjour décide d'interroger le système Eurodac (...), la requête aux fins de reprise en charge d'une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b) (...), du présent règlement (...), dont la demande de protection internationale n'a pas été rejetée par une décision finale, est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (...) / Si la requête aux fins de reprise en charge est fondée sur des éléments de preuve autres que des données obtenues par le système Eurodac, elle est envoyée à l'État membre requis, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l'État membre requérant a appris qu'un autre État membre pouvait être responsable pour la personne concernée. / 3. Si la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais prévus au paragraphe 2, l'État membre sur le territoire duquel la personne concernée se trouve sans titre de séjour donne à celle-ci la possibilité d'introduire une nouvelle demande. / (...) ".
5. Ainsi que le tribunal l'a relevé, la Cour de Justice de l'Union Européenne, par l'arrêt du 25 janvier 2018, Bundesrepublik Deutschland contre Aziz Hasan, C360/16, a dit pour droit que l'article 24, paragraphe 2, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que, dans une situation dans laquelle un ressortissant d'un pays tiers est revenu, sans titre de séjour, sur le territoire d'un Etat membre ayant procédé par le passé à son transfert vers un autre Etat membre, d'une part, la requête aux fins de reprise en charge doit être envoyée dans les délais prévus à cette disposition et, d'autre part, ces délais ne peuvent pas commencer à courir avant que l'Etat membre requérant n'ait eu connaissance du retour de la personne concernée sur son territoire. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais prévus à l'article 24, paragraphe 2, de ce règlement, l'Etat membre sur le territoire duquel se trouve la personne concernée sans titre de séjour est responsable de l'examen de la nouvelle demande de protection internationale que cette personne doit être autorisée à introduire.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a présenté une demande d'asile en France en novembre 2018 après avoir demandé l'asile en Italie en juin 2018. Il est revenu en France selon ses déclarations le 16 juin 2019. Dans un courriel du 23 juin 2019, le conseil de M. B... a informé la préfecture de la volonté du requérant de solliciter le renouvellement de son attestation de demande d'asile " procédure Dublin ". Par un courriel du 15 juillet 2019, les services préfectoraux ont répondu que la procédure Dublin ayant été clôturée, M. B... devait présenter une nouvelle demande d'asile. Il ressort également des pièces du dossier que M. B... n'a été en mesure de déposer sa demande d'asile qu'à compter du 3 décembre 2019. Dès lors, au regard de l'objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale recherché par ce règlement, il appartenait au préfet du Nord, qui disposait, en tout état de cause, au 15 juillet 2019, d'éléments permettant d'envisager la responsabilité d'un autre Etat membre, et était à même, s'il l'estimait utile, de procéder à une nouvelle consultation du système Eurodac, de demander, le cas échéant, la reprise en charge de M. B... par un autre Etat avant l'expiration des délais, prescrits par le paragraphe 2 de l'article 24 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui commençaient à courir à compter du courriel du 15 juillet 2019.
7. Or, il est constant que la requête aux fins de reprise en charge adressée par le préfet du Nord aux autorités italiennes n'a été établie que le 6 décembre 2019, après le dépôt par M. B..., d'une nouvelle demande de protection en France et une nouvelle interrogation du système Eurodac le 3 décembre 2019. Cette demande de reprise en charge n'a donc pas été présentée dans le délai de deux mois, ni même de trois mois, prescrits par l'article 24 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Dès lors, conformément à l'interprétation donnée par la Cour de Justice de l'Union Européenne des dispositions du paragraphe 3 de l'article 24 du règlement Dublin III dans l'arrêt susmentionné du 25 janvier 2018, la France était responsable de l'examen de la nouvelle demande d'asile déposée par M. B.... Par suite, le préfet du Nord, en décidant le 7 mai 2019 de prononcer le transfert de l'intéressé, a méconnu l'article 24 du règlement Dublin III.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de cette mesure sur sa situation personnelle, que la décision prononçant le transfert de M. B... aux autorités italiennes étant illégale, la décision l'assignant à résidence ne pouvait pas être prononcée sur la base de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement contesté, le magistrat désigné a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision portant assignation à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que les conclusions à fin d'injonction sont devenues sans objet et doivent être rejetées.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge l'Etat une somme de 1 000 en application des dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 6 janvier 2020 par laquelle le préfet du Nord a prononcé le transfert de M. B... aux autorités italiennes et sur les conclusions à fin d'injonction.
Article 2 : Le jugement n°2000124 du 24 janvier 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il rejette les conclusions tendant à l'annulation de la décision portant assignation à résidence de M. B....
Article 3 : La décision du 6 janvier 2020 portant assignation à résidence de M. B... est annulée.
Article 4 : L'Etat versera à Me E... C... la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus de la requête de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Me E... C... pour M. D... G... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet du Nord.
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N°20DA00929