Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 janvier 2020 et 21 mai 2020, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'infirmer le jugement du 18 septembre 2019 du tribunal administratif de Lille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 mai 2019 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une carte de séjour temporaire, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de titre de séjour, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai de quinze jours suivant la notification du présent arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A..., ressortissant guinéen, a déclaré être né le 3 février 2001 à Balato (Guinée) et être entré le 12 septembre 2017 sur le territoire français " en qualité de mineur isolé étranger ". Le 1er décembre 2017, il a été confié à l'aide sociale à l'enfance par ordonnance de placement provisoire du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Pontoise. Par un jugement du 11 janvier 2018, le juge des enfants près le tribunal de grande instance de Lille a décidé de maintenir son placement à l'aide sociale à l'enfance du Nord jusqu'à sa majorité présumée. Le 18 décembre 2018, il a effectué une demande de délivrance de carte de séjour temporaire en qualité de " mineur placé auprès de l'aide sociale à l'enfance - placement après l'âge de 16 ans ". Par un arrêté du 21 mai 2019, le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 18 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 21 mai 2019.
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, la décision du 21 mai 2019 portant refus de titre de séjour cite les dispositions dont elle fait application, en particulier l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 47 du code civil. Elle comprend également les éléments de fait qui motivent le refus. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation de M. A... n'aurait pas fait l'objet d'un examen particulier de la part du préfet du Nord. Par suite, ce moyen doit être écarté.
4. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. " Aux termes de l'article R. 311-2-2 du même code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants. ". Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de "salarié" ou "travailleur temporaire", présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. [...] ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. " Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier être dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire et bénéficier ainsi des dispositions précitées de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, M. A... a présenté deux extraits de registre de l'état civil établis les 13 juillet et 27 août 2018 ainsi qu'un jugement supplétif rendu le 24 juillet 2018. Pour estimer que ces actes étaient dépourvus de force probante, le préfet du Nord, qui peut contester la force probante des actes d'état civil étrangers par tous moyens et n'est pas tenu de le faire en saisissant les autorités de l'Etat à l'origine de ces documents, s'est appuyé sur l'analyse des actes d'état civil fournis qui a été réalisée par le consulat général de France à Conakry (Guinée). Ce dernier relève, dans son courrier électronique du 18 décembre 2018, l'incohérence entre le jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance daté du 24 juillet 2018 et la production d'un acte de naissance antérieur. Par ailleurs, il souligne que les documents produits ne comportent pas certaines mentions, pourtant obligatoires, telles que la date de naissance de chacun des parents. Par ailleurs, pour estimer que les actes en litige étaient dépourvus de force probante, le préfet du Nord s'est également appuyé sur l'analyse de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Calais qui, par une note du 6 février 2019, a relevé le caractère contrefait de l'acte de naissance du 13 juillet 2018 établi antérieurement au jugement supplétif en date du 24 juillet 2018. Dans ces conditions, le préfet du Nord a pu valablement, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 47 du code civil, considérer que les actes d'état civil produits devant lui étaient dépourvus de force probante et que M. A... ne satisfaisait pas à la condition posée par l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile d'avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans. Par ailleurs, l'intéressé ne justifiant pas avoir formulé sa demande dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, il n'est pas davantage fondé à soutenir, ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges, que c'est à tort que le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour en considérant que les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précitées n'étaient pas remplies. Le moyen tiré de la violation de cet article et de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le préfet du Nord ne peut, en conséquence, qu'être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a indiqué être entré en France le 12 septembre 2017, soit depuis moins de deux ans à la date de la décision attaquée. Si l'intéressé produit des documents démontrant son investissement dans le cadre de sa formation CAP " couvreur " au lycée professionnel Georges Guynemer de Saint Pol sur Mer débutée en août 2018, et notamment en tant qu'apprenti au sein de la société ECR, le suivi de cours d'alphabétisation ainsi que la participation à un club de football, il ne résulte pas de ces éléments que, compte tenu des conditions et de la durée de son séjour en France, le préfet du Nord ait porté une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l'intéressé en refusant de lui délivrer un titre de séjour. Par suite, le moyen tiré de la violation du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté. Par ailleurs, pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit également être écarté.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision de refus de titre ne peut qu'être écarté.
10. En second lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 8, le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour le même motif, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit également être écarté.
Sur la décision fixant le pays de destination :
11. En premier lieu, il y a lieu d'écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision fixant le pays de destination, l'intéressé n'apportant aucun élément nouveau de fait ou de droit, en cause d'appel, sur ce point.
12. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., au ministre de l'intérieur et à Me D... B....
Copie en sera adressée au préfet du Nord.
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N°20DA00012
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