Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 juillet 2019, M. A... B..., représenté par Me C... D... demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 27 mars 2019 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a décidé de son transfert aux autorités belges ;
3°) d'enjoindre à la préfète de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de sept jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de désigner un interprète en langue arabe ;
5°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 300 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant irakien né le 14 août 1992, est entré irrégulièrement en France à une date inconnue. Il a sollicité, le 7 mars 2019, son admission au séjour en qualité de réfugié auprès des services de la préfecture de la Seine-Maritime. La consultation du fichier Eurodac permettant d'établir qu'il avait été précédemment identifié en tant que demandeur d'asile en Belgique le 7 octobre 2018, le préfet de la Seine-Maritime a, par un arrêté en date du 27 mars 2019, prononcé son transfert aux autorités belges, celles-ci ayant accepté leur responsabilité par un accord explicite du 18 mars 2019. M. A... B... relève appel du jugement du 6 juin 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :
2. La demande d'aide juridictionnelle déposée par M. A... B... dans le cadre de la présente instance a été rejetée par le président du bureau d'aide juridictionnelle. Il n'invoque en outre aucune urgence au sens de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'admettre le requérant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Sur la désignation d'un interprète :
3. Aucune disposition applicable ni aucun principe ne prévoit ou n'exige qu'un étranger qui conteste un refus de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire et d'une décision fixant le pays de renvoi bénéficie d'un interprète. Par suite, l'affaire est en état d'être jugée.
Sur la légalité externe de l'arrêté en litige :
4. Aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ". Aux termes de l'article 35 du même règlement : " 1. Chaque Etat membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. Les Etats membres veillent à ce qu'elles disposent des ressources nécessaires pour l'accomplissement de leur mission et, notamment, pour répondre dans les délais prévus aux demandes d'informations, ainsi qu'aux requêtes aux fins de prise en charge et de reprise en charge des demandeurs. / (...) 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement (...) ". Aux termes de l'article 4 de la même directive : " 1. Les Etats membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. (...) / 2. Les Etats membres peuvent prévoir qu'une autorité autre que celle mentionnée au paragraphe 1 est responsable lorsqu'il s'agit : / a) de traiter les cas en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 (...). / 4. Lorsqu'une autorité est désignée conformément au paragraphe 2, les Etats membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en oeuvre de la présente directive (...) ".
5. D'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment des éléments versés aux débats par le préfet, que M. A... B... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, dans les locaux de la préfecture de la Seine-Maritime, le 7 mars 2019. En l'absence de tout élément de nature à faire naître un doute sérieux sur ce point, il n'est pas établi que l'agent de la préfecture, qui a mené cet entretien, n'aurait pas été mandaté à cet effet par le préfet de la Seine-Maritime après avoir bénéficié d'une formation appropriée et ne serait, par suite, pas une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions citées au point précédent. Le requérant ne précise d'ailleurs pas en quoi l'agent de la préfecture n'aurait pas mené cet entretien conformément aux exigences prévues par le règlement du 26 juin 2013, ni en quoi la procédure de détermination de l'Etat responsable aurait été faussée en l'espèce compte tenu des conditions dans lesquelles cet entretien s'est déroulé. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'entretien s'est déroulé de façon irrégulière en l'absence de formation suffisante de l'agent qui l'a interrogé doit être écarté.
6. D'autre part, si M. A... B... soutient que le paragraphe 4 de l'article 4 de la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale, qui impose aux Etats membres de former les agents qui instruisent les demandes d'asile et de s'assurer qu'ils disposent des connaissances appropriées s'agissant de la mise en oeuvre du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, n'a pas fait l'objet, dans le délai imparti, d'une transposition suffisante en droit interne, faute de dispositions nationales précisant que l'entretien individuel est mené par une " personne qualifiée en vertu du droit national " disposant " des connaissances appropriées " ou ayant reçu la " formation nécessaire pour remplir ses obligations ", les articles 5 et 35 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 citées au point 3 comportent des dispositions identiques qui sont directement applicables en droit interne. Par suite, le moyen doit, en tout état de cause, être écarté.
Sur la légalité interne de l'arrêté en litige :
7. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable devient l'Etat membre responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
8. La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
9. M. A... B... ne fait état d'aucune circonstance qui justifierait que la France examine sa demande de protection internationale alors même que son examen ne lui incombe pas. Le requérant n'apporte aucun élément de nature à justifier d'une vie privée et familiale stable en France, ni de l'impossibilité de s'installer en Belgique où il n'établit pas qu'il serait exposé à des risques personnels constitutifs d'une atteinte grave au droit d'asile. Dès lors, M. A... B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Seine-Maritime aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 en ne faisant pas usage de la faculté qu'elles ouvrent de procéder à l'examen de sa demande d'asile.
10. L'arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Belgique et non dans son pays d'origine. Or, la Belgique, pays membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M. A... B... ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Belgique dans la procédure d'asile ou que les juridictions belges n'auraient pas traité sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. En outre, il ne ressort d'aucune pièce versée au dossier que les autorités belges, alors même que la demande d'asile de M. A... B... a été rejetée, n'évalueront pas, avant de procéder éventuellement à son éloignement, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Irak.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées, de même que la demande présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... B..., au ministre de l'intérieur, et à Me C... D....
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.
N°19DA01581 5