Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 décembre 2019 et 21 novembre 2020, M. C..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner Lille Métropole Habitat à lui verser la somme de 39 429,21 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2018 et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il a subis ;
3°) de mettre à la charge de Lille Métropole Habitat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;
- le décret n° 85-1054 du 30 septembre 1985 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me D... pour Lille Métropole Habitat.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., adjoint technique territorial de 1ère classe, exerçait ses fonctions auprès de l'office public de l'habitat Lille Métropole Habitat. Il a été placé en congé longue durée à plein traitement du 18 septembre 2010 au 18 septembre 2013 puis à demi-traitement jusqu'au 18 septembre 2015. Par arrêté du 21 avril 2016, Lille Métropole Habitat l'a placé en disponibilité d'office à compter du 18 septembre 2015. A la suite de l'avis favorable de la commission de réforme du 22 avril 2016, un arrêté du 30 mai 2016 a prolongé la disponibilité d'office de M. C... jusqu'au 30 juin 2016, l'a mis en retraite pour invalidité à compter du 1er juillet 2016 et l'a radié des cadres à compter de cette même date. M. C... relève appel du jugement du 12 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de Lille Métropole Habitat, pour manquement à son obligation de reclassement, à lui verser une indemnité en réparation des préjudices subis.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la faute commise par Lille Métropole Habitat :
2. Aux termes de l'article 32 du décret du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des comités médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux : " Si, au vu de l'avis du comité médical compétent et éventuellement de celui du comité médical supérieur, dans le cas où l'autorité territoriale ou l'intéressé jugent utile de le provoquer, le fonctionnaire est reconnu apte à exercer ses fonctions, il reprend celles-ci dans les conditions fixées à l'article 33 ci-dessous. Si, au vu des avis prévus ci-dessus, le fonctionnaire est reconnu inapte à exercer ses fonctions, le congé continue à courir ou, s'il était au terme d'une période, est renouvelé. Il en est ainsi jusqu'au moment où le fonctionnaire sollicite l'octroi de l'ultime période de congé rétribuée à laquelle il peut prétendre. Le comité médical doit alors donner son avis sur la prolongation du congé et sur la présomption d'inaptitude du fonctionnaire à reprendre ses fonctions. S'il y a présomption d'inaptitude définitive, la commission de réforme prévue par le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 modifié relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales se prononce, à l'expiration de la période de congé rémunéré, sur l'application de l'article 37 ci-dessous. [...] " Par ailleurs, aux termes de l'article 37 du même décret : " Le fonctionnaire ne pouvant, à l'expiration de la dernière période de congé de longue maladie ou de longue durée, reprendre son service est soit reclassé dans un autre emploi, en application du décret n° 85-1054 du 30 septembre 1985 susvisé, soit mis en disponibilité, soit admis à la retraite après avis de la commission de réforme prévue par le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. Pendant toute la durée de la procédure requérant soit l'avis du comité médical, soit l'avis de la commission de réforme, soit l'avis de ces deux instances, le paiement du demi-traitement est maintenu jusqu'à la date de la décision de reprise de service ou de réintégration, de reclassement, de mise en disponibilité ou d'admission à la retraite. ".
3. Il résulte d'un principe général du droit, dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur emploi que les règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires, que, lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve, de manière définitive, atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il incombe à l'employeur public, avant de pouvoir l'admettre à la retraite, après avis de la commission de réforme, de chercher à reclasser l'intéressé dans un autre emploi. La mise en oeuvre de ce principe implique que, sauf si l'agent manifeste expressément sa volonté non équivoque de ne pas reprendre une activité professionnelle, l'employeur propose à ce dernier un emploi compatible avec son état de santé et aussi équivalent que possible avec l'emploi précédemment occupé ou, à défaut d'un tel emploi, tout autre emploi si l'intéressé l'accepte. Ce n'est que lorsque ce reclassement est impossible, soit qu'il n'existe aucun emploi vacant pouvant être proposé à l'intéressé, soit que l'intéressé est déclaré inapte à l'exercice de toutes fonctions ou soit que l'intéressé refuse la proposition d'emploi qui lui est faite, qu'il appartient à l'employeur de prononcer, dans les conditions applicables à l'intéressé, son admission à la retraite.
4. Il résulte de l'instruction que, par des courriers du 30 juin 2010 et du 21 juillet 2010, Lille Métropole Habitat a informé M. C... de sa possibilité de solliciter, conformément à l'avis du comité médical départemental du 11 juin 2010, une demande de reclassement et lui a proposé la réalisation d'un bilan professionnel. Par un courrier du 5 août suivant, M. C... a indiqué que son état de santé ne lui permettait pas actuellement de faire ce bilan et a souhaité qu'il soit effectué ultérieurement. Il résulte également de l'instruction qu'à la suite du rapport du docteur Fleury du 29 juillet 2011 et de l'avis du comité médical départemental du 23 septembre 2011 estimant que l'intéressé était inapte à ses fonctions d'ouvrier d'espaces verts mais apte à un reclassement et à la réalisation d'un bilan de compétence, Lille Métropole Habitat a, par un courrier du 27 février 2012, proposé à M. C... un rendez-vous pour un bilan professionnel avec la société RH Partners. Constatant que l'intéressé avait suspendu ce bilan professionnel, Lille Métropole Habitat lui a demandé de bien vouloir lui confirmer son souhait de le poursuivre. Par un courrier du 27 septembre 2012, M. C... a indiqué vouloir continuer celui-ci mais a sollicité des réponses à ses interrogations concernant le remboursement de ses frais kilométriques et une éventuelle prise en charge en cas d'accident sur son trajet. Par un courrier du 18 octobre 2012, Lille Métropole Habitat a répondu à ses interrogations et lui a proposé de suspendre son bilan professionnel.
5. Toutefois, si Lille Métropole Habitat soutient que M. C... s'est ensuite abstenu de toute démarche, il résulte de l'instruction et notamment d'un courrier en date du 26 août 2013 que M. C... a réitéré sa demande de reclassement professionnel et sollicité des propositions de poste. A cette date, le comité médical avait indiqué, dans son avis du 19 avril 2013, et l'a réitéré dans ses avis du 20 septembre 2013 et 13 juin 2014, qu'une réintégration à temps partiel thérapeutique était envisageable sur un poste adapté ou un reclassement en liaison avec la médecine préventive. De même, le docteur Fleury avait estimé, le 1er mars 2013, et l'a réitéré dans ses rapports des 28 juin 2013 et 7 avril 2014, que la situation médicale de M. C... permettait d'envisager sa réintégration à temps partiel thérapeutique à 50 % sur un poste adapté ou son reclassement. Lille Métropole Habitat n'établit ni même n'allègue avoir recherché les possibilités de reclassement de M. C.... Ainsi, à compter du 26 août 2013, date de la demande de reclassement de M. C..., cette carence fautive est de nature à engager la responsabilité de Lille Métropole Habitat.
6. Mais, il résulte de l'instruction que le docteur Fleury a estimé, le 13 mars 2015, que M. C... " n'est pas apte à reprendre son travail " et que " l'état de santé de M. C... le rend inapte de façon totale et définitive à l'exercice de toute activité professionnelle ". Le comité médical départemental a, le 28 août 2015, donné un avis favorable à la mise en retraite pour invalidité pour inaptitude totale et définitive à toute fonction. Après avoir sursis à statuer pour effectuer un complément d'analyse, la commission de réforme a, le 22 avril 2016, rendu un avis favorable à la demande de mise en retraite pour invalidité de l'intéressé. La production d'un courrier du 28 novembre 2015 émanant du pôle santé travail mentionnant que l'intéressé " peut occuper un poste où il n'y a pas de port de charges de plus de vingt kilos et pas de travail en hauteur " est insuffisante à elle seule pour remettre en cause les constats médicaux précités d'inaptitude à l'exercice de toute fonction à compter du 13 mars 2015. Par suite, et contrairement à ce que soutient M. C..., son reclassement était, à cette date, devenu impossible, de sorte que la responsabilité de Lille Métropole Habitat ne saurait être engagée que pour la période allant du 26 août 2013 au 13 mars 2015.
En ce qui concerne la réparation des préjudices:
7. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public. ".
8. Lille Métropole Habitat a réceptionné la demande préalable indemnitaire de M. C... le 8 mars 2018. L'office public est donc fondé à soutenir que la créance constituée au titre de l'année 2013 est prescrite par application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 précité et ne saurait donner lieu à indemnisation.
9. En deuxième lieu, si M. C... indique qu'il n'a perçu qu'un demi-traitement et sollicite le paiement d'un complément afin d'obtenir son plein traitement, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que seule sa réintégration à mi-temps thérapeutique était, eu égard à son état de santé, envisageable. Par suite, il n'est pas fondé à solliciter un préjudice financier à ce titre entre le 1er janvier 2014 et le 13 mars 2015.
10. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise du docteur Fleury en date du 7 avril 2014, que l'absence de reclassement a entraîné un préjudice moral pour M. C.... Il en sera fait une juste appréciation en l'établissant, pour la période allant du 1er janvier 2014 au 13 mars 2015, à la somme de 2 000 euros.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à solliciter le versement d'une somme de 2 000 euros de la part de Lille Métropole Habitat, pour manquement à ses obligations en matière de reclassement, en réparation du préjudice moral subi. En conséquence, il est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'engagement de la responsabilité de Lille Métropole Habitat. Par suite, ce jugement doit être annulé.
En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :
12. M. C... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 2 000 euros à compter du 5 mars 2018, date de la réception de sa demande indemnitaire préalable par Lille Métropole Habitat, ainsi que leur capitalisation à compter du 5 mars 2019, date à laquelle était due au moins une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. C... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante au titre des frais exposés par Lille Métropole Habitat et non compris dans les dépens. Par ailleurs, M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 %. Il n'allègue pas avoir engagé d'autres frais que ceux partiellement pris en charge à ce titre. Son avocat a demandé que lui soit versée par Lille Métropole Habitat la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié de l'aide juridictionnelle. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de Lille Métropole Habitat le versement à Me E... de la somme de 1 000 euros, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 12 juillet 2019 est annulé.
Article 2 : Lille Métropole Habitat est condamné à verser à M. C... la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral, assortie des intérêts à compter du 5 mars 2018 et de leur capitalisation à compter du 5 mars 2019.
Article 3 : Lille Métropole Habitat versera à Me E... une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Les conclusions présentées par Lille Métropole Habitat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me E... pour M. C... et à Me B... pour Lille Métropole Habitat.
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N°19DA02804