M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 février 2019 par lequel la préfète de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n°1900934 du 29 mars 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 9 mai 2019 sous le numéro 19DA01081, et un mémoire en réplique, enregistré le 14 août 2019, Mme B..., représentée par Me A... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire valable un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation, dans un délai de huit jours et sous la même astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
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II. Par une requête, enregistrée le 9 mai 2019 sous le numéro 19DA01982, et un mémoire en réplique, enregistré le 14 août 2019, M. B..., représenté par Me A... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) à titre principale, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire valable un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation, dans un délai de huit jours et sous la même astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 61-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes susvisées n° 19DA01081 et n° 19DA01082 présentées par Mme B... et M. B... présentent à juger sur les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
2. Mme B... et M. B..., ressortissants albanais, respectivement nés le 23 juin 1995 et le 29 mai 1987, déclarent avoir quitté leur pays et être entrés sur le territoire français le 6 décembre 2016 en raison de crainte pour leur sécurité. Ils ont déposé en France une demande d'asile le 17 janvier 2017. Leurs demandes ont été rejetées par décision du 30 juin 2017 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui a également rejeté leurs demandes de réexamen comme irrecevables, le 28 juin 2018. Ces décisions ont été confirmées par deux décisions du 20 avril 2018 et du 8 janvier 2019 de la Cour nationale du droit d'asile. Mme B... et M. B... relèvent appel des jugements par lesquels le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à l'annulation des arrêtés du 19 février 2019 par lesquels la préfète de la Seine-Maritime les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, dans le cas prévu au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise après que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du défaut de reconnaissance de cette qualité ou de ce bénéfice. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande de reconnaissance de sa qualité de réfugié. Lorsqu'il sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection internationale, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, l'intéressé ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Il appartenait à Mme et M. B..., à l'occasion du dépôt de leurs demandes d'asile, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle des demandeurs en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'ils jugeaient utiles, et notamment celles de nature à permettre à l'administration d'apprécier leur droit au séjour au regard d'autres fondements que celui de l'asile. Le droit des intéressés d'être entendus, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de la reconnaissance de la qualité de réfugié, n'imposait pas à l'autorité administrative de les mettre à même de réitérer leurs observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français. Ainsi, la circonstance que Mme et M. B... n'aient pas été invités à formuler des observations avant l'édiction de la décision d'éloignement ne permet pas de les regarder comme ayant été privés de leur droit à être entendus. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu tel que garanti par le principe général du droit de l'Union européenne doit, dès lors, être écarté.
4. Il ressort des termes de la décision attaquée que la préfète de la Seine-Maritime a procédé à un examen de la situation personnelle des requérants au regard de leur situation familiale, de leur insertion professionnelle et sociale, des conditions et de la durée de leur présence sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation personnelle des requérants par la préfète de la Seine-Maritime qui n'avait, à la date de l'arrêté en litige, aucune raison de penser que l'état de santé de Mme B... nécessitait une prise en charge médicale, doit être écarté.
5. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment d'une ordonnance médicale du 13 mars 2019 établie par un médecin psychiatre et d'une attestation de suivi établie par le secrétariat du centre hospitalier du Rouvray, que Mme B... est suivie régulièrement par un médecin psychiatre et qu'elle est sous anxiolytique et antidépresseurs. Toutefois il n'est ni établi ni même allégué que Mme B... serait dans l'impossibilité de voyager, ni même qu'elle ne pourrait pas bénéficier d'un suivi médical et du traitement qui lui sont nécessaires en Albanie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".
8. Les requérants sont mariés et parents d'un enfant en bas âge né le septembre 2017 sur le territoire français. Ils ne font état d'aucune circonstance qui ferait obstacle à ce que la cellule familiale constituée par eux et leur enfant mineur se poursuive hors de France. La promesse d'embauche versée au dossier, postérieure à l'arrêté en litige, n'est pas de nature à établir que M. B... ferait preuve une intégration sociale et professionnelle d'une particulière intensité. En outre, il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'il n'est pas établi que l'état de santé de Mme B... nécessiterait son maintien sur le territoire français. Il n'est pas non plus établi ni même allégué que les requérants seraient dépourvus d'attaches dans leur pays d'origine, où ils ont respectivement vécu au moins jusqu'à l'âge de vingt et un et vingt-neuf ans. Par suite, Mme et M. B... ne sont pas fondés à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste qu'aurait commise l'autorité préfectorale dans l'appréciation des conséquences de sa mesure sur la situation personnelle des intéressés doit être écarté.
9. Il résulte ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'illégalité.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
10. Les motivations en fait de la décision fixant le pays de destination et de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne se confondent pas nécessairement. En revanche, la motivation en droit de ces deux décisions est identique et résulte des termes mêmes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les arrêtés attaqués précisent la nationalité des requérants et énonce notamment que rien ne permet de considérer que la décision méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, la décision par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a fixé le pays de destination énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision fixant le pays de renvoi doit être écarté.
11. Il résulte de ce qui a été dit, aux points 3 à 9, que les requérants ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, au soutien de leurs conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi.
12. Aux termes de l'article L. 513-2 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de cet article 3 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
13. Mme et M. B... ne produisent aucun élément de nature à établir la réalité et l'actualité des risques qu'ils prétendent encourir en cas de retour en Albanie, où ils craignent d'être exposés à des persécutions du fait de la famille de Mme B..., en raison des convictions religieuses de M. B... ou d'une dégradation de l'état de santé de de Mme B.... Pour les mêmes motifs de fait que ceux exposés ci-dessus au point 6, le moyen tiré de ce que la préfète aurait méconnu les dispositions précitées en décidant que Mme B... pourrait être reconduit dans son pays d'origine en raison de son état de santé doit être écarté. Au demeurant, les demandes d'asile des requérants ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d'asile au regard de leurs déclarations trop vagues et insuffisamment personnalisées. Dès lors, il n'est pas établi que la décision fixant le pays de destination l'exposerait à des traitements inhumains ou dégradants. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par le préfet de la Seine-Maritime, que Mme et M. B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté leurs demandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction assorties d'une astreinte ainsi que la demande présentée par leur conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes de Mme et M. B... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... et à M. D... B..., au ministre de l'intérieur et à Me A... C....
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime
N°19DA01081, 19DA01082 2