Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 janvier 2019, Mme B... D..., épouse C..., représentée par Me A... E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 15 février 2018 par lequel le préfet de l'Eure a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé la Tunisie comme pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou, à défaut, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Hervé Cassara, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., née D..., de nationalité tunisienne, est née en France le 31 octobre 1990. Elle déclare être entrée régulièrement en France le 29 avril 2017 munie d'un visa de court séjour de 90 jours sur une période courant du 26 mai 2017 jusqu'au 21 novembre 2017. Le 2 novembre 2017, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par l'arrêté attaqué du 1er mars 2018, le préfet de l'Eure a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligée à quitter le territoire dans le délai d'un mois et a fixé la Tunisie comme pays de destination. Mme D..., épouse C..., relève appel du jugement du 18 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : " Sans préjudice des dispositions du b et du d de l'article 7 ter, les ressortissants tunisiens bénéficient, dans les conditions prévues par la législation française, de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ". L'article 10 du même accord stipule : " 1. Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français: (...) / c) Au ressortissant tunisien qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins (...). / 2. Sont notamment considérés comme remplissant la condition de séjour régulier, les bénéficiaires d'un titre de séjour d'un an délivré en application des articles 7 ter et 7 quater (...) ", et aux termes de l'article 11 du même accord : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord ". D'autre part, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 6° À l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ", et aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'un ressortissant tunisien parent d'un enfant français résidant en France peut solliciter la délivrance d'un titre de séjour d'une durée de dix ans sur le fondement des stipulations du c) du 1 de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, ou une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an sur la base de l'article 7 quater du même accord et du 6° de l'article L. 311-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. D'une part, à supposer que Mme C..., née D..., soit effectivement entrée en France le 29 avril 2017 munie d'un visa de court séjour permettant de séjourner 90 jours sur une période de 180 jours courant du 26 mai 2017 jusqu'au 21 novembre 2017 comme elle l'a déclaré, elle ne pouvait, par conséquent, régulièrement demeurer sur le territoire français que durant la période de 90 jours à compter de la date de son entrée en France, soit jusqu'au 27 juillet 2017, et, dès lors qu'elle n'allègue pas avoir quitté le territoire français durant cette période, ne pouvait s'y maintenir régulièrement au-delà de cette date. Or il est constant qu'elle s'est maintenue sur le territoire français au-delà de cette date. Elle était donc en situation irrégulière au regard du séjour tant à la date de sa demande de titre de séjour le 2 novembre 2017 qu'à la date de la décision attaquée. Dès lors, à supposer même que le préfet de l'Eure aurait dû examiner d'office la demande de titre de séjour de Mme C..., née D..., de nationalité tunisienne, également au regard des stipulations du c) du 1 de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, comme elle le soutient en cause d'appel, elle ne remplissait pas la condition de régularité du séjour prévue par ces stipulations et ne pouvait donc se voir délivrer, sur ce fondement, un titre de séjour de dix ans en qualité de parent d'enfant français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du c) du 1 de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 doit, en tout état de cause, être écarté.
5. D'autre part, il résulte des termes mêmes des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 2 que le législateur, pour le cas où la carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " est demandée par un étranger au motif qu'il est parent d'un enfant français, a subordonné la délivrance de plein droit de ce titre à la condition, notamment, que l'enfant réside en France. Ce faisant, le législateur n'a pas requis la simple présence de l'enfant sur le territoire français, mais a exigé que l'enfant réside en France, c'est-à-dire qu'il y demeure effectivement de façon stable et durable. Il appartient dès lors, pour l'application de ces dispositions, à l'autorité administrative d'apprécier dans chaque cas sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et des justifications produites, où se situe la résidence de l'enfant, entendue comme le lieu où il demeure effectivement de façon stable et durable à la date à laquelle le titre est demandé.
6. Il ressort des pièces du dossier que, nonobstant la circonstance, à la supposer même établie, qu'elle aurait effectué plusieurs séjours en France, notamment en 2010, Mme C..., née D..., de nationalité tunisienne, a résidé en Tunisie jusqu'à l'âge de vingt-six ans jusqu'à son arrivée sur le territoire français le 29 avril 2017, soit six mois seulement avant sa demande de titre de séjour le 2 novembre 2017. En outre, à la date de cette demande, son deuxième enfant, né le 5 septembre 2017, de nationalité française, était âgé de seulement deux mois. Dès lors, si elle contribuait effectivement à l'entretien et à l'éducation de cet enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis sa naissance, dans les circonstances particulières de l'espèce, compte tenu notamment de son très jeune âge et de l'arrivée très récente de sa mère avant sa naissance, cet enfant ne peut être regardé comme demeurant ... à la date de la demande de titre de séjour de sa mère le 2 novembre 2017. Par suite, Mme C..., née D..., ne peut être regardée comme remplissant les conditions fixées par les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 2, et le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit, dès lors, être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Mme C..., née D..., fait valoir que sa mère, son frère et ses deux soeurs résident en France de manière régulière, et que son père, auprès duquel elle vivait en Tunisie, est décédé. Toutefois, il ressort aussi des pièces du dossier que, si elle est née en France, elle a résidé en Tunisie jusqu'à l'âge de vingt-six ans où elle y avait, à la date de la décision attaquée, le centre de ses intérêts personnels et familiaux, en dépit de la naissance de son second enfant sur le territoire français dans les conditions rappelées au point 6, et nonobstant la circonstance, à la supposer établie, qu'elle aurait effectué plusieurs séjours en France et qu'elle y aurait réussi en 2010 le concours d'entrée d'une école d'ingénieur au bénéficie duquel elle a renoncé faute de moyens financiers suffisants, et la circonstance, postérieure à la date de la décision attaquée, que sa fille aînée, née le 16 septembre 2015 en Tunisie, est scolarisée en France depuis la rentrée scolaire 2018 en classe de petite section de maternelle. D'ailleurs, son mari, qui est le père de ses deux enfants, réside en Tunisie, nonobstant l'allégation non établie selon laquelle il serait contraint d'y demeurer pour des raisons professionnelles. Dans ces conditions, la décision par laquelle le préfet de l'Eure a refusé de l'admettre au séjour n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Contrairement à ce que soutient à nouveau Mme C..., née D..., en cause d'appel, la décision en litige n'a pas pour objet, ni même pour effet, de la séparer de son fils de nationalité française qui pourra la suivre, compte tenu de son très jeune âge, dans tout pays dans lequel elle serait légalement admissible, notamment en Tunisie, ce que l'appelante ne conteste d'ailleurs pas. Il en va a fortiori de même pour sa fille aînée, de nationalité tunisienne, qui est également en bas âge. En outre, ainsi qu'il a été dit, son mari, père des deux enfants, réside en Tunisie, pays dont il a aussi la nationalité, de sorte qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existerait un obstacle à ce que la cellule familiale puisse se reconstituer en Tunisie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
9. En dernier lieu, en particulier pour les motifs énoncés aux points 7 et 8, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Eure ait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle et familiale de Mme C..., née D.... Par suite, le moyen doit être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme C..., née D... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant de refus de délivrance d'un titre de séjour est illégale.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
11. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) / 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; (...) La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I, sans préjudice, le cas échéant, de l'indication des motifs pour lesquels il est fait application des II et III. ". Il ressort des pièces du dossier que la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Dès lors, en application des dispositions précitées, la décision portant obligation de quitter le territoire français dont elle est assortie n'avait pas à faire l'objet d'une motivation distincte. Par suite, le moyen doit être écarté.
12. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 10 que la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour n'est pas illégale. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité de cette décision, soulevé par voie d'exception à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, doit être écarté.
13. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ". Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 5 et 6, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
14. En dernier lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, et de l'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de la décision en litige sur la situation personnelle et familiale de l'intéressée, doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés, respectivement, aux points 7, 8 et 9.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme C..., née D..., n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale.
Sur la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement :
16. D'une part, la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.
17. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit aux points 10 et 15 que la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour et la décision portant obligation de quitter le territoire français ne sont pas illégales. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité de ces décisions, soulevé par voie d'exception à l'encontre de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement, doit être écarté.
18. Il résulte de ce qui précède que Mme C..., née D..., n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement est illégale.
19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C..., née D..., n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte, et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D..., épouse C..., est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., épouse C..., au ministre de l'intérieur et à Me A... E....
Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Eure.
N°19DA00024 7