Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 mai 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lille du 18 février 2016 ;
2°) de rejeter la demande de première instance tendant à l'annulation de la décision du 14 février 2016 fixant le pays de destination et le plaçant en rétention administrative.
Elle soutient que :
- M. A...n'établit pas être exposé à des risques réels et personnels de mauvais traitements en cas de retour dans son pays d'origine ;
- il n'apporte aucun élément permettant de tenir pour établi qu'il est bien originaire d'Afghanistan et de la région du Wardak ;
- il n'a pas demandé l'asile ;
- son placement en rétention est justifié par la perspective raisonnable de son éloignement.
La requête a été régulièrement communiquée à M. A...qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'à la suite de son interpellation, à Calais, le 13 février 2016, dans la zone enclose du terminal fret à destination de la Grande-Bretagne par les services de la police aux frontières, alors qu'il était caché dans un camion, M.A..., se déclarant ressortissant afghan, a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Pas-de-Calais pris le 14 février 2016 lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français à destination du pays dont il revendique la nationalité, ou de tout autre pays dans lequel il est légalement admissible, et ordonnant son placement en rétention administrative ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 18 février 2016 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé les décisions fixant le pays de destination et ordonnant le placement en rétention administrative de l'intéressé ;
Sur le bien-fondé de l'article 1er du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; que selon les termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments ;
3. Considérant que M.A..., se disant originaire de la région du Wardak, province du centre de l'Afghanistan située au sud-ouest de Kaboul, fait valoir qu'il est menacé, simultanément, par les talibans pour lesquels il est un agent de l'Etat afghan et par le gouvernement afghan qui le considère comme ayant oeuvré pour les talibans ; que M. A...est dépourvu de tout document d'identité ; que sa demande de première instance, rédigée avec l'aide de l'association France Terre d'asile, en dehors de l'affirmation précitée, n'apporte aucune autre précision d'ordre personnel quant aux conditions de vie de l'intéressé dans cette région, ni aucun éléments relatifs à ce qu'il y a lui-même vu ou subi ; qu'ainsi, en l'absence de tout récit personnel, M. A...ne peut être regardé comme établissant qu'il serait effectivement originaire de la province précitée où le degré de violence généralisée est effectivement tel qu'un civil renvoyé dans la région concernée courrait un risque réel de subir une menace grave du seul fait de sa présence sur ce territoire ; que, par suite, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a retenu, pour annuler la décision fixant le pays de destination de l'intéressé le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a, par voie de conséquence, annulé la décision ordonnant son placement en rétention ;
4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens, relatifs à ces deux décisions, soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Lille ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
5. Considérant que les moyens tirés de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige et de son insuffisante motivation, déclinés à l'encontre de chacune des décisions, doivent être écartés par adoption des motifs exposés aux points 2 et 3 du jugement attaqué ;
6. Considérant que, si l'intéressé se prévaut de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet à l'encontre de la décision fixant le pays à destination duquel il sera éloigné, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le tribunal administratif de Lille, dont il y a lieu d'adopter les motifs sur ce point, a rejeté à bon droit ses conclusions tendant à l'annulation de cette mesure d'éloignement ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination de son éloignement est entachée d'illégalité ;
Sur la décision ordonnant le placement en rétention :
8. Considérant que le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision refusant à M. A... un délai de départ volontaire, en tant qu'elle se fonde sur une mesure d'éloignement illégale, doit être écarté pour les raisons exposées au point 6 ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet " ;
10. Considérant qu'il ressort des pièces versées en cause d'appel par la préfète du Pas-de-Calais que l'autorité administrative a accompli dès le 14 février 2016 plusieurs diligences auprès des autorités consulaires afghanes afin de procéder à l'éloignement de M.A... ; que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit, dès lors, être écarté ; que, dans ces circonstances, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que son placement en rétention aurait eu un autre but que son éloignement ;
11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / (...) / 6° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 561-2 du même code : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation (...) " ;
12. Considérant qu'il est constant que M. A...a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 14 février 2016 ; que, l'intéressé n'ayant par ailleurs présenté aucun document d'identité ou de voyage valide, ni d'adresse stable ou toute pièce justifiant l'existence d'un domicile, il doit être regardé comme ne présentant pas les garanties de représentation propres à prévenir un risque de fuite ; que, par suite, c'est sans erreur d'appréciation que la préfète du Pas-de-Calais a ordonné son placement en rétention administrative ;
13. Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales / (...) / f. s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours " ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit aux points 10 et 12 que le placement en rétention de M. A...est légalement justifié par son entrée et sa présence irrégulières sur le territoire français et son absence de garantie de représentation et que cette décision a été prise en vue de son éloignement vers le pays dont il s'est déclaré ressortissant ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que la décision de le placer en rétention administrative est entachée d'illégalité ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé ses décisions fixant le pays de destination de l'éloignement de M. A...et ordonnant son placement en rétention ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lille du 18 février 2016 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination et celle prononçant son placement en rétention administrative est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 1er décembre 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Olivier Nizet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 15 décembre 2016.
Le rapporteur,
Signé : J.-J. GAUTHÉ Le président de
La formation de jugement,
Signé : O. NIZET Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Isabelle Genot
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N°16DA00983
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