Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 décembre 2017 et le 3 octobre 2018, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, sous le n°17DA02346, la SARL Credico, représentée, en dernier lieu, par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 12 octobre 2017 ;
2°) de lui accorder la décharge des impositions en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la SARL Credico.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes enregistrées sous les numéros 17DA02346 et 17DA02348 et introduites par la société à responsabilité limitée Credico sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.
2. La société à responsabilité limitée Credico exerce l'activité de location de locaux nus à usage d'habitation. Elle a fait l'objet, au cours de l'année 2012, d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2009, 2010 et 2011, à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause la déductibilité de trois pertes correspondant à des créances qualifiées d'irrécouvrables et a réintégré au résultat de chacun des exercices concernés des charges financières et des éléments de passif regardés comme injustifiés, une proposition de rectification ayant été émise à cet effet le 5 septembre 2012, en matière d'impôt sur les sociétés. La SARL Credico relève appel du jugement du 12 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009 à 2011. Par une requête distincte, elle demande à la cour de décider qu'il sera sursis à l'exécution de ce jugement jusqu'à ce qu'elle se prononce sur le fond de l'affaire.
Sur les conclusions tendant à la décharge des impositions en litige :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
3. Le 1 de l'article 39 du code général des impôts dispose que le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment les frais généraux de toute nature. En vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées, de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. En ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions en litige :
S'agissant des pertes sur créances irrécouvrables :
4. La SARL Credico a porté en déduction, dans la comptabilité de l'exercice clos en 2008, une somme totale de 38 778 euros présentée comme correspondant à des créances irrécouvrables détenues sur les sociétés de droit américain Falken Industries Ltd et Nickel, ainsi que sur une ressortissante britannique, MmeB.... L'administration a remis en cause la déductibilité de cette somme, en estimant que le caractère irrécouvrable des créances en cause n'était pas établi. Pour établir avoir vainement mis en oeuvre des voies de droit ou de règlement amiable suffisantes à lui permettre d'obtenir le paiement, en tout ou partie, des créances en cause, la société requérante a produit devant les premiers juges une attestation émise par un avocat américain. Or cette attestation, d'une part, est postérieure aux années d'imposition en litige, et d'autre part, se borne à indiquer que toute poursuite à l'encontre de ces débiteurs impliquerait la mise en oeuvre de procédures internationales représentant un coût sans commune mesure avec la modicité des sommes à recouvrer. C'est pourquoi, par la production de ce document, qui n'est accompagné d'aucune pièce susceptible de lui permettre de justifier des diligences qu'elle aurait accomplies pour obtenir le paiement des créances en cause, la SARL Credico ne peut être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, du caractère irrécouvrable de ces créances au 31 décembre 2008, date de clôture de l'exercice au cours duquel elles ont fait l'objet d'une déduction. Dès lors, le service, à qui il n'incombait pas de démontrer que l'abandon du recouvrement de ces créances par la SARL Credico procèderait d'un acte anormal de gestion, était fondé à remettre en cause leur déductibilité, la circonstance qu'une telle pratique n'aurait pas fait l'objet d'observations lors d'un précédent contrôle ne constituant pas une prise de position formelle de l'administration et s'avérant sans incidence sur le bien-fondé des impositions en litige. Par voie de conséquence, il était également fondé à remettre en cause, en application du troisième alinéa du 1 de l'article 209 du code général des impôts, l'imputation sur l'exercice suivant du déficit de l'exercice clos en 2008, à hauteur d'une somme de 17 638 euros.
S'agissant des éléments de passif injustifiés :
5. La SARL Credico a porté au passif du bilan de son premier exercice vérifié, clos le 31 décembre 2009, deux comptes d'emprunt respectivement libellés au nom de la société de droit américain Finacor Ltd et à celui d'une société Emiran Trust. L'administration a estimé que la SARL Credico n'avait apporté aucun élément de nature à justifier de la déductibilité des sommes correspondantes et a réintégré celles-ci dans ses résultats imposables des années 2009 à 2011.
6. Pour justifier de la déductibilité des sommes figurant dans le compte d'emprunt ouvert au nom de la société Finacor Ltd, la SARL Credico a produit la copie d'un document rédigé en langue anglaise, daté du 18 décembre 1989 et intitulé " Demand promissory note ", accompagné de sa traduction, ainsi qu'un tableau récapitulatif présentant les différents versements qu'elle a reçus en provenance de cette société et quelques relevés de compte bancaire émis en 1992 et 1993. Toutefois, le document de décembre 1989 ainsi produit, qui est une reconnaissance de dette établie conjointement par les dirigeants de la société Finacor Ltd et par ceux de la SARL Credico et portant sur une somme de 2 250 000 dollars, revêt la nature d'un acte sous seing privé n'ayant pas date certaine. En outre, dès lors qu'il n'est pas établi, en l'absence de précision suffisante, que les décisions des 14 septembre 2001 et 26 octobre 2002 de la Cour suprême de l'Etat de New-York, dont se prévaut la SARL Credico concernent la dette en cause, ces décisions ne sont pas davantage de nature à établir la réalité de cette dette. Il en va de même de la lettre du 22 novembre 2013 par laquelle la société Finacor rappelle le montant actuel de sa créance ainsi que son origine, qui remonte à décembre 1989. De tels documents doivent, dans ces conditions, être corroborés par d'autres éléments de preuve. Or, les quelques relevés de compte bancaire produits par la SARL Credico, qui font apparaître que celle-ci a reçu, au cours des années 1992 et 1993, trois versements de 183 500 francs de la part de la société Finacor Ltd, ne concordent pas avec les mouvements indiqués dans le tableau récapitulatif établi par la société contribuable et, dès lors, s'avèrent insuffisants pour établir la mise à la disposition de la SARL Credico de la somme faisant l'objet de la reconnaissance de dette. Par ailleurs, même après correction des erreurs de taux de change dont elles sont affectées, les mentions du tableau récapitulatif produit par la SARL Credico ne correspondent pas aux montants enregistrés dans sa comptabilité. En outre, aucun document bancaire ne vient établir la réalité des avances inscrites en comptabilité le 1er juin 2006, le 22 juin 2007, le 1er janvier 2011 et le 18 février 2011 alors que, s'agissant d'années récentes, la société est légalement tenue de conserver les relevés de compte. Enfin, si la SARL Credico soutient qu'elle verse régulièrement des intérêts à la société Finacor Ltd par l'intermédiaire d'une société américaine, Petmas Investors, disposant d'un établissement en Norvège et elle-même créancière de la société Finacor Ltd, elle n'établit pas la réalité de ces versements par la seule production d'un tableau qu'elle a elle-même élaboré. Dans ces conditions, l'administration a pu à bon droit estimer que les éléments produits par la SARL Credico n'étaient pas suffisants à établir la réalité de l'emprunt que celle-ci indiquait avoir contracté auprès de la société Finacor Ltd, ni, par suite, la déductibilité des sommes portées dans le compte correspondant ouvert dans sa comptabilité.
7. Pour justifier de la déductibilité des sommes figurant dans le compte d'emprunt ouvert au nom d'une société Emiran Trust, dont elle n'a communiqué au demeurant ni la raison sociale exacte, ni l'adresse du siège social, la SARL Credico n'a produit aucune pièce, notamment aucun contrat, ni aucun tableau d'amortissement, mais persiste à alléguer que cette dette aurait été contractée par elle le 30 juillet 1997 et qu'elle aurait fait l'objet d'une reconnaissance conjointe par elle-même et la société Emiran Trust. Dès lors que la SARL Credico n'a produit aucun commencement de preuve au soutien de ces assertions, c'est à bon droit qu'a été remise en cause la déductibilité des sommes portées par elle à ce titre au passif du bilan de son exercice clos en 2009.
8. Cependant, aux termes de l'article 38 du code général des impôts, dans leur rédaction alors applicable : " (...) / 4 bis. (...), pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit déterminé, sauf dispositions particulières, conformément aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous-estimation ou surestimation de celui-ci. / Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas lorsque l'entreprise apporte la preuve que ces omissions ou erreurs sont intervenues plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit. / (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions que le législateur a rétabli, au premier alinéa du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, le principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit pour la détermination du bénéfice imposable et a assorti ce principe de deux séries d'exceptions prévues aux deuxième et troisième alinéas de cet article. En vertu du deuxième alinéa précité, une erreur ou omission affectant l'évaluation d'un élément quelconque du bilan d'un des exercices non prescrits peut, si elle a été commise au cours d'un exercice clos plus de sept ans avant l'ouverture du premier des exercices non prescrits, être corrigée de manière symétrique dans les bilans de clôture et d'ouverture des exercices non prescrits, y compris dans le bilan d'ouverture du premier d'entre eux.
10. Toutefois, la SARL Credico, qui fait seulement état des dates auxquels les emprunts en cause auraient été contractés par elle auprès des sociétés Finacor Ltd et Emiran Trust, n'apporte aucun élément de nature à établir que les montants correspondants auraient fait l'objet d'une inscription dans sa comptabilité de l'exercice clos en 2001, soit plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit. Il suit de là que la requérante ne peut utilement invoquer ces dispositions du deuxième alinéa du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts pour soutenir que l'administration ne pouvait ni remettre en cause ces écritures comptables ni pratiquer des rehaussements à ce titre.
S'agissant des charges financières :
11. L'administration a remis en cause l'inscription par la SARL Credico, en tant que charge financière déductible du résultat de l'exercice clos en 2011, des sommes de 17 503,52 euros et de 114 177,19 euros qui correspondraient à des intérêts d'emprunt qui seraient dus à la société Finacor Ltd. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 6, la réalité même de la dette d'emprunt que la SARL Credico soutient avoir contracté auprès de la société Finacor Ltd n'est pas établie. En outre, si la requérante a produit deux factures pour justifier de la déductibilité de ces sommes, elle n'établit pas que ces factures aient effectivement été acquittées par elle, étant précisé que la seconde d'entre elles porte d'ailleurs sur une somme de 122 213,13 euros qui ne correspond pas au montant de 114 177,19 euros enregistré en comptabilité, au demeurant dans un compte de charge à payer. Dans ces conditions, c'est à bon droit qu'a été remise en cause la déductibilité de la charge d'intérêts présentée comme s'y rapportant.
En ce qui concerne le bien-fondé des pénalités :
12. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".
13. C'est à bon droit que le ministre fait valoir qu'en inscrivant dans sa comptabilité des exercices vérifiés, ainsi qu'il a été dit précédemment, des pertes, éléments de passif et charges alors même qu'elle savait ne pas être en mesure de justifier du bien-fondé de ces écritures, la SARL Credico doit être regardée, eu égard en outre au caractère récurrent de ces pratiques et à l'importance des sommes correspondantes, comme ayant été animée par l'intention d'éluder l'impôt. Toutefois, comme il a été dit au point 11, la SARL Credico, qui a produit, s'agissant de la charge d'intérêts portée en déduction au titre de l'exercice clos en 2011, une facture correspondant exactement au montant de 17 503,52 euros qu'elle a porté dans sa comptabilité, ne peut, par les seuls éléments avancés par le ministre, être regardée comme ayant été animée de l'intention de faire échapper cette somme à l'impôt. Par suite, la requérante est fondée à obtenir dans cette seule mesure la réduction de la majoration qui lui a été appliquée au titre de l'année 2011.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Credico est seulement fondée à soutenir, dans la mesure de ce qui vient d'être dit au point précédent, que c'est à tort que, par le jugement du 12 octobre 2017, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font toutefois obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel, au titre des frais exposés par la SARL Credico et non compris dans les dépens.
Sur les conclusions tendant au sursis à l'exécution du jugement :
15. Dès lors que le présent arrêt se prononce sur le bien-fondé des impositions en litige, dans le cadre de l'examen de la requête n°17DA02346 présentée par la SARL Credico, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n°17DA02348 par laquelle cette société demande à la cour de décider qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 12 octobre 2017 du tribunal administratif de Rouen jusqu'à ce qu'elle se prononce sur le fond de l'affaire.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la SARL Credico, enregistrée sous le n°17DA02348, tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen du 12 octobre 2017.
Article 2 : La majoration pour manquement délibéré mise à la charge de la SARL Credico au titre de l'année 2011 est réduite à concurrence du montant afférent au rehaussement en base lié à la réintégration d'une somme de 17 503,52 euros portée en déduction en tant que charge financière.
Article 3 : Le jugement du 12 octobre 2017 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête n°17DA02346 est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Credico et au ministre de l'action des des comptes publics.
Copie en sera transmise, pour information, à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord .
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Nos17DA02346,17DA02348