Par une requête, enregistrée le 8 février 2018, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande de M. D...dirigées contre la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui interdisant le retour en France pendant un an.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de son interpellation le 4 janvier 2018 à Calais par les services de police, M. D..., se déclarant de nationalité afghane et démuni de toute pièce ou document d'identité, a fait l'objet le jour même d'un arrêté du préfet du Pas-de-Calais l'obligeant à quitter le territoire français, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et interdisant son retour sur le territoire national pendant une durée d'un an. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 15 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de renvoi ainsi qu'en tant qu'il comporte une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (23 août 2016, J.K et autres c/ Suède, n° 59166/1228). Selon cette même cour, l'appréciation d'un risque réel de traitement contraire à l'article 3 précité doit se concentrer sur les conséquences prévisibles de l'éloignement du requérant vers le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres à l'intéressé (30 octobre 1991, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, paragraphe 108, série A n° 215). A cet égard, et s'il y a lieu, il faut rechercher s'il existe une situation générale de violence dans le pays de destination ou dans certaines régions de ce pays si l'intéressé en est originaire ou s'il doit être éloigné spécifiquement à destination de l'une d'entre elles. Cependant, toute situation générale de violence n'engendre pas un risque réel de traitement contraire à l'article 3, la Cour européenne des droits de l'homme ayant précisé qu'une situation générale de violence serait d'une intensité suffisante pour créer un tel risque uniquement " dans les cas les plus extrêmes " où l'intéressé encourt un risque réel de mauvais traitements du seul fait qu'un éventuel retour l'exposerait à une telle violence.
3. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, en dépit de la gravité de la situation générale en Afghanistan, rendue publique par des rapports émanant d'organisations non gouvernementales et d'instances officielles, il régnait dans cet Etat une situation de violence généralisée telle qu'un civil de nationalité afghane devait de ce seul fait être regardé comme personnellement soumis à des risques de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En revanche, il ressort des mêmes informations publiques qu'une situation de violence généralisée existe dans certaines provinces de cet Etat. Si M. D...fait valoir qu'il est originaire de la province de Nangarhar, province dans laquelle existe une situation de violence généralisée, il n'apporte à l'appui de ses allégations, aucun élément probant et vérifiable et, notamment, aucune précision d'ordre personnel quant à ses conditions de vie dans cette région, ni aucun élément relatif à ce qu'il y a lui-même vu ou subi et ne peut dès lors, eu égard au caractère succinct et peu précis de ses déclarations, être regardé comme établissant qu'il serait effectivement originaire de cette province. En outre, si M. D...soutient que les talibans ont pris le contrôle de son village, ont souhaité utiliser les terres de sa famille comme base militaire et ont tenté de l'enrôler de force ce qui l'a conduit à fuir son village et qu'ainsi il serait exposé à des risques personnels en cas de retour dans son pays d'origine, il n'assortit cette simple allégation d'aucun commencement de preuve et ne fournit aucun récit précis et circonstancié sur ces évènements. Au demeurant, l'intéressé n'a déposé aucune demande d'asile en France ou dans les pays européens qu'il a traversés. Par suite, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a estimé que la décision désignant l'Afghanistan comme pays de destination en cas d'exécution de l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. D...avait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Par suite, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a estimé que la décision désignant l'Afghanistan comme pays de destination avait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
5. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas de Calais est également fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a estimé que la décision d'interdiction de retour pendant une durée d'un an était illégale faute pour l'intéressé, pourtant obligé de quitter le territoire de l'espace Schengen, d'être admissible dans un autre pays que l'Afghanistan.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés devant le tribunal administratif de Rouen par M. D... contre la décision fixant le pays de renvoi et contre la décision d'interdiction de retour.
En ce qui concerne les moyens communs aux deux décisions en litige :
8. M. C...A..., chef de la section éloignement de la préfecture du Pas-de-Calais, dispose d'une délégation de signature du 1er septembre 2017, qui lui a été consentie par arrêté régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs n° 80 du même jour, à l'effet de signer les décision fixant le pays de destination et les interdictions de retour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
9. Pour contester la décision fixant le pays de destination et la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, M. D...invoque l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire national dont il avait, dans le délai de recours contentieux, demandé l'annulation au magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen. Ce dernier a écarté dans son jugement l'ensemble des moyens invoqués par le requérant à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français. M. D...n'a pas formé d'appel incident à l'encontre de cette partie du jugement et n'apporte aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation du premier juge sur ces moyens. Dès lors, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge d'écarter l'ensemble des moyens dirigés, par la voie de l'exception, contre la décision portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, M. D... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de cette décision à l'encontre de la décision fixant le pays de destination et de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
En ce qui concerne les moyens propres à la décision fixant le pays de destination :
10. En premier lieu, l'arrêté du 4 janvier 2018 du préfet du Pas-de-Calais énonce l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde. Ces considérations sont suffisamment développées pour mettre utilement en mesure M. D...de discuter les motifs de la décision attaquée. La circonstance que le préfet du Pas-de-Calais n'ait pas mentionné tous les éléments factuels de la situation de l'intéressé n'est pas de nature à faire regarder cette motivation comme insuffisante. Ainsi, le moyen tiré du défaut de motivation être également écarté.
11. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 2, le préfet du Pas-de-Calais, en fixant l'Afghanistan comme pays de destination n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui prescrivent notamment qu'un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne l'interdiction de retour :
12. Il ressort des termes mêmes des dispositions du III de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 5. ci-dessus que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français, une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.
13. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision, une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
14. La décision par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a fait interdiction à M. D... de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an, mentionne le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La décision fait, également, état de son entrée irrégulière sur le territoire français, du caractère très récent de son séjour ainsi que de l'absence de liens privés et familiaux en France. Par suite, la décision attaquée, qui comporte l'ensemble des considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde et répond aux exigences rappelées au point précédent, est suffisamment motivée.
15. La décision d'interdiction de retour étant antérieure et distincte de la lettre par laquelle l'administration informe l'étranger qu'il a fait l'objet d'un signalement dans le système d'information Schengen, le moyen tiré du caractère incomplet de cette information est inopérant à l'appui des conclusions en annulation de cette décision.
16. Le requérant n'établissant pas l'existence des dangers qu'il allègue en cas de retour dans son pays et n'établissant ni même n'alléguant avoir des liens privés ou familiaux ou une insertion professionnelle en France, où il n'était présent que depuis un mois à la date de la décision attaquée, la décision d'interdiction de retour pour une durée d'un an n'est pas entachée d'erreur d'appréciation.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais, à qui il appartiendra d'apprécier les conditions d'exécution de son arrêté à la date à laquelle il l'exécutera et selon les principes rappelés au point 2, est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné a, par l'article 1er du jugement attaqué, annulé la décision du 4 janvier 2018 désignant le pays de envoi en cas d'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. D....
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du 15 janvier 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rouen, tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 4 janvier 2018 en tant qu'il désigne l'Afghanistan comme pays de renvoi et en tant qu'il porte interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... D....
Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.
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N°18DA00298