Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 février 2018, M.A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté de la préfète de la Seine-Maritime du 23 janvier 2018 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant soudanais né en 1991, s'est présenté le 8 novembre 2017 à la préfecture de la Seine-Maritime afin d'y former une demande d'asile. Une consultation du fichier Eurodac ayant toutefois révélé que l'intéressé était connu des autorités italiennes, qui avaient prélevé ses empreintes digitales le 30 juin 2017 à la suite de son entrée irrégulière sur le territoire italien, la préfète de la Seine-Maritime a, par un arrêté du 23 janvier 2018, prescrit le transfert de M. A...vers l'Italie. L'intéressé relève appel du jugement du 6 février 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cet arrêté.
2. D'une part, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut (...) requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur (...). / 3. Dans les cas visés aux paragraphes 1 et 2, la requête aux fins de prise en charge par un autre État membre est présentée à l'aide d'un formulaire type et comprend les éléments de preuve ou indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, et/ou les autres éléments pertinents tirés de la déclaration du demandeur qui permettent aux autorités de l'État membre requis de vérifier s'il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement. " et aux termes du paragraphe 1 de l'article 22 de ce règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. / (...) / 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 2 du règlement d'exécution n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 : " Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l'aide du formulaire type dont le modèle figure à l'annexe III, exposant la nature et les motifs de la requête et les dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil sur lesquelles elle se fonde (...) ". Enfin, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, dans sa rédaction issue du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 et applicable à la décision en litige : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement / (...) / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".
4. Il ressort des pièces du dossier que la demande de prise en charge de M. A...par les autorités italiennes a été formée le 9 novembre 2017 par le réseau de communication " DubliNet ", qui permet des échanges d'informations fiables entre les autorités des Etats membres de l'Union européenne qui traitent les demandes d'asile. La préfète de la Seine-Maritime produit, pour en justifier, la copie d'un courrier électronique du 9 novembre 2017 constituant la réponse automatique du point d'accès national français, lequel document porte la référence " FRDUB19930073588-760 ", qui correspond au numéro attribué à M. A...par la préfecture. La préfète produit, en outre, la copie d'un autre courrier électronique du 9 janvier 2018 constituant la réponse automatique du point d'accès national français intitulé " Implicit Acceptance " et comportant le même numéro de référence. Les mentions figurant sur ces accusés de réception édités automatiquement par le réseau de communication électronique "DubliNet ", créé précisément dans le but d'authentifier ces démarches, permettent d'établir, conformément aux dispositions citées au point précédent, que les autorités italiennes ont bien été saisies d'une demande de prise en charge concernant M. A... ainsi que la date de leur accord implicite pour cette prise en charge. Ainsi, les moyens tirés de l'irrégularité de procédure découlant de l'absence de preuve de l'envoi d'une requête de prise en charge aux autorités italiennes et de preuve d'un accord des autorités italiennes à cette prise en charge doivent être écartés comme manquant en fait.
5. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) " et aux termes de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l'anonymat de l'agent est respecté. ".
6. Il ressort des pièces du dossier et notamment du compte-rendu versé au dossier, que M. A...a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans les locaux de la préfecture de la Seine-Maritime, le 8 novembre 2017 à 12h15, selon des modalités permettant le respect de la confidentialité et avec l'assistance d'un interprète en langue arabe, qu'il a déclaré comprendre,. Le seul fait que ce compte-rendu ne comporte pas la mention du nom et de la qualité de l'agent de la préfecture qui a mené cet entretien ne peut suffire à établir, en l'absence de tout élément de nature à faire naître un doute sérieux sur ce point, que cet agent n'aurait pas été mandaté à cet effet par la préfète de la Seine-Maritime et qu'ainsi il ne serait pas une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions citées au point précédent. Ainsi, le vice de forme en cause ne saurait revêtir un caractère substantiel. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'irrégularité qui affecterait ce compte-rendu aurait, dans les circonstances de l'espèce, privé M. A...d'une garantie, ni même qu'elle aurait eu une influence sur le sens de la décision prise par la préfète. Dans ces conditions, le moyen tiré par M. A...de ce que les dispositions citées au point précédent auraient été méconnues en l'espèce et celui tiré de l'irrégularité de la procédure à l'issue de laquelle l'arrêté en litige a été pris doivent être écartés.
7. Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui sont reprises à l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3 de la même charte : " 1. Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale. / (...) " . Enfin, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ".
8. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
9. Si M. A... soutient qu'il existe une incapacité des institutions italiennes à traiter les demandeurs d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le droit d'asile en faisant référence à plusieurs rapports publiés en 2015 et 2017, ainsi qu'à des articles de presse, il n'établit pas que la situation générale qui y règne, ni que l'organisation mise en place par les autorités ne permettraient pas d'assurer, à la date à laquelle l'arrêté du 23 janvier 2018 en litige a été pris et sans sous-estimer l'ampleur de la pression migratoire auquel ce pays est confronté, un niveau de protection suffisant aux demandeurs d'asile. En outre, s'il soutient qu'après son arrivée irrégulière en Sicile, il n'aurait bénéficié d'aucune prise en charge de la part des autorités italiennes, mais seulement des associations humanitaires présentes sur les lieux, ce fait, dont la réalité n'est au demeurant pas établie, ne saurait à lui seul permettre de révéler l'existence de défaillances systémiques dans la prise en charge des demandeurs d'asile, ni d'établir que dans ce pays, il serait exposé à un risque personnel de traitement inhumain ou dégradant. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la demande d'asile de M. A...ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté en litige n'aurait pas été précédé d'un examen suffisamment approfondi des garanties offertes par l'Italie pour la prise en charge de M. A...et de ce que cet acte aurait été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des dispositions des articles 3 et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que de celles du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent être écartés.
10. L'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 prévoit la possibilité pour chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, ou de demander à un autre Etat membre de prendre l'intéressé en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères fixés par ce règlement.
11. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M.A..., qui est célibataire et sans enfant à charge, a déclaré, au cours de l'entretien individuel du 8 novembre 2017 mentionné au point 6, n'être entré sur le territoire français que le 18 août 2017, soit à peine plus de six mois avant la date de l'arrêté en litige, et n'a alors aucunement fait état de circonstances particulières, tirées de sa situation personnelle, qui auraient justifié que sa demande d'asile soit examinée, à titre dérogatoire, par les autorités françaises. L'intéressé a, en effet, indiqué, lors de cet entretien, ne faire l'objet d'aucun suivi médical particulier et n'a fait état, pour toute attache sur le territoire français, que de la présence d'un cousin, dont il n'a pas précisé l'identité et dont il a indiqué ignorer l'adresse. S'il invoque les conditions difficiles qui auraient caractérisé son séjour en Libye, où il aurait été détenu, et son hospitalisation pour un état d'épuisement et de malnutrition en Italie, il ressort du compte-rendu de l'entretien individuel au cours duquel l'intéressé a été entendu le 8 novembre 2017 que celui-ci n'a alors aucunement fait état de ces circonstances, au soutien desquelles il n'apporte aucun élément, ni aucune précision. Dans ces conditions, pour estimer qu'il n'y avait pas lieu de mettre en oeuvre, à l'égard de M. A..., la disposition dérogatoire de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013, la préfète de la Seine-Maritime n'a commis d'erreur manifeste d'appréciation ni au regard de ces dispositions, ni au regard des conséquences de la décision sur la situation personnelle de l'intéressé.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 6 février 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction assortie d'astreinte et celles qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise, pour information, à la préfète de la Seine-Maritime.
1
2
N°18DA00403