Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 avril 2018 et le 2 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de remettre à la charge de la SCI d'Haenens les impositions dont la décharge a été prononcée par le tribunal administratif de Lille ;
3°) de prescrire le reversement de la somme de 1 200 euros mise, par le jugement attaqué, à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile immobilière (SCI) d'Haenens, qui exerce une activité de location d'immeubles industriels et d'entrepôts, situés dans la zone de l'aéroport régional de Lille-Lesquin et destinés à accueillir l'exercice d'activités de transport, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011. Durant ce contrôle, le vérificateur a constaté que la SCI d'Haenens avait consenti, au cours de la période vérifiée, des abandons de loyers au profit de son principal locataire, la société anonyme (SA) d'Haenens Transports, qui est une société membre du groupe auquel elle appartient, et qu'elle avait, en outre, renoncé à constater comptablement une créance au titre des loyers en cause. La SCI d'Haenens n'ayant, à ses yeux, pas justifié d'un intérêt propre à consentir ces avantages à sa société soeur, le vérificateur a estimé que ceux-ci ne se rattachaient pas à la gestion normale de cette société et a entendu rectifier les résultats imposables déclarés par la SCI d'Haenens, au titre des exercices clos en 2010 et en 2011, en y réintégrant le montant des loyers qu'elle avait renoncé à recouvrer. Il a fait connaître sa position à la SCI d'Haenens par une proposition de rectification en date du 18 mars 2013. Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés en résultant ont été mises en recouvrement le 15 avril 2015, pour 102 402 euros en droits et 28 935 euros en pénalités. Après le rejet de sa réclamation, la SCI d'Haenens a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille, qui, par un jugement du 16 février 2018, a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle avait été assujettie au titre des exercices clos en 2010 et 2011 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre de l'action et des comptes publics, qui relève appel de ce jugement en toutes ses dispositions, demande à la cour de remettre à la charge de la SCI d'Haenens les impositions dont la décharge a été prononcée par les premiers juges. Il demande, en outre, à la cour de prescrire le reversement de la somme de 1 200 euros mise à la charge de l'Etat, par le jugement attaqué, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature effectuées par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Le fait pour une entreprise de renoncer à percevoir des loyers, même lorsqu'ils sont dus par une société appartenant au même groupe, ne relève pas en règle générale d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant un tel avantage, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. Lorsque l'administration apporte des éléments suffisants à permettre de présumer que les abandons de loyers consentis par une entreprise sont étrangers à sa gestion normale, il incombe alors à cette entreprise de justifier de l'existence d'une contrepartie à un tel choix, tant dans son principe que dans son montant. Il appartient ensuite à l'administration de démontrer que ces contreparties sont inexistantes, dépourvues d'intérêt pour l'entreprise ou insuffisantes.
3. Pour prononcer, par le jugement attaqué, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la SCI d'Haenens avait été assujettie, au titre des exercices clos en 2010 et 2011, en conséquence de la réintégration, dans ses résultats imposables de ces deux exercices, des sommes correspondant aux abandons de loyers consentis à la SA d'Haenens Transports, qui est le principal locataire de ses immeubles, le tribunal administratif de Lille a estimé que les avantages ainsi accordés par la SCI d'Haenens à cette société soeur, qui rencontrait de graves difficultés financières, étaient conformes à l'intérêt de la société ayant consenti ces avantages et ne présentaient pas le caractère d'une libéralité, dès lors que ces abandons de créances, qui portaient sur des sommes représentant seulement 14 % et 17 % des recettes totales perçues par la SCI d'Haenens au cours, respectivement, de ces deux exercices, avaient permis de rétablir la situation financière de la SA d'Haenens Transports, laquelle avait repris le paiement de ses loyers dès le mois de mai 2011, et avaient évité à cette société de supporter les charges inhérentes à une procédure d'expulsion, de même que d'avoir à rechercher un nouveau locataire dans un contexte de concurrence des zones d'activités logistiques et de crise du transport routier.
4. Pour critiquer les motifs ainsi retenus par les premiers juges, le ministre de l'action et des comptes publics soutient qu'en renonçant, sans condition, à percevoir de son principal locataire des loyers d'un montant respectif de 161 856 euros et de 204 492 euros au titre des exercices clos en 2010 et 2011, alors même que le président de la SA d'Haenens Transports avait seulement sollicité une remise de la dette de loyers de cette société se rapportant à la période allant du 1er septembre 2010 au 31 décembre 2010, la SCI d'Haenens a fait le choix de subir, au titre de chacun de ces deux exercices, une perte définitive d'exploitation, alors que, dans le même temps, elle continuait de devoir supporter, pour les immeubles en cause, des redevances de crédit-bail s'établissant à 710 148 euros pour l'exercice clos en 2010 et à 839 090 euros pour l'exercice clos en 2011. Le ministre ajoute que dans le cas où les difficultés financières rencontrées par la SA d'Haenens Transports seraient regardées comme ayant été d'une gravité telle qu'elles auraient compromis la pérennité de cette société, la SCI d'Haenens aurait eu la possibilité de préserver à la fois la rentabilité de ses actifs immobilisés et la santé financière de la société soeur en aménageant le paiement de la dette de celle-ci ou en assortissant les abandons de créance d'une clause de retour à meilleure fortune, tandis que la comptabilisation des loyers lui aurait, en outre, permis de constater soit une provision pour dépréciation des créances, soit une perte sur créances irrécouvrables. Le ministre fait d'ailleurs observer, à cet égard, sans être contredit, que les autres créanciers de la SA d'Haenens Transports ont, quant à eux, consenti à un aménagement de la dette de cette dernière dans le cadre d'un protocole d'accord, conclu le 6 mai 2011, et non à un abandon pur et simple de la totalité de leurs créances. Enfin, le ministre fait observer que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il n'est pas établi que la SCI d'Haenens aurait été contrainte de devoir exposer d'importantes dépenses pour le cas où elle aurait choisi de résilier le bail et de solliciter le départ de la SA d'Haenens Transports, compte tenu des liens découlant de leur appartenance à un même groupe, ni que la recherche d'un autre locataire susceptible d'être intéressé par une implantation dans la zone d'activités jouxtant le centre régional de transports de Lille-Lesquin serait particulièrement difficile et coûteuse, même dans le contexte d'une crise du secteur du transport et de la logistique. Les éléments ainsi avancés par le ministre permettent de présumer que les abandons de loyers consentis par la SCI d'Haenens ne relevaient pas de sa gestion normale, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges.
5. La SCI d'Haenens, à qui il incombe, dès lors, de justifier de l'existence d'une contrepartie à son choix de gestion, invoque l'intérêt propre résultant pour elle, dans le contexte des graves difficultés financières que rencontrait sa société soeur, principale locataire, de ces abandons de loyers, qui lui ont permis, en prenant part à l'effort consenti par l'ensemble des créanciers de la SA d'Haenens Transports, de contribuer à ce que celle-ci soit en mesure de surmonter ses difficultés et d'honorer de nouveau ses échéances. Elle ajoute que les abandons de loyers qu'elle a ainsi consentis n'ont pas seulement eu pour objet de préserver le bail commercial, mais aussi ses actifs, en évitant qu'ils ne se déprécient dans l'hypothèse d'un départ de sa locataire et de la persistance, dans le contexte d'une crise du secteur du transport, d'une situation de vacance de ses immeubles, la localisation de ceux-ci dans la zone du centre régional de transports de Lille-Lesquin n'impliquant pas nécessairement que la recherche d'un nouveau locataire aboutisse immédiatement. Elle maintient qu'une procédure d'expulsion d'une entreprise locataire est potentiellement longue et coûteuse, quand bien même cette entreprise serait une société soeur. Enfin, la SCI d'Haenens fait valoir qu'elle avait aussi un intérêt propre à venir en aide à cette société soeur, dont les difficultés financières menaçaient la pérennité, et qu'il lui était loisible de déterminer les modalités de l'aide à apporter à cette société, sachant qu'il n'était pas envisageable que l'ensemble des créanciers de la SA d'Haenens Transports soient sollicités pour fournir un effort financier sans qu'elle n'y participe également.
6. Toutefois, la SCI d'Haenens n'établit pas, par ses seules allégations, l'existence d'une contrepartie propre et proportionnée aux abandons de loyers qu'elle a consentis, sans condition, à sa locataire en difficulté financière, qui n'est pas sa filiale, mais une autre société du groupe auquel elle appartient, alors qu'elle a dû, parallèlement, continuer à supporter de lourdes redevances de crédit-bail à raison des immeubles donnés en location à cette société. Elle n'apporte, de surcroît, pas davantage de justifications au fait qu'elle a, contrairement aux autres créanciers de la SA d'Haenens Transports, non seulement renoncé à percevoir des loyers de cette dernière, selon des modalités la conduisant à devoir supporter une perte définitive d'exploitation, mais qu'elle a aussi choisi de ne pas enregistrer cette créance en comptabilité, ce qui l'a, au surplus, privée de la possibilité de constituer, en diminution de ses résultats imposables, une provision pour dépréciation de celle-ci ou une perte sur créance irrécouvrable. Enfin, la SCI d'Haenens n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations selon lesquelles la constatation juridique et comptable d'une défaillance de sa locataire dans le règlement des loyers et la résiliation du bail qui était susceptible d'en résulter auraient pu conduire à l'exposer au risque de devoir engager une procédure longue et coûteuse dans le but d'obtenir le départ de sa locataire et de subir à terme une dépréciation de ses actifs immobilisés en cas de vacance prolongée, alors que l'appartenance à un même groupe et, au surplus, l'identité de dirigeants, était de nature à faciliter la recherche d'une issue négociée, conforme aux intérêts des deux sociétés, et que la situation privilégiée des immeubles dans la zone d'activité jouxtant l'aéroport de Lille-Lesquin constituait un atout important pour la recherche d'un successeur. Par suite, le ministre de l'action et des comptes publics doit être regardé comme apportant des éléments suffisants à établir que la SCI d'Haenens, en consentant, dans ces conditions, les abandons de loyers en cause à une société soeur, a poursuivi des fins étrangères à son intérêt propre. Il est, dès lors, fondé à soutenir que le tribunal administratif de Lille a retenu à tort que ces abandons de créances ne présentaient pas le caractère de pures libéralités accordées sans réelle contrepartie.
7. Il résulte de tout ce qui précède, étant souligné que la SCI d'Haenens n'a soulevé, devant les premiers juges, aucun autre moyen qu'il appartiendrait à la cour d'examiner dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, ni même d'ailleurs en appel, que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la SCI d'Haenens a été assujettie au titre des exercices clos en 2010 et 2011. Le ministre est également fondé à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif de Lille a mis la somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, après avoir estimé qu'il était la partie perdante. En revanche, dès lors que le ministre de l'action et des comptes publics tient de l'article 11 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique le pouvoir d'émettre un ordre de recouvrement à l'effet d'obtenir le reversement de sommes dont une personne serait redevable envers l'Etat, ses conclusions tendant à ce que la cour prescrive le reversement de la somme de 1 200 euros sont irrecevables et doivent, dès lors, être rejetées. Enfin, les conclusions présentées en cause d'appel par la SCI d'Haenens sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1506667 du 16 février 2018 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés établies au titre des exercices clos en 2010 et 2011, ainsi que les pénalités correspondantes, dont la décharge a été prononcée par ce jugement, sont remises à la charge de la SCI d'Haenens.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du ministre de l'action et des comptes publics, la demande présentée par la SCI d'Haenens devant le tribunal administratif de Lille et les conclusions que celle-ci présente en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre délégué chargé des comptes publics et à la SCI d'Haenens.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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