Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 juin 2019 et le 18 novembre 2020, la SAS Aquachaud, représentée par Me Guey, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Aquachaud, dont le siège est situé à Arques (Pas-de-Calais), exerce une activité de négoce de fournitures de plomberie, sanitaire et chauffage à destination des professionnels et des particuliers. Elle a fait l'objet en 2014 d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er mai 2010 au 30 avril 2013. Au cours de ce contrôle, la vérificatrice a estimé, notamment, que des provisions pour risques et charges, constituées par la SAS Aquachaud au titre des exercices clos le 30 avril 2012 et le 30 avril 2013, à hauteur des montants respectifs de 240 000 euros et de 101 262 euros, ne correspondaient pas à des pertes ou charges suffisamment identifiées et que leur montant n'avait pas été déterminé avec une approximation suffisante. L'administration a, dès lors, estimé qu'il y avait lieu de réintégrer ces sommes aux résultats imposables de la SAS Aquachaud. Elle a fait connaître à celle-ci sa position sur ce point, ainsi que sur d'autres chefs de rectification que la société a acceptés, par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 4 août 2014. Ce chef de rectification a été maintenu malgré les observations formulées par la SAS Aquachaud et en dépit de l'avis défavorable émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, à l'issue de sa séance du 8 décembre 2015. Les cotisations supplémentaires correspondantes d'impôt sur les sociétés ont, dans ces conditions, été mises en recouvrement le 29 avril 2016, pour les montants de 111 301 euros en droits et de 9 065 euros en pénalités. Sa réclamation ayant été rejetée, la SAS Aquachaud a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos le 30 avril 2012 et le 30 avril 2013. Elle relève appel du jugement du 18 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
2. En vertu du 5° du 1. de l'article 39 du code général des impôts, le bénéfice net est établi sous déduction, notamment, des provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provisions et déduire des bénéfices imposables des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par l'entreprise, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent en outre comme probables eu égard aux circonstances de fait constatées à la date de clôture de l'exercice, et qu'enfin, elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise. Il appartient au contribuable, pour l'application de ces dispositions de l'article 39 du code général des impôts et quelle que soit la procédure de rectification mise en œuvre à son égard, de justifier tant du montant des provisions qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 de ce code, que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité.
3. Pour justifier du bien-fondé des provisions dont l'administration a remis en cause la déductibilité, la SAS Aquachaud soutient que celles-ci ont eu pour objet de tenir compte des pertes qu'elle risquait d'encourir du fait de malversations commises par une ancienne salariée à qui incombait la tenue de sa comptabilité. Elle précise avoir découvert l'existence de ces agissements, à l'issue d'investigations conduites, en novembre 2011, par un cabinet d'expertise comptable à la demande de son directeur général, dont l'attention avait été appelée, en août 2011, sur une dégradation préoccupante de la marge commerciale de l'entreprise. Elle ajoute avoir ainsi été amenée à constater que ces agissements avaient consisté, pour cette comptable, qui avait, de façon récurrente, omis de mettre à l'encaissement, dès la clôture de l'exercice 1998, un grand nombre d'effets de commerce remis, à titre de paiement, par des clients, à masquer ses manquements au moyen de jeux d'écritures destinés, à chaque clôture des exercices comptables, à justifier le solde débiteur que présentait le compte 413 " Clients - Effets à recevoir " par de nouveaux effets remis en paiement de factures émises en fin d'exercice, mais sans pour autant que ces manipulations aient pour effet de solder les comptes des clients ayant remis ces effets de commerce à titre de paiement. La comptable procédait ensuite, à chaque début d'exercice, à un autre jeu d'écritures destiné à contrepasser les précédents enregistrements effectués en fin d'exercice précédent, afin que les anomalies ne demeurent pas apparentes jusqu'en fin d'exercice. La SAS Aquachaud soutient que le cabinet d'expertise comptable qu'elle a missionné a, ainsi, pu identifier l'ensemble des opérations injustifiées portées dans sa comptabilité et constater qu'elles représentaient un montant total de 426 577,05 euros qu'elle a isolé dans un compte 467 " Débiteurs et créditeurs divers ", lequel montant inclut une somme de 4 600 euros que la salariée en cause avait détournée à son bénéfice personnel en profitant de la confusion comptable ainsi créée. Estimant qu'elle ne pourrait, dès lors qu'un bon nombre des effets de commerce correspondants n'étaient plus susceptibles d'être remis à l'encaissement pour cause de prescription, recouvrer la somme de 426 577,05 euros ainsi identifiée, qu'elle a regardée comme correspondant probablement à une perte définitive de trésorerie, la SAS Aquachaud a décidé de constater, au terme de chacun de ses exercices clos le 30 avril 2012 et le 30 avril 2013, la perte encourue par elle en constituant deux provisions à hauteur des montants respectifs de 240 000 euros et de 101 262 euros, dont le total représente 80 % du montant de 426 577,05 euros identifié comptablement.
4. Le ministre fait valoir que, même au terme des investigations conduites par le cabinet d'expertise comptable qu'elle a missionné et qui ont été complétées par le salarié qui a succédé à la comptable défaillante, la SAS Aquachaud n'est pas parvenue à identifier l'origine précise de la somme de 426 577,05 euros, qu'elle a isolée globalement dans un compte d'attente et qui correspond, en réalité, à un montant total d'écritures enregistrées au compte 413 " Clients - Effets à recevoir ", dont elle n'a pu préciser les contreparties. Il fait observer que, dans un projet de conclusions, établi le 25 juin 2014, que la SAS Aquachaud envisageait de produire dans le cadre de la procédure pénale introduite par elle à l'encontre de son ancienne comptable et dont elle a communiqué une copie à la vérificatrice au cours du contrôle dont elle a fait l'objet, cette société reconnaissait que les investigations comptables réalisées à sa demande ne lui avaient pas permis d'appréhender avec précision le mode opératoire utilisé par la salariée mise en cause, ni même de déterminer l'étendue exacte de son préjudice, et demandait au juge pénal de prescrire une expertise comptable sur ces points. Le ministre estime ainsi que la SAS Aquachaud n'était, ni à la date de ce projet de conclusions, ni, a fortiori, aux dates de clôture, les 30 avril 2012 et 2013, des exercices en cause, pas en mesure d'établir qu'elle risquait d'encourir une perte ou une charge certaine dans son principe comme dans son montant.
5. Toutefois, il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient le ministre, la SAS Aquachaud a été à même de donner, au cours de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet du 29 avril 2014 au 28 juillet 2014, des renseignements, en ce qui concerne les factures et les clients concernés par les écritures portées sur le compte 467, dont elle a remis à la vérificatrice un état, qu'elle a versé à l'instruction, et qu'elle présente, sans être contredite, comme ayant été établi, au terme des investigations conduites, à compter du mois de novembre 2011, par le cabinet d'expertise comptable qu'elle a missionné. Si le ministre fait valoir que la vérificatrice a renoncé à exploiter cet état, dès lors qu'aucune précision ne lui avait été apportée par la SAS Aquachaud sur la nature précise des malversations commises par son ancienne comptable, ainsi que sur le procédé exact mis en œuvre par celle-ci, de même que sur l'origine détaillée des créances portées au débit du compte 467, il ressort des mentions de ce document que celui-ci comporte la liste des clients et le montant des factures concernés par les écritures portées au compte 467, en précisant, au regard du nom de chacun de ces clients, le numéro du bordereau correspondant à chacune des factures, le montant total des opérations mentionnées dans cet état correspondant précisément à la somme de 426 577,05 euros reprise au compte 467. A cet état est jointe une liste détaillée des bordereaux, également établie par le cabinet d'expertise comptable, laquelle comporte la date et le montant de chacune des factures correspondantes, de même que le numéro, la date d'émission et d'échéance de chacun des effets de commerce reçus en paiement. Ainsi, en l'absence de démonstration contraire, la SAS Aquachaud doit être regardée, quels que soient les termes du mémoire qu'elle aurait entendu un temps déposer devant le juge pénal et dont les conclusions ne correspondent d'ailleurs pas à celles dont elle a, en définitive, saisi ce juge, comme ayant disposé de cet état et de cette liste, dont le ministre ne conteste pas sérieusement le caractère probant, au cours de l'exercice clos le 30 avril 2012. Par suite et comme l'a, au demeurant, estimé la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la SAS Aquachaud était, à la date de clôture de cet exercice et, qui plus est, au 30 avril 2013, date de clôture de l'exercice suivant, à même d'identifier précisément celles de ses créances dont le recouvrement avait été empêché par les agissements de son ancienne salariée, de même, eu égard à la circonstance que les dates d'échéance des effets de commerce reçus en paiement de ses factures s'échelonnent entre le 15 mai 2011 et le 31 juillet 2011, que le caractère probable de leur irrécouvrabilité, le succès des demandes de paiement qu'elle justifie avoir adressées à certains des clients concernés étant très incertain compte-tenu de l'ancienneté des créances revendiquées. Par suite, c'est à tort que l'administration a remis en cause, dans son principe, la déductibilité des provisions ainsi constituées par la SAS Aquachaud au terme de ses exercices clos le 30 avril 2012 et le 30 avril 2013.
6. Enfin, le seul fait que la SAS Aquachaud ait limité le montant total des deux provisions qu'elle a portées dans sa comptabilité à 341 262 euros, soit à 80 % du montant de sa perte probable de 426 577,05 euros, dans un souci de prudence et pour tenir compte de la très faible probabilité de pouvoir obtenir le recouvrement de certaines de ses créances, ne peut suffire à établir que le montant de ces provisions, établi à partir de données tirées de l'exploitation de l'entreprise, aurait été déterminé sur des bases purement forfaitaires.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Aquachaud est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos le 30 avril 2012 et le 30 avril 2013, à raison de la remise en cause par l'administration de la déductibilité des provisions pour risques et charges qu'elle a constituées. En conséquence il y a lieu, pour la cour, de prononcer la décharge sollicitée et, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 200 euros que la SAS Aquachaud demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1608868 du 18 avril 2019 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La SAS Aquachaud est déchargée, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos le 30 avril 2012 et le 30 avril 2013, à raison de la remise en cause par l'administration de la déductibilité des provisions pour risques et charges qu'elle a constituées.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS Aquachaud la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Aquachaud et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°19DA01410