Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 10 mai 2021, et des mémoires en réplique enregistrés les 18 juin 2021 et 9 septembre 2021, le préfet de la Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 avril 2021 ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande de M. B....
Il soutient que c'est à tort que le premier juge a estimé qu'il n'avait pas procédé à un réel examen de la situation du demandeur ; si ce dernier s'est présenté le 8 février 2021 à la préfecture, son dossier était incomplet et sa demande de titre de séjour n'a pas été enregistrée ; au demeurant, les démarches qu'il a effectuées en vue de l'obtention d'un titre en qualité d'étranger malade l'ont été au-delà du délai fixé par les dispositions de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire enregistré le 9 juin 2021, M. A... B..., représenté par Me Huard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat, au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que le premier juge a estimé que l'obligation de quitter le territoire français avait été prise sans réel examen de sa situation ; les dispositions de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent s'appliquer dès lors d'une part qu'il n'est pas établi qu'il aurait reçu l'information requise, d'autre part qu'il a fait état d'éléments médicaux nouveaux ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de son doit à être entendu, principe général du droit garanti par la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'erreur de droit, le préfet n'ayant pas pris en compte l'ensemble des critères énoncés au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par décision du 23 juin 2021, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M. B....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Besse, président-assesseur ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant malien né en 1993, indique être entré irrégulièrement en France au cours de l'année 2018. Il a présenté une demande d'asile, qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 26 août 2020, décision confirmée le 25 novembre 2020 par la Cour nationale du droit d'asile. Par arrêté du 12 février 2021, le préfet de la Savoie l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant un an. Par jugement du 14 avril 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté du 12 février 2021 et a enjoint au préfet de la Savoie de procéder à un nouvel examen de la situation de M. B.... Le préfet de la Savoie relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur ; " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, l'invite à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 511-4, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour. "
3. M. B... fait valoir qu'il s'est rendu à un rendez-vous en préfecture de la Savoie en vue de déposer une demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade, le 8 février 2021. S'il n'a pu faire enregistrer sa demande, qui était incomplète, il a présenté à cette occasion des éléments médicaux très récents, notamment un compte rendu de l'équipe mobile autisme adulte Savoie diagnostiquant un trouble du spectre de l'autisme associé à un retard mental important et rendant nécessaire l'aide d'une tierce personne. Compte tenu du caractère nouveau de ce diagnostic médical, qui constituait en l'espèce une circonstance nouvelle, le préfet de la Savoie ne peut soutenir que la démarche en vue d'obtenir un titre de séjour était irrecevable au regard des dispositions citées au point précédent de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile imposant à l'étranger demandeur d'asile de déposer des demandes sur d'autres fondements dans un délai de deux ou trois mois. Dans ces circonstances particulières, en obligeant M. B... à quitter le territoire français sans prendre en compte ces éléments, et sans inviter ce dernier à présenter ses observations sur les circonstances pouvant faire obstacle à son éloignement, le préfet de la Savoie a entaché sa décision d'un défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressé, ainsi que l'a relevé le premier juge, et également méconnu le droit de l'intéressé à être entendu, principe général du droit garanti par la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Savoie n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 12 février 2021.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Huard, conseil de M. B..., au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à charge pour ce dernier de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Savoie est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Huard la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à au ministre de l'intérieur, à M. A... B... et à Me Huard.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 22 février 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Danièle Déal, présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
M. François Bodin-Hullin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mars 2022.
2
N° 21LY01492