Par un jugement n° 2006551 du 13 novembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa seconde demande.
Procédure devant la cour
I) Par une requête enregistrée le 11 décembre 2020, sous le n° 20LY03676, M. B... A..., représenté par Me Gay, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2006541 du 13 novembre 2020 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 3 novembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté a été pris par une autorité incompétente, la délégation de signature consentie à l'auteur de la décision étant trop générale et non limitée dans sa durée ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision lui faisant interdiction de retourner sur le territoire français et de la décision fixant le pays de destination ;
- la décision lui faisant interdiction de retourner sur le territoire français est entachée d'une erreur d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
II) Par une requête enregistrée le 11 décembre 2020, sous le n° 20LY03680, M. B... A..., représenté par Me Gay, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2006551 du 13 novembre 2020 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 3 novembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il reprend les mêmes moyens que dans la requête n° 20LY03676.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par courrier du 8 décembre 2021, les parties ont été informées en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement, qui n'a pas constaté un non-lieu à statuer, alors que le mandataire désigné au titre de l'aide juridictionnelle avait déposé une autre demande.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Besse, président-assesseur ;
- et les conclusions de M. Jean-Simon Laval, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant turc né en 1974, est entré en France pour la dernière fois en septembre 2018, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour. Par arrêté du 3 novembre 2020, le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an. Par les deux requêtes susvisées, M. A... relève appel des deux jugements par lesquels le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Les deux requêtes sont dirigées contre la même décision et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
3. En premier lieu, l'arrêté en litige a été signé par M. Philippe Portal, secrétaire général de la préfecture de l'Isère, qui disposait à cet effet d'une délégation de signature, consentie par le préfet de l'Isère le 10 février 2020, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture en date du 13 février suivant. Par suite, compte tenu de cette délégation, qui n'était pas générale et était bornée à la durée d'exercice des fonctions du délégant et du délégataire, le moyen tiré de l'incompétence du signataire doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
5. Alors que le préfet de l'Isère a relevé que M. A... est entré en France en septembre 2018 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour, le requérant ne produit pas suffisamment de pièces de nature à établir que, comme il le soutient, il résiderait de manière continue en France depuis 2014. Par ailleurs, si l'intéressé fait valoir la présence en France de son épouse et de ses trois enfants, dont deux mineurs, ni son épouse ni sa fille aînée, majeure, ne justifient d'un séjour régulier en France. Dans ces conditions, alors même que ses enfants sont scolarisés et que l'intéressé est associé d'une entreprise en France, et eu égard au fait que M. A... n'est pas dépourvu d'attaches familiales en Turquie, pays où il a passé l'essentiel de sa vie et où sa cellule familiale peut se reconstituer, la décision l'obligeant à quitter le territoire français ne porte pas au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. En troisième lieu, si M. A... soutient que la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'assortit en tout état de cause pas son moyen de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
7. En quatrième lieu, M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination et la décision lui faisant interdiction de retourner sur le territoire français.
8. Enfin, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour ". Il résulte de ces dispositions que le préfet doit prononcer une interdiction de retour sur le territoire français à l'encontre d'un étranger auquel est notifiée une obligation de quitter le territoire français sans délai, à moins que celui-ci ne fasse état de circonstances humanitaires avérées. Seule la durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés au III de l'article L. 511-1, à savoir la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire.
9. M. A... n'ayant pas exécuté une précédente mesure d'éloignement, en date du 15 avril 2019, le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai. En faisant interdiction à l'intéressé de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an, et alors même que ce dernier fait valoir qu'il ne représente pas une menace pour l'ordre public et justifie d'une insertion professionnelle, étant associé d'une société de pose de plaques, le préfet de l'Isère n'a pas entaché sa décision lui faisant interdiction de retourner sur le territoire français pendant une année d'une erreur d'appréciation.
10. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes présentées par M. A... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 4 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Danièle Déal, présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
M. François Bodin-Hullin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2022.
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N° 20LY03676-20LY03680