Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 juin 2018, M. A..., représenté par la SCP Robin-Vernet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 20 mars 2018 ;
2°) d'annuler les décisions du préfet du Rhône du 1er juin 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le tribunal, en opposant le fait qu'il constituait une menace pour l'ordre public, a retenu un motif qui n'avait pas été opposé par le préfet ;
- le préfet a commis une erreur de droit en ne prenant pas en compte l'ensemble des conditions posées par les articles L. 313-11 2° bis et L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de séjour méconnaît les dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou de l'article L. 313-15 du même code, au cas où il serait retenu qu'il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance après l'âge de seize ans ;
- la décision de refus de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 24 avril 2018.
Par un mémoire enregistré le 24 janvier 2019, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. Thierry Besse, premier conseiller ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité malienne, qui soutient être né le 31 décembre 1998, est entré en France en avril 2014. Le 7 juillet 2014, il a été placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance par ordonnance provisoire du procureur de la République de Lyon. Par arrêt du 27 octobre 2016, la cour d'appel de Lyon a annulé le jugement du 16 janvier 2015 du tribunal correctionnel de Lyon ayant condamné M. A... pour escroquerie au préjudice de la Métropole de Lyon pour usage d'une fausse identité de mineur au motif qu'il était mineur lors de sa prise en charge, la date de naissance du 31 décembre 1998 figurant sur son passeport devant être tenue pour exacte. Le 30 décembre 2016, M. A... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 313-15 du même code. Par décisions du 1er juin 2017, le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi en cas d'éloignement forcé. M. A... relève appel du jugement du 20 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur la régularité du jugement :
2. Pour écarter le moyen tiré de ce que le refus de séjour méconnaît les dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les premiers juges, après avoir indiqué que l'autorité de la chose jugée au pénal faisait obstacle à ce que le préfet du Rhône opposât à M. A... la circonstance qu'il n'était pas mineur lorsqu'il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance, ont estimé que le préfet du Rhône s'était également fondé sur le motif tiré de ce que la présence en France de l'intéressé représentait une menace pour l'ordre public. Toutefois, si le préfet a relevé dans sa décision des incohérences entre les différents documents d'identité fournis par l'intéressé et dans la chronologie de son parcours, il n'a pas soutenu que ces éléments, s'ils révélaient une mauvaise insertion de l'intéressé en France, caractérisaient une menace pour l'ordre public. Ainsi, M. A... est fondé à soutenir qu'en se fondant, pour rejeter sa demande, sur la circonstance que le préfet avait pu légalement fonder sa décision sur un tel motif, qui ne ressortait ni de la décision du préfet ni de son mémoire en défense, le tribunal a entaché son jugement d'une irrégularité et à demander l'annulation de ce jugement.
3. Il y a lieu, par suite, d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lyon.
Sur la légalité des décisions attaquées :
4. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 2° bis A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée ; (...) ".
5. La situation de M. A..., qui doit être regardé comme justifiant être né le 31 décembre 1998 et qui a ainsi été confié à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans, par une ordonnance du procureur de la République de Lyon du 7 juillet 2014, doit être appréciée au regard de ces dispositions.
6. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour de plein droit portant la mention "vie privée et familiale", présentée sur le fondement des dispositions citées au point 4, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 311-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française.
7. L'arrêté en litige, après voir décrit la situation en France de M. A..., et avoir fait mention de la scolarité en France de l'intéressé et de l'avis de la structure d'accueil, a, pour rejeter la demande de l'intéressé, fait état des incohérences relevées sur les documents d'identité qu'il a fournis et sur la chronologie de son parcours. A supposer que le préfet du Rhône, qui ne pouvait prétendre que l'intéressé n'était pas mineur à la date à laquelle il a été placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance, ait entendu ainsi invoquer une insuffisante insertion de l'intéressé dans la société française, il n'a pas pris en compte les liens de l'intéressé avec sa famille demeurée dans son pays d'origine. Par suite, le préfet du Rhône, qui n'a pas procédé à un examen global de la situation de M. A..., a entaché sa décision d'une erreur de droit. L'intéressé est par suite fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'il soulève, à demander l'annulation de la décision du 1er juin 2017 par laquelle le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, celle des décisions l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Si le présent arrêt n'implique pas nécessairement que le préfet du Rhône délivre une carte de séjour à M. A..., il implique qu'il réexamine sa situation. Il y a lieu d'impartir au préfet du Rhône un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt pour qu'il procède à ce réexamen, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Ainsi, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Robin, avocat de M. A..., d'une somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 20 mars 2018 et les décisions du préfet du Rhône du 1er juin 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me C... Robin une somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Les conclusions de la requête sont rejetées pour le surplus.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me C... Robin.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 5 février 2019 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
M. Thierry Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 mars 2019.
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N° 18LY02168
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